Divorce à l’américaine, et conséquences

Divorce à l’américaine, et conséquences

Une révolution mondiale est en cours, la révolution digitale. La voilà qui produit ses premiers effets. États-Unis, Europe, Russie, Inde, Chine, distribuent des espaces pluridimensionnels, des tranchées à l’espace. Jack Ma, patron d’Ali baba, est revenu auprès de Xi Jinping. The Magnificent Seven, les Gafas, Musk and Co se sont tous ralliés à Trump. Tous sont en compétition. Tous veulent contrecarrer l’Europe, immense marché, qui, à défaut de champions digitaux, prétend édicter des règles. En contrebas, la guerre en Ukraine alimente les spasmes du vieux monde, les tanks russes bridés par Starlink pourraient être libérés. Se débarrasser de ce qui gêne et des gêneurs. L’ordre international n’est plus. Les vieux réflexes de puissance et de force l’emportent. Pour l’Europe, c’est l’heure du divorce à l’américaine.

Révolution géopolitique : l’alliance transatlantique n’est plus.

Révolution géopolitique : l’alliance transatlantique n’est plus. Ce dont rêvait Poutine, Trump l’a fait. Avant-hier il traitait Zelensky de dictateur. Hier, il a limogé le chef d’état-major de l’armée américaine, la commandante de l’USNavy. Que fera-t-il demain ? Alors que les forces russes s’épuisent sur le sol gelé de l’Ukraine, le moral en berne, les ânes substitués aux chars, Trump vient à leur secours.

Les États-Unis, leader du monde libre depuis 1945, y renoncent. « La grande stratégie » de Trump, s’il en a une, est de détacher la Russie de la Chine. En Arabie saoudite, les négociations ont ramené sur la scène Kirill Dmitriev, patron du Fonds russe d’investissements directs (RFPI). Lié au clan Poutine par sa femme, amie de la fille de Poutine, il attire les fonds du Moyen-Orient, ceux des princes. Ce qu’il fait miroiter : un accord économique avec les Américains, qui équilibrerait le commerce sino-russe. Avantage pour tous.

Les Russes n’ont rien à vendre aux Américains, les Américains rien à acheter aux Russes. Le partenaire intéressant pour la Russie est l’Europe, ensuite la Chine. Poutine veut un bout d’Europe. Ostensiblement, il a renforcé ses alliances avec la Chine, l’Iran, la Corée du Nord. Voilà ce qu’il vend à Trump : le démantèlement de l’axe anti-occidental. Pourquoi un tel axe existerait-il si les États-Unis n’interviennent plus dans les affaires du monde ? Si les États-Unis ne prétendent plus être les leaders du monde libre, les garants de l’ordre international, les alliés de démocraties européennes ? Business is business. Et Trump peut se croire génial ! En contrepartie, le démantèlement de l’alliance.

Ce que Poutine vend à Trump : le démantèlement de l’axe anti-occidental. En contrepartie, le démantèlement de l’alliance.

Depuis des années, sans succès, Poutine cherche à replacer la Russie au cœur de l’Eurasie, essayant de vassaliser la Géorgie, l’Ukraine, le Kazakhstan, l’Ouzbékistan, jetant un œil vers la Moldavie et les Pays baltes. Enfin, Poutine a trouvé un allié pour miner l’Europe de l’intérieur : Trump version 5.0, celle de Musk et consorts. L’Union Européenne, seul bénéficiaire de la guerre froide, a volé l’ancien bloc de l’Est. Pologne, RDA, Pays baltes, Hongrie, Tchéquie, Slovaquie, Roumanie, Bulgarie, Slovénie, Croatie, ô terres perdues, ô serviteurs humiliants, devenus plus riches que vos maîtres, payez maintenant !

L’Organisation de coopération de Shanghai en 2017  Sipa Press
L’Organisation de coopération de Shanghai en 2017 © Sipa Press

L’ami Trump, complice des vieux oligarques et des mafieux des casinos d’Atlantic City, arrive enfin. Musk, avec ses usines chinoises, attaque le Royaume-Uni et porte au cœur de l’Allemagne l’AFD, ouvertement pro russe et antieuropéenne. Musk menace aussi de couper Starlink en Ukraine, comme il l’avait fait quand les Ukrainiens visaient la flotte russe de la Baltique. La sécurité ukrainienne dans la main de Musk. Demain celle de l’Europe ? Aviateurs, n’ayez crainte, Trump est votre copilote. Si ce n’est lui, ce sera Vance. Vance, vice-président, peut être futur président, vient à Munich dire aux Européens que c’est fini.

Qu’est-ce qui est fini ? L’Europe ; dit-il. Étrange d’entendre les émeutiers du Capitole donner des leçons de démocratie à la vieille Europe. Étrange de voir un allié insulter ses amis. Étrange d’entendre les mensonges enfilés en chapelet comme des credo. Peu importe : ce que dit Vance est le message le plus important depuis la chute de l’URSS : les États-Unis ne sont plus les alliés de l’Europe. L’Europe est un obstacle, pas un partenaire.

Divorce brutal, triste, menaçant. Cynique, à l’américaine. On se croit malin parce qu’on est les plus forts. Alors Starmer et Macron se précipitent pour essayer d’amadouer la bête. Comme il fallait parler à Poutine, il faut bien parler à Trump. Gagner du temps, glaner une deux confidence, même si c’est sans illusion.

