Europe cherche citoyens. Et plus si affinités. Ou moins.

Europe cherche citoyens. Et plus si affinités. Ou moins.

Dans une démocratie, le patron, c’est le peuple. Qu’est-ce que le peuple ? Ni le « Tiers-état » de Sieyès, ni « le métro » de Malraux, simplement la communauté des citoyens. Hélas, parfois, souvent, le peuple est réduit au public de l’eurovision ou d’autres ébats télévisuels.

Les élections convoquent l’ensemble les citoyens. Par un geste commun, celui de voter, ils marquent leur appartenance au Peuple. Ceux qui ne votent pas approuvent par avance les résultats de scrutin. Ils exercent leur droit de se taire, perdent un peu celui de critiquer.

Il y a un certain snobisme à ne pas voter : celui de se considérer au-dessus du commun des mortels, dénonciation paresseuse d’un « système » dont on ne sait par quoi il pourrait être remplacé.

Voter ne signifie ni adhésion au « système », ni adhésion au parti pour lequel on vote

La démocratie, que ce soit au Mexique, en Inde, en Afrique du Sud, aux Etats-Unis, en Europe, est une exception dans l’histoire. Bien des commentateurs annoncent son trépas sous les coups de boutoir de la coalition des autocrates, et de leurs affidés locaux, idiots utiles ou stipendiés. Pourtant, que ce soit en Russie, en Iran, au Venezuela, en Algérie ou en Chine, même les dictatures ont besoin de se donner une apparence démocratique.  

Voter ne signifie ni adhésion au « système », ni adhésion au parti ou personnes pour lesquelles on vote. Il signifie d’abord que l’on préfère un régime démocratique à n’importe quel autre. Ensuite, on ne choisit un candidat que de préférence à toutes les autres. Rien de plus.

En France, plus de trente-sept listes ont été déposées. De quoi faire son choix ?  Peut-être n’y en a-t-il aucune qui correspond vraiment à ce que l’on souhaite. D’autant que la liste des souhaits change. La contradiction vit en chaque électeur; le démagogue a du mal à suivre le vent, il tourne.

Ceux qui hier soutenaient le Brexit et Poutine (mais Poutine soutenait le Brexit), ont changé d’avis, du moins en apparence. Ils ont bien fait, puisqu’ils sont en tête des sondages. Paradoxe : les mêmes sondages montrent que l’adhésion des peuples à l’Union européenne est un acquis. Peut-être est-ce parce que c’est un acquis que les électeurs se permettraient de donner une prime aux antieuropéens historiques.

La France est en pointe dans cet euroscepticisme, toujours en tête de la déprime. Plus de 60% des Européens sont optimistes quant à l’avenir de l’Europe. Les plus positifs sont les Irlandais, voisins des Brexiters  (83%), les plus négatifs les Français (47%)

Plus de 70% soutiennent les mesures prises pour soutenir l’Ukraine, 70% une politique commune sur l’immigration, 80% une politique énergétique européenne indépendante des hydrocarbures. Le soutien à une Europe plus indépendante, une « Europe européenne » disait De Gaulle, est constant.

Peut-être les sondages mentent-ils ? Ce soutien à la nécessité de renforcer l’Union ne se retrouverait pas dans les urnes. Selon les projections, les antieuropéens ne seraient pas loin de la majorité si l’on additionnait ceux de l’extrême droite à ceux de l’extrême gauche.

37.000 fonctionnaires à Bruxelles. Moins qu’au ministère de l’agriculture ou à la mairie de Paris.

Pourquoi cette défiance ? Dénoncer la bureaucratie bruxelloise est un lieu commun. C’est vrai : 37.000 fonctionnaires à Bruxelles. Pour 445 millions d’Européens. Moins qu’au ministère de l’agriculture ou à la mairie de Paris.

Ce qui est excessif, c’est l’excès de réglementation. Mais la folie réglementaire, si elle est aussi européenne, n’est-elle pas française ?  400 000 normes s’appliquent en France. Le Code du travail compte 11 176 articles, (+ 224 % depuis 2002); celui du commerce, 7 008 articles, (+365 %); de l’environnement, 6 898 articles, (+ 689 %); de la consommation, 2 105 articles, (+ 333 %). L’augmentation du nombre moyen de mots par loi depuis 2002 atteint 83 % : 400 000 mots en plus par an, plus de 33 000 chaque mois. La faute à l’Europe ? Vraiment pas ! Il suffit de se comparer les législations françaises à celles de nos voisins européens.

Cette inflation de normes coûte au moins 3 % du PIB, soit 84 milliards d’euros, selon un rapport gouvernemental.  Curieusement, il n’y a pas de candidats qui proposent moins de réglementations, c’est-à-dire une politique un peu plus libérale, tant le libéralisme serait un gros mot, tant l’Europe serait « ultralibérale ». L’inculture politique est le danger démocratique.

Contre l’Europe, caricatures et fake news fleurissent. 

