Deux ponts sur le fleuve Amour

Deux ponts sur le fleuve Amour

Un avenir radieux est promis à l’humanité : « Au cours de ces dix années, les valeurs communes de l’humanité – la paix, le développement, l’équité, la justice, la démocratie et la liberté – se sont enracinées plus profondément dans le cœur des gens. Un monde ouvert, inclusif, propre et beau, avec une paix durable, une sécurité universelle et une prospérité commune, est devenu l’aspiration commune d’un nombre croissant de pays. », Xi Jinping dixit. Voir quelqu’un plus optimiste qu’un Californien sur l’avenir du monde virtuel réchauffe le cœur. Celui des Russes en particulier : « Comme nos amis chinois, nous plaidons en faveur du strict respect de la Charte des Nations unies et des normes du droit international, y compris du droit humanitaire », répond Vladimir Poutine, qui vient d’accuser réception du mandat lancé contre lui par la Cour pénale internationale en menaçant les juges… d’une frappe. Cet humour à la Prigogine ! On le singerait s’il n’y avait des morts.

« Je t’aime plus que jamais et jusqu’à la mort. »

Les deux amis se sont rencontrés quarante fois ce dernières années. Les optimistes songent à ce qu’est l’amitié en politique : « Je t’aime plus que jamais et jusqu’à la mort. Dans ce moment je suis toi-même. » écrivait Robespierre à Danton. Un an plus tard, il le faisait décapiter. Xi n’a pas les mêmes effusions que l’Incorruptible. Le volume des échanges entre la Chine et la Russie a doublé.  Leur ambition est de le porter à 200 milliards. Ensemble ils construiront un nouveau gazoduc. Ils forment, pour la paix du monde, le pôle de convergence de tous ceux qui contestent ou jalousent les Etats-Unis et leurs alliés européens. 

Voici qui est affiché. Première lecture simple, évidente. Dans les annales chinoises, ce qui important, c’est moins ce qui est dit que ce qui est tu. Or, ce qui fut tu, c’est l’aide militaire. Biden a confirmé que la Chine n’avait pas franchi la ligne rouge, celle de livrer des armes. Aucun acte, aucune promesse. Au contraire, la Turquie, qui aime les courants alternatifs du Bosphore, bloque enfin le transit des produits interdits en direction de la Russie. La Chine, au moment de mettre en scène son pacte anti occidental, a rétabli les vols avec Taïwan. L’ancien Président de Taïwan Ma Ying-jeou (rival et prédécesseur de l’actuelle présidente Tsai Ing-wen), se rendra en Chine pour la première visite d’un dirigeant taïwanais depuis 1949. La stratégie chinoise est toujours double.

Devenir l’empire du milieu 

Ce que fait la Chine, c’est devenir l’empire du milieu. Elle affirme une politique mondiale. Avec la Russie, mais sans fâcher vraiment l’Ukraine. Xi Ping devait accueillir Lula, vieille figure anti yankee de l’Amérique latine, qui a refusé de condamner la Russie, qui représente surtout 150 milliards d’échanges commerciaux, presqu’autant que la Russie. Il accueille Pedro Sanchez, qui sort d’un Conseil européen où il aura beaucoup été question de la Chine, et qui est chargé de rappeler la position européenne : soutenir l’Ukraine, affirmer sa souveraineté dans ses frontières internationales. Puis Emmanuel Macron emmènera Ursula von der Leyen  à Pékin pour montrer l’unité européenne. 

L’Europe est le premier marché chinois, l’enjeu majeur de la politique chinoise, parce que les Etats-Unis, sans l’Europe, seraient réduits. La maîtrise de l’Europe est la maîtrise du monde. Il ne faut pas agresser l’Europe, mais l’encercler, la menacer doucement, la séduire, l’annihiler. Par l’est (la Russie), le sud (l’Afrique), la mer (les ports), le discours (la paix), l’intérêt (le commerce). Et la diviser : menacer la Lituanie, cajoler les Balkans (3 milliards), flatter la France et acheter allemand. Éviter, tout en affichant l’amitié sino-russe, que ne se forme un axe anti-chinois. Une logique de bloc nuirait à la Chine, encore trop faible pour la supporter. Elle doit se renforcer.

