Donner corps à une Europe « plus affirmée », capable d’améliorer sa compétitivité et sa souveraineté dans un monde toujours plus hostile. Telles sont les principales lignes directrices présentées par Ursula von der Leyen au nouveau collège des commissaires le 10 septembre.
L’Europe perd du terrain dans la course au numérique qui transforme l’économie et la société au sens large. La Chine est désormais considérée comme un « rival systémique » et les États-Unis ne constituent plus un partenaire fiable depuis l’élection de Donald Trump, Washington étant toujours prête à intensifier la guerre commerciale contre l’Europe.
C’est la raison pour laquelle la protection de la souveraineté de l’Europe – et de sa puissance économique – doivent figurer en tête de l’agenda de la nouvelle équipe de commissaires, selon Ursula von der Leyen.
À cette fin, la présidente élue a procédé à un remaniement des priorités au sein des différentes directions générales de la Commission et pris des mesures pour s’assurer que la voix de l’Europe sera entendue dans un monde plus compétitif.
La préservation de la souveraineté européenne constituait l’un des thèmes majeurs du premier discours d’Ursula von der Leyen devant le parlement européen en juillet dernier. Et le principal promoteur de cet objectif est le président français Emmanuel Macron, qui fut l’un de ses premiers soutiens.
« La France s’identifie pleinement aux thèmes que vous avez mentionnés dans votre discours : une Europe plus unie, plus souveraine, plus démocratique », a-t-il déclaré en juillet dernier, lorsqu’il recevait la présidente élue à Paris.
L’idée d’Emmanuel Macron a trouvé écho, car la pression extérieure venant des États-Unis et de la Chine, de même que des enjeux internes concernant l’industrie ou l’approfondissement de l’union économique, ont contribué à créer un terrain favorable.
Dans sa lettre de mission adressée à Josep Borrell, le nouveau chef de la diplomatie européenne, Ursula von der Leyen insiste sur le fait que l’UE doit être « plus stratégique, plus affirmée et plus unie dans son approche des relations extérieures ».
« Nous devons utiliser notre puissance diplomatique et économique pour soutenir la stabilité globale et la prospérité, et aussi nous montrer plus compétitifs et mieux à même d’exporter nos valeurs et nos normes », a-t-elle ajouté.
Cette Commission sera « géopolitique », a-t-elle déclaré à ses nouveaux commissaires.
Sylvie Goulard
Le choix de la France de nommer Sylvie Goulard pour la représenter au sein de la nouvelle Commission s’avérera fondamental dans le cadre des initiatives destinées à protéger la souveraineté de l’Europe.
Elle mènera la nouvelle stratégie pour la renaissance industrielle de l’Europe, qui doit permettre de protéger le marché interne des subventions étrangères constituant une concurrence déloyale. D’autres pratiques inéquitables sont également dans la ligne de mire, telles que les accès aux marchés publics, une obsession pour Paris.
Sylvie Goulard dirigera aussi les réflexions de la Commission « sur des sujets tels que la souveraineté technologique européenne dans les filières clés, incluant le secteur spatial et celui de la défense, les normes communes et les tendances futures », écrit la présidente élue dans sa lettre.
La nouvelle commissaire sera également chargée de faire avancer l’industrie européenne de défense en renforçant la coopération entre les États membres, une autre préoccupation d’Emmanuel Macron.
Valdis Dombrovskis
Valdis Dombrovskis aura quant à lui la rude tâche de maintenir l’économie européenne la tête hors de l’eau dans un contexte global tendu.
Dans sa lettre au nouveau vice-président de la Commission, Ursula von der Leyen écrit qu’il devra « assurer une situation équitable dans nos relations avec d’autres partenaires, en promouvant la compétitivité et l’autonomie stratégique dans les filières clés ».
« Vous devriez ainsi porter une attention particulière à nos relations commerciales et économiques avec nos concurrents et nos partenaires stratégiques », ajoute-t-elle.
Pour la présidente élue, les dimensions européennes internes et externes sont « les deux faces d’une même médaille », car mettre de l’ordre dans les affaires de l’UE devrait aussi permettre de renforcer son poids sur la scène internationale.
C’est pourquoi Valdis Dombrovskis travaillera en priorité sur l’approfondissement de l’union économique et monétaire, en finalisant l’union bancaire et l’union des marchés de capitaux.
Ces deux priorités, de même que la création d’actifs sûrs en euros, sont considérées comme cruciales pour renforcer le rôle international de l’Euro comme monnaie de réserve. Cet objectif constitue la tentative la plus évidente de l’Europe de montrer ses muscles au-delà de ses frontières, en particulier face aux États-Unis et au dollar.
Margrethe Vestager
Margrethe Vestager, qui a été promue au poste de vice-présidente exécutive, jouera aussi un rôle crucial à cet égard, en tant commissaire chargée du numérique, mais aussi de la concurrence, pour un deuxième mandat.
Ce choix pourrait être perçu comme un revers pour ceux qui, comme la France, voulaient réformer les lois antitrust de l’UE afin de permettre la création de « champions européens » capable de tenir tête à des concurrents américains et chinois.
Margrethe Vestager n’a pas seulement bloqué la fusion Alstom-Siemens, elle s’est aussi opposée à la proposition franco-allemande de revoir les règles de la concurrence européenne.
Certains membres de sa famille libérale, tels que l’eurodéputé Luis Garciano, ont cependant réclamé une certaine latitude pour que les champions européens du numérique puissent entrer en compétition avec des géants comme Facebook, Google, Alibaba ou Huawei.
