En Syrie, Bachar El Assad a été réélu avec 95,1% des voix. Pourquoi les dictateurs aiment-ils autant les élections ? Qui sont les malades qui ont osé voter contre ? 95,1% C’est mieux que Loukachenko, qui avec seulement 84,1%, en est réduit à contraindre les avions à atterrir pour emprisonner ses opposants. L’Union Européenne s’est fâchée, le G7 aussi, exigeant la remise en liberté du courageux malheureux et de sa femme. Aucune chance. Poutine hésite à se manifester : il est ravi de voir les Occidentaux pousser Loukachenko dans ses bras, lui qui rechigne à consommer l’union promise depuis dix ans. Malgré tout, gare à la révolte : Imaginer une révolution de Maïdan à Minsk le hérisse, la Biélorussie passerait dans le camp occidental, comme l’Ukraine, ce qui l’obligerait à envahir une nouvelle Crimée et créer un nouveau Donbass. A la périphérie de Moscou ! Il en parlera à Biden le 16 juin. Que Joe Biden le traite encore de « Killer », peu importe, quand on veut la paix, il faut savoir parler au diable, pense Poutine. Toujours intéressant de parler gaz et pétrole avec Biden. Ainsi Poutine le clément ne reprochera pas à Biden son langage.
Menaces démocratiques en Biélorussie
Pas plus qu’Emmanuel Macron n’a reproché à Kagame le sien. Au contraire. Il s’est réjoui de l’approbation d’un Président qui n’a jamais été élu avec moins de 93% des voix, qui dirige d’une main de fer un pays meurtri par un génocide, acmé d’une guerre civile dans laquelle la France, quoiqu’on dise, n’y est pour rien, déclenché par un attentat piloté, pensaient les juges en France et en Espagne, par un certain Kagame. Paul Kagame se voit ainsi légitimé, conforté par la France, qui valide son récit de l’histoire. Emmanuel Macron pense là, comme le pensait d’ailleurs François Mitterrand, faire pièce aux … Américains. Car Kagame, qui est intervenu dans les conflits de l’Ouganda et du Congo armes à la main, fut souvent présenté comme un ami de la CIA. N’a-t-il pas substitué l’anglais au Français dans l’enseignement ? Sûr qu’après ce voyage, le Français retrouvera sa place.
Kagame un dictateur apaisant
On demandera à Bachar el Assad d’en faire autant dans la nouvelle Syrie, qui, après tout, fut créée, comme le Liban, par la France. Vous avez dit Liban ? Les mois passent, et comme prévu, il ne se passe rien, sinon la chute. Les menaces de la France n’ont pas encore convaincu. Il en faut plus pour terroriser le Hezbollah.
Israël, par exemple. Ceux-là font peur. Des criminels. La Haute Commissaire de l’ONU aux droits de l’homme ne vient-elle pas de suggérer que les actions d’Israël dans les 11 jours du conflit de Gaza pourraient être des crimes de guerre ? Et Le Monde ne vante-t-il pas la sagesse de M. Sinouar, un des chefs du Hamas, que l’on voit en photo mettre une kalachnikov dans les bras d’un enfant ? Si les miliciens suisses tiraient 4000 roquettes sur Paris, ceux qui ont déclaré la guerre « terrorisme » seraient tentés de raser les Alpes.
Sissi, faiseur de paix.
Heureusement, un bon médiateur apparut : le Maréchal Sissi, réélu avec 97,08% des voix. Soit : les Israéliens avaient atteint leurs objectifs militaires : les tunnels du Hamas. Et les Américains ont donné le signal adéquat pour leurs discussions avec l’Iran. Le futur Président iranien, Ebrahim Raïssi, devrait faire un moins bon score. Si seulement Netanyahou avait su écarter ses concurrents ! Mais en Israël, où couverait l’apartheid, même les Arabes palestiniens votent. Ils ont 15 députés. C’est d’ailleurs un des rares endroits au Moyen-Orient où les Arabes votent librement. A la réflexion, c’est aussi le seul endroit où une guerre sans fin et si violente fait aussi peu de morts : Moins de 300 morts pour 11 jours de guerre, 4000 roquettes, des centaines de bombardements : tant de précautions n’ont hélas pas ménagé Syriens, Kurdes, Irakiens, Iraniens, Yéménites, Afghans. Ne parlons pas des conflits africains. La machette tue plus que les bombes.
Pourquoi condamner un dictateur, assassin ou terroriste ici, le valoriser là ? Pourquoi aller chercher l’absolution de crimes que l’on n’a pas commis chez un fauteur de guerre ?
La politique étrangère est d’abord à usage interne
Toute politique étrangère est d’abord destinée à l’opinion publique interne : posture morale, toujours. Ensuite seulement vient le jeu diplomatique. Ce n’est pas pour plaire à Kagame qu’Emmanuel va au devant d’une embrassade contestable mais pour habiller d’un nouvel horizon la politique de la France en Afrique, après dix ans de guerre au Sahel qui annoncent, d’après le général Lecointre, dix ans encore d’enlisement. Au Mali en guerre, se débarrasser du coup d’état dans le coup d’état. Au Tchad, soutenir la prise du pouvoir de Mahamat Idriss Deby, pour éviter que le verrou tchadien ne saute. Le fils sera un aussi grand démocrate que son père.
Masquer les échecs avec de nouveaux habits
D’autant que la Russie avance et se saisit peu à peu de la Centrafrique. Après une conférence en zoom à Paris pour annoncer des prêts à l’Afrique, le geste de Macron vise à donner une autre image de la France : ce n’est plus la France militaire, post colonialiste, c’est la France anticolonialiste, pénitente sinon repentante, aimante, généreuse, qui concentre les moyens de l’AFD sur quelques pays. Est-ce vraiment judicieux ? Le prix Nobel Angus Deaton en doute[1], les résultats interrogent. Est-ce une France plus humaniste ? Si les dictateurs le disent.
Se servir des dictateurs est un art. Se présenter en pénitent aussi. Est-ce suffisant pour masquer le fiasco de la politique africaine de la France ? Son échec au Moyen-Orient, notamment au Liban ? Son absence de stratégie vis-à-vis de la Russie, ses réactions au jour le jour pour l’Ukraine, l’Arménie, la Biélorussie ?
Le moralisme international est un art difficile.
Mettre en avant les droits de l’homme et la démocratie ne sont pas de mauvaises politiques. Ce sont des valeurs qu’il faut partager, voire utiliser. Mais le moralisme international est un art difficile. Prétendre qu’ils forment la grille d’une politique étrangère est le signe ou du cynisme le plus absolu, ou de l’incohérence. Et faire des dictateurs des juges de bonne conduite une audace conceptuelle.
A moins que ce ne soit le masque de l’impuissance : comment cacher son déclin? En demandant aux dictateurs de reconnaitre – ou dénier, c’est la même chose– notre valeur « morale ». On se réjouira du progrès. Conjurer le déclin par un surplus de vertu, à la carte.
Laurent Dominati
A. Ambassadeur de France
A. Député de Paris
Président de la société éditrice du site Lesfrancais.press
[1] La Grande Évasion : santé, richesse et origine des inégalités, PUF, 2016.
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