Si, comme l’affirme Donald Trump, l’Union européenne (UE) a été créée « pour flouer les États-Unis », nul ne l’avait encore constaté. Certes, l’UE dégage un excédent commercial de plus de 2 000 milliards de dollars avec les États-Unis, mais ce chiffre ne reflète qu’une partie des échanges entre ces deux grands blocs économiques. Les États-Unis affichent en effet un important excédent dans les services, porté par leur domination dans les technologies de l’information et de la communication.
Par ailleurs, une part non négligeable du déficit commercial américain vis-à-vis de l’UE est d’ordre comptable : elle tient à la localisation des bénéfices de nombreuses multinationales américaines en Irlande, pour des raisons fiscales. De plus, les entreprises européennes investissent massivement outre-Atlantique, ce qui contribue à résorber ce déficit. En 2023, le stock d’investissements directs étrangers (IDE) européens aux États-Unis a dépassé les 2 000 milliards de dollars, soit près de 40 % du total des IDE reçus par l’économie américaine — contre un tiers dix ans plus tôt.
Les entreprises européennes emploient quelque 3,5 millions de salariés aux États-Unis.
Les entreprises européennes emploient quelque 3,5 millions de salariés aux États-Unis, un chiffre supérieur à celui des effectifs américains travaillant pour des groupes européens. Selon l’association allemande de l’industrie automobile, ses membres à eux seuls comptent 140 000 salariés répartis sur 2 000 sites industriels, pour une production annuelle de 900 000 véhicules.
Malgré cette contribution significative à l’économie américaine, les entreprises européennes sont désormais dans le collimateur de Donald Trump. Ce dernier a menacé d’imposer, dès le 1er juin, des droits de douane de 50 % sur les produits européens. Si des pressions diplomatiques ont permis de suspendre temporairement cette mesure jusqu’au 9 juillet, et si un tribunal américain a remis en question l’étendue des prérogatives présidentielles en matière tarifaire, l’incertitude suscitée inquiète les dirigeants européens qui s’interrogent sur la pertinence de leur exposition au marché américain.
Selon Morgan Stanley, en moyenne, les entreprises cotées dans l’UE réalisent près de 20 % de leur chiffre d’affaires aux États-Unis. Certaines, comme EssilorLuxottica ou Novo Nordisk, y sont bien plus dépendantes. Même celles qui y produisent localement dépendent encore fortement de chaînes d’approvisionnement mondialisées, et pourraient subir de plein fouet une hausse des droits de douane.
Certains groupes envisagent une réorientation vers d’autres marchés, notamment en Asie du Sud-Est ou en Amérique latine.
Face à ce durcissement du climat commercial, certains groupes envisagent une réorientation vers d’autres marchés, notamment en Asie du Sud-Est ou en Amérique latine. Durant la dernière décennie, les entreprises européennes ont fait le choix des États-Unis, séduites par la vigueur de leur croissance et, dans certains secteurs, par les subventions fédérales. À l’inverse, leurs investissements en Chine ont marqué le pas, freinés par le ralentissement économique, la montée des tensions géopolitiques et la concurrence des acteurs locaux.
La part des ventes des entreprises européennes en Chine reste inférieure à 10 %, tandis que celle générée aux États-Unis ne cesse de croître. Quelques groupes — Sanofi ou Siemens, par exemple — poursuivent néanmoins leur expansion américaine. Sanofi bénéficie d’un actionnariat largement américain. Siemens, déjà bien implanté dans les 50 États, y emploie plus de 45 000 personnes. Mais d’autres entreprises se montrent plus prudentes. Une enquête récente de la Chambre de commerce et d’industrie allemande révèle que 24 % des entreprises envisagent d’augmenter leurs investissements aux États-Unis… tandis que 29 % projettent au contraire de les réduire.
La réorientation des échanges n’a toutefois rien d’évident. Le marché américain, proche culturellement et juridiquement, reste attractif. À l’inverse, le marché chinois demeure complexe, avec des barrières réglementaires, des restrictions sur les données et des exigences de transfert de technologie. Les marges y sont faibles et la concurrence locale féroce. L’environnement est, de surcroît, de plus en plus marqué par le nationalisme économique et une préférence ouverte pour les produits locaux.
La diversification géographique devient un impératif stratégique.
L’exposition géographique des entreprises européennes varie fortement. Les groupes néerlandais réalisent 42 % de leur chiffre d’affaires aux États-Unis, contre seulement 8 % pour les entreprises italiennes. En Chine, les entreprises allemandes tirent 13 % de leur chiffre d’affaires, contre seulement 2 % pour les groupes espagnols. Les entreprises françaises, quant à elles, sont structurellement plus présentes aux États-Unis qu’en Chine.
Dans ce contexte, la diversification géographique devient un impératif stratégique. Des pays comme le Vietnam, le Brésil, le Chili, l’Uruguay ou encore plusieurs États d’Afrique — Nigeria, Côte d’Ivoire, Éthiopie, Mozambique, Sénégal — suscitent un intérêt croissant. Ces marchés, encore émergents, offrent des perspectives de croissance et un accès souvent plus ouvert aux entreprises étrangères.
Face à l’imprévisibilité de la politique commerciale américaine et à la complexité croissante du marché chinois, les entreprises européennes n’ont d’autre choix que de réinventer leur géographie économique. La diversification devient une condition de résilience, non seulement pour limiter les risques géopolitiques, mais aussi pour capter les nouvelles dynamiques de croissance mondiale. L’avenir du capital européen pourrait bien se jouer dans ces « nouveaux Suds », là où se dessine une autre carte de la mondialisation.
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