Sur ce point, Ursula von der Leyen n’a donné que de vagues instructions à la Danoise.
Dans sa lettre de mission à la nouvelle commissaire, elle écrit que l’Europe « doit se concentrer sur le maintien de [son] leadership numérique dans les domaines où [elle] est en tête, rattraper [son] retard dans les secteurs où [elle] est à la traîne, et agir en priorité dans le domaine des nouvelles technologies. »
« Cela constituera un élément clé du renforcement de notre leadership technologique et de notre autonomie stratégique », ajoute la présidente élue, soulignant que les règles et la politique de concurrence doivent correspondre à l’économie d’aujourd’hui.
Elle ajoute cependant que « nous avons besoin d’entreprises qui luttent à armes égales et de consommateurs qui peuvent bénéficient de prix plus bas, d’un meilleur choix et d’une meilleure qualité. » Les compagnies européennes ne devraient pas devenir plus concurrentielles à l’étranger en ayant moins de concurrence au sein de l’UE.
Avec Valdis Dombrovskis, Margrethe Vestager codirigera le travail sur la nouvelle stratégie à long terme pour la politique industrielle de l’Europe, supervisant ainsi le travail de Sylvie Goulard.
Paolo Gentiloni
L’influence économique de l’Europe à l’étranger dépendra cependant de l’état de sa propre économie.
L’ancien président du Conseil italien, Paolo Gentiloni, a été choisi par Ursula von der Leyen pour contrôler les budgets nationaux, mais aussi pour s’assurer que l’application du pacte de stabilité et de croissance – les règles budgétaires de l’UE – tire parti de « toute la flexibilité autorisée » pour parvenir à une position budgétaire plus favorable à la croissance dans la zone euro et à stimuler l’investissement, tout en sauvegardant la responsabilité budgétaire ».
Le choix de Paolo Gentiloni comme commissaire à l’économie pourrait en surprendre plus d’un, étant donné que l’économie italienne est l’une des moins performantes de l’UE, affichant une stagnation de la production. Le pays est menacé d’une nouvelle procédure de sanction en raison du niveau élevé de sa dette, qui atteint plus de 132 % de son PIB.
Rome avait été sommé par la Commission sortante d’équilibrer son budget l’an prochain. Mais la nouvelle coalition au pouvoir entend réduire les impôts et augmenter les dépenses avec un nouveau revenu minimum.
Le dossier italien sera l’un des plus brûlants pour Paolo Gentiloni lorsqu’il entrera en fonction le 1ernovembre prochain.
« Les taux d’endettements élevés sont une source de risque et de contraintes pour les gouvernements qui offrent une stabilisation macroéconomique lorsque cela s’avère nécessaire. Vous devriez trouver le moyen de contrôler les taux d’endettements dans les secteurs public et privé », écrit Ursula von der Leyen dans sa lettre au politicien italien.
Selon l’organigramme de la Commission, Valdis Dombrovskis, qui a défendu une rigueur budgétaire durant son précédent mandat, aura le dernier mot face à Paolo Gentiloni, car il a été promu au rang de vice-président exécutif.
Ursula von der Leyen a cependant fait savoir le 9 septembre que toute décision finale serait prise par le collège dans son ensemble.
Phil Hogan
La présidente élue veut donner une grande impulsion à la dimension externe de son collège, réclamant davantage de travail préparatoire de la part de ses commissaires avant leurs rencontres hebdomadaires.
En tant que commissaire au commerce, Phil Hogan sera chargé d’établir de nouvelles relations économiques au-delà des frontières.
Disposant de l’un des plus grands et des plus riches marchés intérieurs, l’Europe attire les exportateurs comme un aimant. Elle veut pouvoir tirer un meilleur parti de cet avantage pour en faire un « atout stratégique ».
« Cela nous permet de construire des partenariats, de protéger notre marché de pratiques déloyales et d’assurer que nos valeurs et nos normes sont respectées », écrit Ursula von der Leyen dans sa lettre à Phil Hogan.
La présidente élue veut tirer parti de cette influence pour réformer l’Organisation mondiale du Commerce afin de mieux protéger l’Europe contre les pratiques commerciales déloyales, et renforcer les moyens à sa disposition contre les subventions et les mesures illégales adoptées par des pays tiers.
Cette position plus affirmée pourrait aider l’Europe à instaurer un partenariat mutuellement profitable avec une administration Trump quelque peu brutale. Cela pourrait aussi mettre un frein aux pratiques déloyales de la Chine et contribuer à la conclusion d’un accord d’investissement avec Pékin d’ici à la fin de l’année.
Le premier et plus grand défi que devra relever Phil Hogan se trouve cependant de l’autre côté de la Manche.
Le commissaire irlandais sera chargé de négocier un nouvel accord d’association avec Londres au moment où la date d’une sortie désordonnée de l’UE se rapproche pour le Royaume-Uni, ce qui ravive le risque d’un retour à une frontière physique avec l’Irlande et pourrait être à l’origine de tensions dans la région.
Ursula von der Leyen a loué les talents de négociateur démontrés par Phil Hogan dans son rôle actuel de commissaire à l’Agriculture.
« Je sais que Phil Hogan est un excellent et très juste négociateur », a-t-elle déclaré à la presse le 10 septembre.
Le Brexit mettra à l’épreuve la Commission d’Ursula von der Leyen, permettant de voir jusqu’où elle est prête à aller pour protéger ses intérêts et ses valeurs, ses citoyens et ses entreprises, dans un monde plus fragmenté et polarisé.
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