Après cinq jours d’âpres mais traditionnelles négociations, les Chef d’État et de gouvernement de l’Union européenne ont conclu un accord sur le projet de budget pluriannuel 2021-2027 portant sur 1 074,3 milliards de d’euros et sur le plan de relance de 750 milliards d’euros.
Le 21 juillet pourrait rester comme une date clef. Pour la première fois de son histoire, la Commission de Bruxelles empruntera au nom de l’Union européenne et répartira les fonds entre des prêts et des subventions accordés aux différents États.
Ce plan se veut, à la fois, ciblé et limité dans le temps. Il est dicté par la crise sanitaire. L’idée de création de fonds conjoncturels ou de fonds d’intervention en cas de crise a été, à maintes reprises avancée depuis la mise en place de l’euro. Initialement, l’Allemagne y était opposée afin de ne pas se trouver liée aux dépenses des États d’Europe du Sud. La monnaie était commune mais les responsabilités pour bien la gérer étaient individuelles. La France et les États d’Europe du Sud ont longtemps tenu un double langage. Favorables en public aux eurobonds ou aux fonds d’action conjoncturelle, ils y étaient opposés en privé par crainte d’une perte de souveraineté. L’octroi d’aides ou de prêts bonifiés ne peut pas se faire sans contrepartie, sans contrôle. Si la Banque centrale joue le rôle de banquier en dernier ressort depuis la crise de 2008, pouvant s’appuyer sur le Mécanisme Européen de Stabilité Financière (MESF), au niveau budgétaire, peu d’avancées notables s’étaient produites ces vingt dernières années.
Par son ampleur, la crise de la Covid-19 a changé la donne. L’Allemagne ne souhaite pas prendre le risque d’un éclatement de l’Union dont les États membres sont ses premiers clients pour le commerce extérieur. Par ailleurs, la Chancelière, Angela Merkel souhaite achever sa mandature avec une image pro-européenne, d’autant plus que l’Allemagne préside jusqu’à la fin de l’année l’Union. Par ailleurs, l’évolution de la politique extérieure américaine la conduit à changer sa grille de lecture et des priorités sur le plan géopolitique. La France qui depuis de nombreuses années était isolée au sein de l’Union a retrouvé quelques lustres en étant à l’origine de l’initiative avec l’Allemagne, tout en bénéficiant de l’appui des États d’Europe du Sud. Les pays d’Europe de l’Est et ceux de l’Europe du Nord dont les objectifs étaient différents voire divergents (les premiers ne souhaitaient pas d’aides directes quand les seconds souhaitaient pérenniser leurs subventions) n’ont pas réussi à empêcher l’accord même si plusieurs de leurs souhaits ont été retenus.
Un financement direct sous forme de subvention.
Sur un total de 750 milliards d’euros, 672,5 milliards d’euros sont répartis en deux grandes catégories : les prêts (360 milliards d’euros) et les subventions (312,5 milliards d’euros). Le solde, 77,5 milliards d’euros est réparti sur plusieurs lignes du budget pluriannuel. L’Espagne et l’Italie devraient pouvoir bénéficier chacune de 60 milliards d’euros et la France de près de 40 milliards d’euros. 70 % des montants en jeu sera attribué en 2021 et 2022, le solde (30 %) pouvant glisser jusqu’en 2023. Les montants reçus ne devront pas excéder 6,8 % du revenu national brut de chaque État-membre. Des clefs de répartition seront élaborées par les services de Bruxelles. L’octroi des aides sera conditionné à l’élaboration par les États membres de plans de relance qui comporteront les réformes envisagées et les investissements souhaités pour la période 2021-2023. La Commission statuera dans les deux mois et en se fondant sur des critères liés à la croissance, la création d’emplois et à la résilience sociale des États.
30 % des dépenses engagées dans le cadre du plan de relance de 750 milliards d’euros devront concerner le changement climatique afin d’atteindre l’objectif de neutralité carbone en 2050 fixé par les Accords de Paris de 2015. Contrairement aux souhaits des États dits « frugaux » d’Europe du Nord (Pays-Bas, Suède, Danemark, Finlande) qui espéraient imposer un droit de veto, le Conseil approuvera à la majorité qualifiée la proposition de la Commission.
