Des émeutes font rage depuis lundi 13 mai en Nouvelle-Calédonie. Après deux nuits de violence, les tensions ne s’apaisent pas. Emmanuel Macron a demandé au gouvernement de décréter l’état d’urgence dans ce territoire d’Outre-mer.
En cause, l’examen lundi et le vote dans la nuit de ce mardi à mercredi à l’Assemblée d’une révision constitutionnelle visant à élargir le corps électoral propre au scrutin provincial de Nouvelle-Calédonie. On fait le point sur la situation et on vous explique pourquoi cette réforme a ravivé les tensions dans l’archipel.
Mobilisation indépendantiste
Les premières altercations avec les forces de l’ordre ont commencé le lundi 13 mai dans la journée, en marge d’une mobilisation indépendantiste contre la réforme constitutionnelle examinée à l’Assemblée nationale. De violents affrontements ont ensuite eu lieu une première nuit, de lundi à mardi, dans le territoire français situé dans l’océan Pacifique, dont au sein de sa capitale, Nouméa.
Le haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie, Louis Le Franc, avait alors rapporté « des tirs tendus avec armes de gros calibre, des carabines de chasse, sur les gendarmes », sur la commune du Mont-Dore, ville située dans le sud-est de l’île principale, près de Nouméa. Ce dernier a également indiqué que des maisons avaient été brûlées, des commerces et des pharmacies détruits.
Malgré le couvre-feu décrété pour la nuit de mardi à mercredi par le haut-commissariat de la République, les violences ont persisté. Une deuxième nuit d’émeutes a éclaté faisant au moins deux morts dont une tuée par balle dans l’agglomération de Nouméa.
Les « circonstances » dans lesquelles une personne a été tuée par balles dans la nuit de mardi à mercredi restent à « préciser », a précisé le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, sur RTL ce mercredi avant que la deuxième mort soit annoncée.
Le ministre a également affirmé que des « centaines » de personnes ont été blessées dans les violences en Nouvelle-Calédonie, dont une « centaine » de policiers et gendarmes. Des « dizaines » de « maisons, d’entreprises » ont été brûlées, a-t-il ajouté.
140 interpellations ont eu lieu dans la seule agglomération de Nouméa, selon le Haut-commissaire de la République, Louis Le Franc, qui a de nouveau appelé au calme ce mercredi matin estimant que « l’heure est très grave ».
Un corps électoral tronqué ?
Pour comprendre ce qui se joue en Nouvelle-Calédonie, il faut revenir sur le système électoral local. Il répond à une organisation atypique, issue de l’accord de Nouméa signé en 1998 puis d’une réforme constitutionnelle de 2007.
Lors de l’élection provinciale, qui détermine le gouvernement local, tout le monde ne peut pas voter. Le corps électoral se limite essentiellement aux électeurs inscrits sur les listes pour la consultation de 1998 et à leurs descendants. Les résidents arrivés après 1998 et d’autres natifs en sont donc exclus.
Cette spécificité répondait à une inquiétude des indépendantistes kanaks. Ils estiment que le peuplement colonial les a rendus minoritaires sur leur propre territoire, et craignaient de ne pouvoir faire entendre leur voix, selon Nouvelle-Calédonie La 1ère. L’accord de Nouméa permettait de leur assurer un poids électoral plus élevé, dans une logique de décolonisation.
Une révision contestée
Au fil des années, ces conditions restrictives ont augmenté la proportion d’électeurs privés de droit de vote au scrutin provincial alors qu’ils sont autorisés à voter aux élections nationales (présidentielle, municipales…).
En 2023, cela concernait ainsi près d’un électeur sur cinq, contre seulement 7,5% en 1999, une situation « contraire aux principes démocratiques et aux valeurs de la République », selon le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin.
Pour y remédier, le gouvernement souhaite élargir le corps électoral avec un système toujours restreint mais « glissant », en l’ouvrant à tous les natifs et aux personnes domiciliées sur le territoire calédonien depuis au moins dix ans. Environ 25.000 électeurs pourraient alors intégrer la liste électorale. Le prochain scrutin provincial est censé se tenir avant le 15 décembre.
Les indépendantistes, opposés à la réforme, accusent l’État de vouloir « minoriser » encore plus le peuple autochtone kanak », qui représentait 41,2% de la population de l’archipel au recensement de 2019, selon l’Insee.
Ce débat intervient aussi dans un contexte de tensions entre les partisans et les opposants à l’indépendance de la Nouvelle-Calédonie. Trois référendums ont déjà eu lieu et vu le camp du non remporté (les indépendantistes ayant boycotté le dernier scrutin).
« L’État veut passer en force », dénonçait le sénateur indépendantiste kanak Robert Xowie (groupe communiste) auprès du Monde en mars, en rappelant que « le corps électoral est l’essence même du processus novateur de décolonisation » enclenché par les accords de Nouméa (1998).
LFI veut le retrait du texte
Ce projet de loi, adopté, avec des modifications, par le Sénat le 2 avril, a été à son tour voté par l’Assemblée nationale dans la nuit de ce mardi à mercredi. Le projet du loi du gouvernement a été adopté par 351 voix contre 153, les députés de gauche s’opposant à son adoption. La France insoumise appelle ce mercredi à « retirer en urgence » ce texte.
Le RN et Les Républicains ont largement voté pour, comme l’écrasante majorité du camp présidentiel, à l’exception d’une poignée de députés MoDem. Pour être définitivement adoptée, la révision constitutionnelle doit maintenant être soumise à tous les parlementaires réunis en Congrès à Versailles. Une majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés sera alors nécessaire.
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