Dix ans après Charlie, le Hara-Kiri du monde arabe.

Dix ans après Charlie, le Hara-Kiri du monde arabe.

Il y a dix ans, Charlie Hebdo, enfant d’Hara-Kiri, était victime d’un attentat revendiqué par Al Qaida. Charlie est toujours vivant, les enfants d’Al Qaida aussi. Daech a été bombardé par des Rafales il y a une semaine. Hayat Tahrir Al-Cham, « HTC », a pris possession de la Syrie.  

« Il y a un peu moins d’un mois, un nouvel espoir s’est levé » a dit Jean-Noël Barrot, ministre des Affaires étrangères, venu dans la capitale syrienne avec Annalena Baerbock, la ministre allemande, pour rencontrer le chef d’« HTC » Ahmad al-Chareh. Même s’il a refusé de serrer la main à la ministre, une femme, il a affirmé vouloir protéger la liberté d’expression. Le drapeau tricolore flotte sur l’ambassade.

La liberté est une idée neuve au Moyen-Orient. Salman Rushdie, comme Naguib Mahfouz, prix Nobel, reçurent fatwa et coups de couteau. Une autre fatwa, une malédiction, pèse sur le monde arabe.

Une fatwa, une malédiction, pèse sur le monde arabe.

Petit tour des maudits : En Algérie, la guerre civile continue depuis l’indépendance. La Lybie est découpée. L’Égypte emprisonne. La Palestine est rasée. Le Liban ruiné. La Syrie exsangue. L’Irak se remet lentement. Le Yémen, « l’Arabie heureuse », vit de sa guerre civile depuis dix ans : 400 000 morts, quatre millions de déplacés. Les Saoudiens s’accrochent à leur baril d’or et de poudre, tant l’Arabie produit autant d’islamistes que de pétrole. Elle exécute à tour de bras, presque autant que sa rivale perse, qui survit de la contrebande d’armes, de pétrole et de drogue.  La « galaxie Pasdaran » pèse environ 40 % du PIB iranien.

Toute drogue alimente ceux qui savent passer les frontières : le Hezbollah, feu le clan Assad, les Gardiens iraniens, tous les petits seigneurs de guerre. Du Maroc, premier producteur mondial de cannabis à l’Afghanistan, premier producteur mondial d’opium, en passant par la Syrie, premier producteur mondial de Captagon,  la drogue irrigue tout le monde musulman, traverse les pistes et les guerres du Sahel jusqu’au Nigeria, atteint les relais de Thaïlande. Elle anime les réseaux d’Etat ou parallèles à l’Etat, dope la place financière de Dubaï.

Les marges du monde arabe sont aussi sous le joug. La famille Aliev, héritière du KGB, a fait de l’Azerbaïdjan un sultanat pétrolier. Erdogan renonce à la laïcité, rêve à nouveau d’empire, remplit les prisons, réanime le terrorisme et ruine le pays : la Livre turque a perdu 98% de sa valeur depuis son accession.

Est-ce la religion le malheur des pays arabes ?

Les nouveaux maîtres de Damas, sont, paraît-il, plus ouverts que les Talibans. Ils ne condamnent pas les fenêtres. Dans leur émirat d’Idlib, les femmes n’ont pas l’obligation d’être voilées, les Chrétiens sont tolérés. En un demi-siècle, un million et demi de Chrétiens ont quitté la Syrie. Après avoir chassé les Juifs, les pays arabes se sont vidés des Chrétiens. L’Islam n’en est pas la cause, ils furent tolérés pendant des siècles.

Comment la famille Assad a-t-elle pu massacrer, torturer, voler, régner si longtemps? Parce que la règle commune au Moyen-Orient est un clan au pouvoir, appuyé sur une armée et une police, qui, au nom de l’indépendance nationale, pille les richesses du pays.

Est-ce la religion le malheur des pays arabes ? Salman Rushdie: « Il faut arrêter de dire que le djihadisme n’a rien à voir avec l’islam« . L’Algérie n’est pas un régime religieux, mais un régime militaire qui se maintient par la peur des Islamistes.  Bourguiba, Nasser, Assad, Saddam Hussein, furent nationalistes, socialistes et laïcs, trois références occidentales. Sans aller jusqu’au modèle d’Atatürk en Turquie, les nationalistes arabes considéraient la religion comme un facteur d’arriération.

À force d’évincer tous ceux qui croyaient en une évolution démocratique, en une société ouverte, à force d’assassiner, d’humilier, les seules oppositions possibles se réfugièrent dans les mosquées. Les printemps arabes ont échoué, ils n’offraient d’alternative qu’entre les théocrates et dictateurs. La Tunisie en est le triste exemple.