Vladimir Poutine et Xi Jinping

Des relations d’Etat à Etat, et non le simple jeu du libre commerce 

En Mer de Chine, elle a affirmé avoir chassé un destroyer américain des îles Paracelse, un chapelet d’îles qu’elle revendique, qu’elle occupe militairement depuis 1974. C’est d’ailleurs la France, qui, les ayant intégré dans l’Indochine française, permet au Viêt-Nam de les réclamer. La Chine revendique aussi les Spratleys. Elle veut contrôler la mer de Chine, malgré ses voisins : Taïwan, Vietnam, Philippines, Malaisie, Brunei, Indonésie, qui voient progresser l’impérialisme chinois, à leur porte et chez eux. De quoi se ranger du côté des Américains. La moitié du commerce mondial, l’essentiel du commerce chinois, passe par la mer de Chine. 

La force -construire la première marine du monde, installer des bases militaires- sécurise les voies maritimes. Mais aussi la diplomatie : dénoncer l’expansion de l’Otan en Asie. Fortifier les axes stratégiques à partir des liens commerciaux, mais par des relations d’Etat à Etat, et non par le simple jeu du libre commerce : c’est l’enjeu de l’amitié sino-russe pour les hydrocarbures à bas coût, mais aussi de la réconciliation irano-saoudienne parrainée par la Chine. L’union des polices politiques et religieuses, bénie par le pétrole, est un pied de nez aux « impérialistes ». 

Mais toute action engendre réaction. C’est pourquoi la Chine a toutes les raisons d’être prudente, de n’avancer que pas à pas, garder plusieurs fers au feu. Ses actions en mer de Chine inquiètent. L’Inde s’affirme. Les Européens se hérissent.

Un cessez-le-feu aujourd’hui garantirait une guerre longue, un conflit gelé en Europe.

Sur l’Ukraine, la Chine a ainsi fait référence à la Charte des Nations Unies et a conduit la Russie à faire de même. Elle esquisse la possibilité d’un cessez-le-feu, qui, aujourd’hui favoriserait les Russes et garantirait une guerre longue, un conflit gelé en Europe. Elle parie sur la lassitude occidentale. 

La seule réponse, c’est lui signifier que l’Europe veut terminer la guerre, vite, conformément «  à l’ordre international », et y mettre le prix. Que les pays qui confortent l’agression russe sont suspects d’être des adversaires, que cette logique vaut pour elle comme pour le Brésil ou les pays africains. Tel peut être le message de Macron, porte-parole de la première puissance militaire européenne, la France, premier pays occidental à avoir reconnu la Chine, malgré les États-Unis. 

Rien n’est plus important que d’expliquer que nous ne défendons pas l’Ukraine à cause des États-Unis mais que c’est l’inverse : les Américains défendent l’Ukraine à cause de nous. Nous ne défendons pas l’Otan, l’Otan nous défend. L’agression russe n’est pas contre les États-Unis, mais contre l’Europe. La Chine, si elle soutient la Russie « en pensée, en parole, par action ou par omission », ne peut espérer avoir des relations amicales avec l’Europe. 

Dans la superbe, les failles. 

L’Europe, et la France, sont plus forts qu’ils ne le croient. Par leur cohérence, et par leur alliance avec les Etats-Unis. Le découplage qu’attend la Chine est d’autant plus improbable qu’elle met en scène son alliance avec la Russie et l’Iran. C’est une posture assez maladroite. 

Chacun s’effraie de la montée en puissance de la Chine, mais elle n’a pas atteint le degré d’influence, de richesse, de puissance, ni de l’Europe, ni des États-Unis. L’avantage de la Chine, c’est qu’elle a une politique à long terme. Xi vient d’être réélu à l’unanimité par 2952 voix contre zéro pour un troisième mandat. Biden n’en fera pas autant. Le camp occidental, qu’il désigne comme adversaire, dont nous faisons partie, quelles que soient courbettes et circonvolutions, affiche aussi un modèle, qui vaut bien celui de la Chine pour les peuples du monde. La preuve par Xi : « les valeurs communes de l’humanité – la paix, le développement, l’équité, la justice, la démocratie et la liberté – se sont enracinées plus profondément dans le cœur des gens. ». Xi reprenant la phraséologie droit-de-l’hommiste de l’Occident décadent, cela valait bien la peine de vanter avec Poutine les deux ponts sur le fleuve Amour ! L’hommage des tyrans à la démocratie n’est pas de l’autodérision, plutôt une abdication mentale inconsciente, révélatrice de leurs profondes faiblesses. Dans la superbe, les failles.

Laurent Dominati
Laurent Dominati

Laurent Dominati

a. Ambassadeur de France

a. Député de Paris

Président de la société éditrice du site « Lesfrancais.press »

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