Économie : et si la Chine faisait fausse route ?

Économie : et si la Chine faisait fausse route ?

En 2023, lors de sa visite dans le Heilongjiang, une province du nord-est de la Chine, Xi Jinping a exhorté la population à cultiver de « nouvelles forces productives ». Cette province industrielle illustre les problèmes de l’économie chinoise en enregistrant le plus faible taux de natalité du pays et une baisse des prix de l’immobilier. Son PIB en valeur réelle stagne depuis plusieurs années.

Avec l’ouverture sur le monde imposée par Deng Xiaoping en 1978, la Chine avait adhéré aux lois du marché. La croissance a été rendue possible par la mobilisation du travail et l’accumulation du capital. La main-d’œuvre chinoise a augmenté de 100 millions de personnes entre 1996 et 2015. Le stock de capital est passé de 258 % du PIB en 2001 à 349 % deux décennies plus tard, selon l’Asia Productivity Organisation. La crise financière de 2008/2009 a constitué une première rupture, l’accumulation de capital prenant alors avant tout la forme de nouveaux biens immobiliers ou d’infrastructures.

Le choix de l’industrie de pointe

Depuis une dizaine d’années, la main-d’œuvre chinoise diminue et la demande immobilière est orientée à la baisse. Avec le déclin démographique, les besoins en logements se tarissent. Moins de personnes migrent vers les grandes agglomérations. De nombreux logements restent ainsi vides. Les Chinois qui achetaient de l’immobilier pour s’assurer une retraite, s’en détournent. Le ralentissement de l’immobilier a ébranlé la confiance des consommateurs et privé les gouvernements locaux de revenus provenant de la vente de terrains. L’espoir d’un rebond de la croissance après l’abandon de la politique du zéro covid en 2022 a été rapidement déçu. La demande reste atone qu’elle soit interne ou externe.

Le ralentissement de l’économie mondiale et la multiplication des sanctions commerciales pèsent sur les exportations. Compte tenu du niveau de développement de la Chine, les services devraient être le principal moteur de croissance. Or, les autorités semblent toujours privilégier l’industrie. Elles considèrent que la pandémie a renforcé le rôle de l’industrie. La demande en produits manufacturés chinois, des masques chirurgicaux aux vélos d’exercice en passant par les respirateurs, a été importante.

Maintenir la part du secteur manufacturier à 25 % du PIB

La transition énergétique exige également la production de nombreux biens industriels (batteries, éoliennes, panneaux solaires). La forte augmentation du trafic aérien suppose également la construction de nombreux avions et la production d’aluminium ou de matériaux composites. Dans le cadre de son 14e plan quinquennal 2021-2025, le gouvernement a prévu de maintenir la part du secteur manufacturier à 25 % du PIB. En 2006, ce ratio était de 33 %.

Pour maintenir sa suprématie industrielle, les autorités chinoises ont renforcé l’enseignement des sciences à l’école. L’effort en faveur de la recherche et développement a été également accru. Elles entendent détrôner les Etats-Unis dans les technologies de pointe. Le concept de « nouvelles forces productives » mis en avant par Xi Jinping est de nature hégélienne ou marxiste. Il évoque l’idée dialectique selon laquelle une accumulation de changements quantitatifs peut entraîner une rupture qualitative permettant de remettre en cause la hiérarchie des puissances.

Selon le Président chinois, « les nouvelles forces productives » proviendront d’une plus forte intégration de la science dans les processus de production. À cette fin, le budget présenté en mars dernier prévoit une augmentation de 10 % des dépenses annuelles consacrées à la science et à la technologie.

L’ambition de la Chine en matière de technologie n’est pas nouvelle. En 2006, un plan sur 15 ans avait été adopté afin de réduire la dépendance à l’égard de la technologie étrangère et d’accroître la contribution de la technologie à la croissance. À l’époque, le gouvernement avait mis l’accent sur la nécessité de développer 16 grands projets dont la construction d’un gros avion de ligne chinois et l’atterrissage d’une sonde sur la Lune. Des deux projets ont été depuis réalisés.

Sur une liste de 64 technologies de pointe, la Chine est en tête dans tous les domaines sauf 11

Depuis 2010, les autorités ont consacré des sommes importantes à la relance de l’économie. Elles ont également placé parmi les priorités la production de voitures électriques et de batteries ainsi que celle des microprocesseurs. La Chine a rattrapé voire dépassé l’Occident dans plusieurs domaines comme le commerce électronique, les trains à grande vitesse, les énergies renouvelables et les véhicules électriques. En 2023, la Chine est devenue le plus grand exportateur mondial de voitures.