Ne dit-on pas que 80% des lois sont européennes ? Une bonne raison d’aller voter, si c’était vrai. Mais c’est aussi stupide que de considérer que l’état de droit est imposé par la Convention européenne alors que la constitution française y suffit, heureusement. Non : 80% des lois ne trouvent pas leur origine à Bruxelles. C’est une vieille fake news de Delors. Ce serait un extraordinaire exercice de simplification que de s’en remettre aux seules règles européennes ! En matière économique comme pour les droits de citoyens, quelle libération !

Contre l’Europe, les caricatures fleurissent. Politique commerciale naïve, frontières passoires, monnaie étouffante, l’Europe serait la cause de déclin de la France, de la ruine grecque, du décrochage par rapport aux États-Unis, de la guerre en Ukraine, de l’ascension de la Chine et de la misère des pays pauvres.

Il y a 20 ans, dix pays (Chypre, Estonie, Hongrie, Lettonie, Lituanie, Malte, Pologne, Slovaquie, Slovénie et Tchéquie)  adhéraient à l’UE. La Roumanie avait à l’époque un PIB de 74 milliards d’euros, il est aujourd’hui 4 fois plus élevé, au-dessus de 300 Mds. Celui de la Pologne est passé de 255 à 690 Mds. Tous les membres de l’UE, y compris la Bulgarie, ont un PIB par habitant supérieur à celui de la Russie, largement dépassée. On comprend que Poutine ne veuille pas d’un tel exemple pour l’Ukraine.

La notation de la France a été dégradée. Les taux d’emprunt français n’ont pas bougé. Grâce à l’Europe.

L’Europe, commercialement, est en excédent. Le déficit français est un cas à part. La faute à une structure d’Etat, une politique fiscale, réglementaire, sociale, qui handicape depuis des lustres l’économie française, tire les salaires vers le bas, plombe les entreprises et leurs capacités d’exportation, à l’exception des grands groupes, qui font leur chiffre d’affaires ailleurs.

La notation de la France a été dégradée par Standard and Poor’s. Pourquoi n’est-elle pas sanctionnée par les marchés, contrairement à ce qu’avait dû subir le Royaume-Uni, au point de changer de Première ministre ? Les taux d’emprunt français n’ont pas bougé. Grâce à l’Europe.

Les Américains empruntent à 4.5%, ils ont le dollar. La France à 3.10% : l’euro.  Sur 285 milliards d’emprunts, cette petite différence de 1.4% représente 4 milliards. Et encore, si le Nouveau Franc avait la solidité du dollar… Par comparaison, l’ensemble du budget des affaires étrangères (dont la coopération, les contributions internationales, les opérations extérieures) représente 6 milliards.

À chaque crise, la mort de l’Europe est avancée : Brexit, crise de la Grèce, Covid, Ukraine. À chaque fois les augures eurosceptiques se réjouissent. Et se trompent. L’Europe se renforce à chaque crise : emprunt commun depuis le Covid, fonds pour l’industrie de défense, commandes communes pour la santé, crises migratoires.

Dans le monde actuel, l’indépendance d’un pays repose sur sa capacité d’action ; il doit avoir plusieurs politiques possibles. C’est la capacité d’adaptation, de réaction, la pluralité des choix qui renforce l’indépendance. L’Europe, par ses solidarités, par son pragmatique, multiplie les possibles. Renversement des approvisionnements de gaz après la crise russe, sauvetage de la Grèce, riposte conjointe à la Russie : L’Europe est un multiplicateur, par le nombre et la diversité des Etats, parce qu’elle lie agriculture et énergie, immigration et intelligence économique, droit des peuples et droits du citoyen, selon des standards communs.

Si l’on a au Parlement européen des députés qui méprisent l’Europe, alors l’Europe tombera, par la seule force de l’inertie.   

Encore le droit, toujours le droit. Dans la bataille mondiale des normes, l’Europe s’impose. Lors des prochaines crises – il n’existe pas de monde ni de vie sans crise – si l’on a au Parlement européen des députés qui méprisent l’Europe, alors l’Europe tombera, par la seule force de l’inertie. Cette fois, les eurosceptiques auront eu raison. Ils auront saboté l’Union européenne, patiemment construite depuis 1958, de l’intérieur. Tout le monde sentira la chute. Les Européens, le monde entier. Car elle est un facteur de stabilité dans le monde.

Chacun a le droit de ne pas aller voter. Ce droit existe parce qu’il y a un état de droit. Mieux vaut ne pas le perdre.

Une majorité d’abstention, c’est triste, même si c’est un signe de confiance aveugle de la part de ceux qui ne votent pas à ceux qui votent. En espérant, pour les Français de l’étranger, que l’administration qui veille sur eux facilite l’exercice de ce droit. En démocratie, ce sont les citoyens qui décident. S’ils veulent bien en faire l’effort.

Laurent Dominati
Laurent Dominati

Laurent Dominati

a. Ambassadeur de France

a. Député de Paris

Président de la société éditrice du site Lesfrancais.press

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