Depuis plusieurs années, les relations entre la France et le Royaume-Uni ont été marquées par des périodes de tension, notamment à la suite du Brexit. Cependant, un élan nouveau semble aujourd’hui souffler de part et d’autre de la Manche ; avec une volonté commune de réinventer le partenariat franco-britannique. C’est dans cet esprit qu’a pu s’organiser la visite d’État du président Emmanuel Macron à Londres. Si plusieurs initiatives ont été mises en avant afin de resserrer les liens historiques et stratégiques entre les deux pays, c’est bien le retour de l’Entente cordiale qui se trouvait en filigranes de ce déplacement. Lesfrancais.press a pu suivre ce déplacement présidentiel.
Vers des nouvelles relations France – Royaume-Uni ?
C’est ainsi que le président français Emmanuel Macron et son épouse Brigitte ont été accueillis mardi avec faste par le roi Charles III et la reine Camilla, donnant le coup d’envoi d’une visite d’État de trois jours placée sous le signe du renouveau des relations franco-britanniques.
Les honneurs militaires ont alors débuté dès l’arrivée du couple présidentiel à la base aérienne de Northolt, à l’ouest de Londres, où les attendaient le prince et la princesse de Galles. Le cortège s’est ensuite dirigé vers le château de Windsor pour une cérémonie solennelle, prélude d’une séquence hautement symbolique : Emmanuel Macron devait prendre la parole au cœur même de la démocratie parlementaire britannique.
Une relation franco-britannique en reconstruction
S’exprimer à Westminster, c’est fouler un sol chargé d’histoire, s’inscrire dans une tradition séculaire où très peu de chefs d’État étrangers ont eu le privilège de s’exprimer. Soixante-cinq ans après le discours fondateur du général de Gaulle, le président français a choisi, lui aussi, d’élever la voix pour raviver une flamme. Au cours de son allocution, il a défendu l’idéal d’une Europe forte, démocratique et solidaire, tout en appelant à une relation franco-britannique « réinventée, sans nostalgie, mais avec ambition ».
C’est aussi le souhait exprimé par une des opposantes au Président, Charlotte Minvielle Co-Secrétaire des Écologistes au Royaume-Uni. La candidate aux législatives de 2024 indique que « Le rapprochement entre la France et le Royaume-Uni après le Brexit est un signal positif, mais il doit s’accompagner de mesures concrètes, notamment pour faciliter la mobilité et garantir les droits des Européens ».
Au cœur des discussions avec le Premier ministre Keir Starmer : le dossier sensible de l’immigration clandestine, notamment les traversées de la Manche à bord d’embarcations de fortune. Downing Street a rappelé que la coopération franco-britannique était « essentielle pour affronter ce défi commun ». Si les divergences d’approche subsistent, une volonté politique nouvelle souffle des deux côtés du Channel.
Ainsi, Paris envisage pour la première fois un ajustement de sa doctrine maritime, jusque-là rigide, à condition de garanties juridiques solides. L’idée d’un mécanisme de dissuasion, sur le modèle d’un échange « un pour un » — renvoi vers la France contre accueil en retour de demandeurs d’asile — est évoquée, même si ses contours restent flous. « Nous devons aller plus loin, avec des solutions innovantes pour briser le modèle économique des passeurs », affirme un communiqué conjoint.
Du côté des Écologistes français, la réaction à cette ambition est ma suivante : « Sur la politique migratoire, il est temps de rompre avec les logiques répressives et de créer des voies sûres et un accueil digne ». Charlotte Minvielle ajoutant également : « sur la Palestine, les déclarations du président Macron manquent de cohérence : il peut agir pour reconnaître un État palestinien mais choisit de ne pas le faire. »
Au cours de son discours, et dans un anglais précis, teinté d’un humour tout français, Emmanuel Macron a raillé « l’amour ambigu des Français pour la monarchie, à condition qu’elle ne soit pas chez eux », déclenchant les rires des parlementaires. Mais très vite, le ton s’est fait grave. Le président a plaidé pour un cessez-le-feu immédiat à Gaza, réaffirmé un soutien indéfectible à l’Ukraine et souligné l’urgence de défendre le multilatéralisme face aux vents mauvais du temps.
Une émotion partagée
De la solennité à l’émotion, il n’y a eu qu’un pas. Le recueillement du couple présidentiel devant les statues de Churchill et de De Gaulle, dans le quartier de Westminster, a cristallisé cette mémoire partagée, faite de luttes communes, de respect mutuel et de grandeur passée.