L’ordre mondial bâti sur la sécurité collective, la promotion de la démocratie, le libre-échange, la coopération internationale, est saboté de l’intérieur. Rien ne pouvait sauver Poutine. Sauf Trump. Rien ne pourrait garantir un succès chinois. Sauf Trump. Désormais, en Afrique, en Asie, même en Europe, la Chine va apparaître comme une puissance fiable, d’équilibre.

Et l’Europe ? Contrairement à ce que pensent Poutine et Trump, elle n’est pas morte. Ceux qui hier en voulaient le démantèlement sont bien obligés de constater que sans Union, chaque pays sera soumis. Même les Britanniques ont compris. Plus personne ne parle de « spécial Relationship ». Trump a ce mérite wokiste : il réveille. Wake up, Europa !

L’Amérique se retire, l’Amérique trahit, inquiète ? C’est le moment de relever le drapeau laissé à terre.

C’est le moment : De s’occuper vraiment de l’Ukraine, de s’impliquer au Moyen-Orient, de revenir en Afrique, de se lier à l’Amérique latine, de s’investir en Asie : Corée, Japon, Inde, Philippines, Indonésie. L’Amérique se retire, l’Amérique trahit, inquiète ? C’est le moment de relever le drapeau laissé à terre.

En commençant par soi-même : Ou l’Europe délègue sa sécurité à Trump et à Poutine, ou elle construit sa défense. À moins de compter sur la bienveillance mille fois démontrée de l’humanisme russe, chinois ou américain.

Le divorce d’avec les États-Unis est douloureux. Mais c’est un fait. Acter le changement de monde. Trump favorise ses adversaires, pactise avec les autocrates, ouvre un boulevard à la Chine dans les organisations internationales et le commerce mondial. Les États-Unis ont boudé le G20 en Afrique du Sud, dénonçant l’Afrique du Sud hostile. La Chine est déjà le premier partenaire commercial de tous les pays africains. De presque tous les pays d’Amérique du Sud (Le Venezuela reste commercialement fidèle à Washington. Maduro pourrait devenir un pote, comme Kim Jung Un).

L'Afrique du Sud a accueilli en février 2025 à Johannesburg les ministres des Affaires étrangères du G20, mais sans la présence des États-Unis.
L’Afrique du Sud a accueilli en février 2025 à Johannesburg les ministres des Affaires étrangères du G20, mais sans la présence des États-Unis. ©AFP

L’Europe peut lancer une contre-offensive diplomatique et commerciale. Ne pas répondre au protectionnisme de Trump par des contre-mesures douanières. Le libre-échange est favorable quelle que soit la position de l’autre, qui ne taxe que ses propres citoyens.

Les Européens, et notamment les Français, doivent ouvrir les yeux. Sortir de leurs petits débats sur l‘âge de la retraite et la « souveraineté alimentaire » du salon de l’agriculture. Trumpistes, les Français sont les plus protectionnistes des Européens. 44 % pensent justifiés de nouveaux droits de douane américains. 70 % voudraient que l’Europe  fasse de même. Les Allemands ne sont que 16 % à penser ainsi. Vance a raison : « la principale menace pour l’Europe vient de l’intérieur ». Les admirateurs de Poutine hier devenus ceux de Trump aujourd’hui.  Sous prétexte de « souverainisme », ils veulent la division de l’Europe, sa vente par appartement.

Contrôler l’espace aérien ukrainien, maintenir le blocage de la flotte russe en Caspienne pour sécuriser la Méditerranée. Européaniser l’OTAN.

Les Britanniques ont compris : le Premier ministre a proposé avec Macron une force conjointe aérienne et maritime si un cessez-le-feu survenait en Ukraine. Il faudrait le faire tout de suite. Ou entériner le diktat futur. Contrôler l’espace aérien ukrainien, maintenir le blocage de la flotte russe en Caspienne pour sécuriser la Méditerranée.

Le nouveau monde pourrait avoir besoin d’Europe plus que jamais.

En rompant l’alliance, le divorce conduit tout droit à une garde partagée des enfants : européaniser l’OTAN. Difficile, parce que cela suppose une vision mondiale. Mais nécessaire, salutaire. Pas seulement pour l’Europe justement, mais pour le monde. Le nouveau monde  pourrait avoir besoin d’Europe plus que jamais. Les pays tiers seraient-ils heureux du condominium sino-américain ?  La France est en première ligne, comme leader ou comme cible, parce qu’elle a cultivé une défense et une diplomatie indépendante.

Il ne s’agira pas seulement de construire plus de chars, plus de munitions, plus d’avions, fussent-ils de futur. Il s’agit de concevoir des systèmes de défense de la guerre hybride, globale, digitale, spatiale, juridique, industriel, logiciel. C’est tout un système de défense collective que l’Europe doit imaginer, avec, en toile de fond, un enjeu de civilisation. Bel enjeu, beau défi.

Laurent Dominati
Laurent Dominati

Laurent Dominati

a. Ambassadeur de France

a. Député de Paris

Président de la société éditrice du site Lesfrancais.press et de l’app bancaire France Pay

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