Selon l’Australian Policy Research Institute, sur une liste de 64 technologies de pointe, la Chine est en tête dans tous les domaines sauf 11, Le pays est numéro un dans les communications 5G et 6G, ainsi que dans la biofabrication, la nanofabrication et la fabrication additive. Il est également en avance dans le domaine des drones, des radars, de la robotique et du sonar, ainsi que de la cryptographie post-quantique.

La Chine se classe 12ème rang pour l’’Indice mondial de l’innovation publié par l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle en prenant en compte plus de 80 critères couvrant les infrastructures, les réglementations et les conditions du marché, ainsi que les efforts de recherche, les attributions de brevets et le nombre de citations.

Selon les services statistiques chinois, les industries stratégiques émergentes représentaient 13,4 % du PIB en 2021, contre 7,6 % en 2014. Ce taux demeure en dessous de l’objectif initial de 15 % pour 2020. Le poids des industries de pointe reste ainsi inférieur à celui de la construction.

Une fragilité dans les secteurs de pointe

La situation de la Chine en matière de haute technologie est fragile. Le gouvernement a été surpris par la virulence des Etats-Unis qui, en quelques années, a multiplié les sanctions sous forme d’embargos et de contrôles de plus en plus drastiques sur la nature des exportations. Pour les microprocesseurs les plus sophistiqués, la Chine est dépendante des Etats-Unis, de la Corée du Sud, de Taïwan et du Japon. Il en est de même pour certains logiciels et équipements électroniques. Il a été également surpris par l’avance prise par les Américains en matière d’intelligence artificielle. Le modèle linguistique développé par Openai, ChatGPT, qui s’est exporté en quelques semaines tout autour de la planète a rappelé que les Américains sont toujours en pointe pour les technologies de l’information et de la communication.

Politique et économie font rarement bon ménage

La reprise en main politique par le gouvernement central chinois a déstabilisé l’économie, en particulier le secteur de l’industrie de pointe. De nombreux responsables ont été accusés à tort ou à raison de corruption ou de mauvaise gestion. Certains ont payé également leurs liens avec des Occidentaux. L’instauration d’un cadre réglementaire plus strict au niveau de la vie économique a réduit la concurrence entravant l’innovation. Un sentiment de défiance s’est diffusé au sein des responsables économiques.

Les grandes entreprises Internet du pays ont réduit leurs dépenses en R&D de près de 7 % au premier semestre 2023, par rapport à un an plus tôt, La croissance de la productivité totale des facteurs est également en recul. Le programme technologique lancé par la Chine en 2006 impliquait que sa contribution à la croissance devrait atteindre 60 %. Au lieu de cela, il est tombé à moins d’un tiers, selon Louis Kuijs de S&P Global Ratings.

À trop se focaliser sur le dépassement des Etats-Unis d’ici 2049, pour le centenaire de la création de la République populaire, les autorités chinoises ont oublié d’analyser ce qui fait la force de ces derniers. La créativité américaine repose sur l’interférence des recherches et sur l’esprit de liberté. Une technique, inventée pour des raisons militaires, peut être développée à des fins civils comme ce fut le cas avec Internet. Apple invente des produits qui génèrent par eux-mêmes des besoins et des applications au sein des consommateurs.

La Chine a une vision géopolitique de l’économie

Les Etats-Unis combinent en permanence créativité et rentabilité sur fond de liberté. La mainmise du pouvoir central chinois sur l’économie réduit la spontanéité et limite les prises de risques. Apple comme Google peuvent réaliser des recherches voire créer des produits qui n’aboutissent pas sans que cela soit perçu comme un échec définitif. Pour un pouvoir politique, ce mode de gestion est plus difficile à admettre.

Par la nature de son régime, la Chine a une vision géopolitique de l’économie quand les pays occidentaux privilégient la satisfaction des consommateurs. Le durcissement des Américains qui tendent à s’aligner sur leur vision du monde les conforte à garantir leur souveraineté économique. Le combat technologique engagé contre l’Occident est coûteux pour la Chine. Avec des collectivités locales confrontées à la crise immobilière, les marges de manœuvre budgétaires se réduisent. Le ralentissement de la croissance, ces dernières années, freine par ailleurs les capacités financières des autorités. Celles-ci sont confrontées à une demande de plus en plus prononcée de la part de la population en faveur de la protection sociale.

Auteur/Autrice

  • Philippe Crevel

    Philippe Crevel est un spécialiste des questions macroéconomiques. Fondateur de la société d’études et de stratégies économiques, Lorello Ecodata, il dirige, par ailleurs, le Cercle de l’Epargne qui est un centre d’études et d’information consacré à l’épargne et à la retraite en plus d'être notre spécialiste économie.

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