Pour Patricia Connell, présidente du Conseil consulaire à Londres, elle y voit « un tournant majeur » : la dernière visite d’État d’un président français au Royaume-Uni remonte à 2008. « C’est la première depuis le Brexit, ce n’est pas un hasard », souligne-t-elle.
Une communauté française oubliée ?
Mais tout n’a pas été harmonieux. La communauté française installée outre-Manche regrette de ne pas avoir été associée à cette séquence diplomatique. Le député Vincent Caure a exprimé une certaine déception : « J’aurais aimé une grande rencontre avec les Français du Royaume-Uni. Mais je comprends que l’agenda ait privilégié les enjeux stratégiques. »
« J’aurais aimé une grande rencontre avec les Français du Royaume-Uni. Mais je comprends que l’agenda ait privilégié les enjeux stratégiques »
Vincent Caure, député des Français d’Europe du Nord
Toutefois, l’association CIPL, regroupant des parents d’élèves du Lycée français Charles-de-Gaulle à Londres, a profité de l’occasion pour alerter le chef de l’Etat sur les effets de la TVA britannique sur les écoles privées, un sujet très concret qui touche directement les familles expatriées.
Un "National Trust à la française"
Parmi les annonces culturelles, la ministre Rachida Dati a dévoilé un projet structurant : la création d’un « National Trust à la française », inspiré du modèle britannique. Ce nouvel organisme, à but non lucratif, viserait à préserver les 45 000 monuments historiques français grâce à un modèle de financement autonome et de bénévolat. Un protocole a été signé avec les institutions patrimoniales britanniques, scellant une coopération culturelle inédite.
Défense, IA : une alliance d’avenir
Sur le plan stratégique, les ministres de la Défense, Sébastien Lecornu et John Healey, ont évoqué une actualisation des accords de Lancaster House, socle de la coopération militaire franco-britannique. Objectif : mieux faire face aux menaces hybrides, du Donbass à la mer Rouge.
Côté innovation, Emmanuel Macron a insisté sur l’urgence d’unir les forces dans le domaine de l’intelligence artificielle. Lors d’un échange à l’Imperial College de Londres, il a reconnu : « L’Europe est en retard. Mais si deux pays peuvent combler cet écart, ce sont la France et le Royaume-Uni. » Un laboratoire commun avec le CNRS et plusieurs accords de recherche ont ainsi été signés dans cette optique.
Banquet à la City, clin d’œil européen
Le banquet organisé mercredi soir à Guildhall, en présence du gratin financier londonien, a donné à Emmanuel Macron l’occasion d’exprimer une vision plus audacieuse encore.
« L’avenir ne s’écrit pas dans la nostalgie, mais dans l’ouverture »
Emmanuel Macron, président de la République française
Évoquant le Brexit comme une page tournée, il a tendu une perche à peine voilée : « L’avenir ne s’écrit pas dans la nostalgie, mais dans l’ouverture. » Le maire de la City a lui aussi plaidé pour un renforcement des liens économiques entre les deux capitales.
Royaume-Uni – France : une saison culturelle bilatérale
Clin d’œil historique, l’un des joyaux du patrimoine français s’apprête à faire le voyage inverse : la tapisserie de Bayeux sera exceptionnellement exposée au British Museum entre 2026 et 2027. En échange, des trésors du site de Sutton Hoo traverseront la Manche pour rejoindre la France. Le millénaire de la naissance de Guillaume le Conquérant servira aussi de toile de fond à une vaste saison culturelle bilatérale.
Une nouvelle entente cordiale ?
Jeudi 10 juillet, le 37e sommet franco-britannique marquera le point culminant de cette visite d’État. Aux côtés de Keir Starmer, Emmanuel Macron y retrouvera plusieurs partenaires européens, dont Volodymyr Zelensky, Friedrich Merz et Giorgia Meloni. Défense, économie, intelligence artificielle, climat, migrations : les dossiers sont nombreux, les attentes élevées.
Mais au-delà des mots, des poignées de main et des sourires, c’est un changement de ton qui s’est imposé. Une volonté commune de dépasser les crispations post-Brexit, de bâtir une relation moins défensive, plus confiante, tournée vers l’action. Comme si l’histoire, lassée des faux départs, offrait aux deux nations une page blanche — à remplir non de promesses, mais de projets.
Auteur/Autrice
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Alexander Seale est franco-britannique. Né et habitant au Royaume-Uni, il est correspondant pour lesfrancais.press, LCI (France) et LN24 (Belgique) à Londres.
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