La modernité de l’islam viendra peut-être des marges du monde musulman, d’Asie, si elle vient.

Si la religion anime les conflits de pouvoir, elle n’est pas le principal moteur. Il y a le conflit chiite-sunnite illustré par la rivalité irano-saoudienne. Il y a le mépris des Juifs, focalisé sur le conflit israélo-palestinien. Il y a le conflit avec les Chrétiens, visible au Liban, dans le rejet de l’Occident. Beaucoup disent que le monde musulman a raté le choix de la « modernité », au XIIIème siècle. Toute religion rejette la pensée critique.

La modernité de l’islam viendra peut-être des marges du monde musulman, d’Asie, si elle vient. L’Indonésie rassemble 270 millions d’habitants en majorité musulmans. Elle est une des rares démocraties du monde musulman, avec mille peuples, 770 langues. La plus grande association musulmane du monde,  Nahdlatul Ulama, fondée en 1926, propose, contre le wahabisme, le nationalisme et le communisme, un Islam « humaniste ». L’Indonésie n’est pas épargnée par le fondamentalisme religieux, mais les groupes terroristes sont muselés autrement que par un régime militaire et policier.

Ce qui mine le monde musulman n’est pas la religion, mais la règle d’accession au pouvoir, incertaine, sanglante, en fait illégitime. Seuls la Jordanie (le roi descend des émirs de La Mecque) et le Maroc (le roi se dit de la lignée de Mahomet) ont une légitimité institutionnelle. Ils étaient les premiers à condamner l’attentat contre Charlie. Ils n’ont pas aussi peur que les autres. Ailleurs, la légitimité repose sur la force, le pouvoir ne sert qu’à alimenter sa propre survie.

Les régimes ne forment pas des Etats, mais des organisations de cooptation qui prennent l’apparence d’Etats. Pourquoi, malgré l’omniprésence des circuits de drogue, n’y a-t-il pas de mafia au Moyen-Orient ? Parce que des mafias claniques gèrent déjà des Etats, trafiquent armes, pétrole, hommes, femmes, et drogue, commettent des attentats ou terrorisent. : Entre 5 et 10 000 attentats ont ensanglanté le monde arabe ces dix dernières années, faisant 50 000 et 100 000 victimes.

Ce qui mine le monde musulman n’est pas la religion, mais la règle d’accession au pouvoir, incertaine, sanglante.  

L’un de ces groupes terroristes vient donc de prendre possession de la Syrie, un autre avait déjà pris possession de l’Afghanistan. Sont-ils différents d’autres clans d’autres Etats ? Tous utilisent l’Islam. Le djihadisme est une production de l’Islam. L’antidjihadisme une rente pour rester en place.

La Chine et d’autres pays d’Asie ont assuré leur développement avec des régimes policiers, débarrassés du religieux. Les pays arabes et musulmans tentent de forger des nations par la propagande de leurs dirigeants. Ce sera toujours insuffisant, les assauts de la modernité sont permanents. Comment justifier le despotisme ? Comment expliquer la pauvreté ? Tous les régimes arabo-musulmans ont échoué. Tous tentent d’imputer leurs échecs aux autres, aux étrangers, à l’Occident, à Israël, au voisin.

Qu’est ce qui manque à cette civilisation pour être heureuse ? La liberté. La liberté de l’esprit, affranchie de la censure, la liberté des femmes, la liberté économique face à la corruption de la Cour; la liberté d’apprendre des enfants, c’est-à-dire celle du savoir.

L’amour du maître est une aspiration universelle, au Moyen-Orient, en Asie, en Europe.  

Pourquoi la liberté manque-t-elle ? Parce qu’elle est une exception dans l’histoire de l’humanité.  L’amour du maître est une aspiration universelle, au Moyen-Orient, en Asie, en Europe. La liberté n’est pas une donnée, c’est un effort. La liberté autorise Hara-Kiri, journal bête et méchant, Charlie Hebdo, La Croix et l’Huma.  Comment libérer les peuples du monde musulman ? Où trouver Charlie ? Dans des journaux libres de caricaturer le Pape et Mahomet. Dans les livres : ceux de Rushdie, Mahfouz, Boualem Sansal et tant d’autres. Ce sont des armes à portée de tous les enfants. Ouvrir un livre, c’est délivrer un monde. Par exemple le monde musulman.

Laurent Dominati
Laurent Dominati

Laurent Dominati

a. Ambassadeur de France

a. Député de Paris

Président de la société éditrice du site Lesfrancais.press et de l’app bancaire France Pay

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