L’État de droit comme condition
Le versement d’aides pourra être suspendu en cas de violations de l’État de droit et la démocratie. Cette mesure concerne la Hongrie et la Pologne qui ont été visées par une procédure dite de « l’article 7 » pour diverses mesures ayant porté atteinte à l’indépendance de la justice et des médias. En l’état, ces procédures ont peu de chances d’aboutir car elles reposent sur des votes à l’unanimité. En ce qui concerne la suspension d’une aide pour atteinte à l’État de droit, la résolution devra être approuvée par une majorité qualifiée des États membres, 55 % des pays de l’Union représentant les deux tiers de la population totale. Dans le texte initial, la suspension pouvait intervenir sur proposition de seulement un tiers des États membres. Pour y échapper, le pays visé se devait de rassembler une majorité qualifiée. Devant le risque de veto de la Hongrie, la Commission a décidé avant même le sommet de juillet d’assouplir sa position.
Des rabais en hausse
L’accord sur le plan de relance a été obtenu grâce à des concessions sur la participation de certains États membres au budget européen. Certains pays contributeurs nets au budget ont fait valoir que leur contribution au budget était disproportionnée par rapport à ce qu’ils reçoivent. Ils ont réclamé un relèvement des rabais. Pour la période 2021-2027, des corrections forfaitaires réduiront la contribution annuelle fondée sur le revenu national brut (RNB) du Danemark, de l’Allemagne, des Pays-Bas, de l’Autriche et de la Suède. Ces réductions brutes seront financées par tous les États membres en fonction de leur revenu national brut (RNB). L’Autriche bénéficiera ainsi d’un rabais au prochain budget de l’Union européenne (2021- 2027), de 565 millions d’euros, soit une hausse de 138 % par rapport au droit existant. Suivent le Danemark avec 377 millions (+ 91 %), la Suède à 1,07 milliard (+34 %) et les Pays-Bas avec 1,92 milliard (+22 %). La France payera en partie la facture, le rabais de l’Allemagne est de son côté resté inchangé à 3,67 milliards.
Des ressources à inventer pour l’Europe
Pour rembourser les emprunts, l’Union européenne devra se doter de nouvelles ressources. Si le principe a été acté lors du sommet, les 27 ne se sont pas engagés sur la nature des recettes. Sur ce sujet, la règle de l’unanimité est de mise. Les dernières discussions sur la taxe Gafa européenne prouve que l’élaboration de ces ressources ne seront pas simples. Les États membres ont acté simplement le lancement dès 2021 d’une taxe sur les plastiques à usage unique, en lien avec le «pacte vert».
Les débats sur la taxe Gafa, sur une taxe carbone aux frontières (pour préserver la compétitivité des industries européennes appelées à diminuer leurs émissions) et sur une réforme des actuels « marchés à polluer » (Emission Trading System, ETS) attendront 2021 quand la Commission européenne détaillera ses propositions. Cette dernière estime que ces recettes pourraient atteindre 30 milliards d’euros par an.
L’accord du 21 juillet portant sur environ 4 % du PIB de l’Union européenne (en prenant à la fois les prêts et les subventions) peut contribuer à modifier en profondeur les règles de fonctionnement de l’Union en instituant une mécanique fédérale et une mutualisation de fait. Les ressources collectées par l’Union sont censées rembourser les prêts permettant les subventions aux Etats membres.
Cet aspect fédéral est en partie atténué par l’augmentation des ristournes budgétaires dont bénéficient certains États contributeurs nets au budget mais au-delà du dispositif choisi, la question de l’efficience des dépenses qui seront financées par le plan est évidemment clef. Les États auront la responsabilité de présenter des mesures pouvant contribuer à améliorer la croissance potentielle. Les autorités communautaires devront également veiller à la cohérence des différents plans nationaux. Le risque numéro 1 est évidemment le saupoudrage des crédits ainsi distribués. Un accord au niveau européen est évidemment un compromis. Les concessions accordées aux pays d’Europe du Nord sont donc de deux natures, l’augmentation de leur rabais et la diminution de certaines dépenses communautaires. Les crédits destinés à la défense seront ainsi réduits tout comme le programme Erasmus. La défense du continent n’a jamais été un objectif ni une priorité de l’Union qui comprend des États se considérant comme « neutres ». En outre, avec le départ du Royaume-Uni, elle ne peut désormais être pensée qu’en dehors de l’Union.
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