Une poignée de contrôleurs aériens bloquent le droit sacré aux vacances de centaines de milliers de travailleurs. Chantage régulier, habituel, rituel qui disparaîtra bientôt. La civilisation des loisirs n’en est qu’à ses débuts. Le travail, valeur bourgeoise, tombe en décadence. La vraie valeur, comme le démontrent 1.5 milliards de touristes dans le monde, c’est le farniente, l’oisiveté aristocratique, le Droit à la Paresse du marxiste Paul Lafargue. La vraie condition de l’homme postmoderne reposera sur ce principe : des vacances pour toujours. Et les contrôleurs aériens, racketteurs de couloirs célestes n’y pourront rien. Ils vont disparaître, c’est écrit dans le ciel.
Les anciennes masses populaires chinoises sont devenues les premiers touristes au monde
Pour l’instant, dans cette pauvre civilisation sous développée qui est encore la nôtre, qui part en vacances ? Hormis aux États-Unis où chaque entreprise les fixe par contrat, les congés payés ont gagné la planète, une loi fixe un minimum : 16 jours en Chine, 20 aux Philippines, 43 à Madagascar, 53 en Iran. En Europe, les Pays-Bas imposent 29 jours dans l’année, l’Autriche 38. La France, la Suède, l’Espagne, le Royaume-Uni, la Grèce ou la Finlande tournent autour de 36 jours, comme minimums légaux. Viennent ensuite les conventions collectives.
Les anciennes masses populaires chinoises, mieux guidées par la révolution de Deng que par celle de Mao, sont devenues les premiers touristes au monde, devant les Américains, Allemands, Britanniques et Français. Bientôt les Indiens, Vietnamiens, Brésiliens, Mexicains, émergentes classes moyennes, défieront les polices touristiques. Le pouvoir d’achat produit des vacanciers. Pour des questions monétaires, un quart des ménages ne part pas en vacances dans l’Union européenne. Seuls 25% des Grecs, 34% des Portugais partent. Pourquoi ne vont-ils pas se baigner sur les plages hambourgeoises, ou visiter ce secret si convoité : Gdansk ? 35 à 40 % des Français ne partent pas non plus, proportion constante depuis des décennies. 42 % des plus pauvres partent, contre 76 % des plus riches. L’argent est un critère, pas le seul.
Tout ce qui pourra être remplacé par des machines le sera. Tout ce qui pourra être remplacé par des algorithmes le sera.
Ce qui va radicalement changer, ce qui a déjà changé, c’est le mode de travail. Donc des vacances et des loisirs. Une petite fille qui naît aujourd’hui a une chance sur deux de devenir centenaire. 20 ans d’études, 40 de travail, 40 de retraite ? Vision dépassée. D’un côté, l’expansion des outils numériques conduit, pour beaucoup, à travailler de n’importe où, n’importe quand, y compris en vacances. De l’autre, de nombreux métiers vont disparaître, achevant la notion de travail, notamment celle d’heure de travail. De nouveaux métiers vont naître, de nouveaux apprentissages, de plus en plus ludiques. Aucune école n’apprend aux enfants à se servir d’une tablette, ni à devenir hacker. C’est l’école qu’il faut repenser.
Tout ce qui pourra être remplacé par des machines le sera. Tout ce qui pourra être remplacé par des algorithmes le sera. Ainsi disparaitront les contrôleurs aériens, et les pilotes. Comme le sont les conducteurs de métro et les poinçonneurs de Lilas. Il y aura peut-être des emplois pour surveiller les robots et les calculateurs, cela pourra se faire de n’importe où dans le monde, par d’autres machines. L’esprit humain sera alors libéré de mille contraintes horaires.
La future civilisation, que l’on dit matérialiste, sera tout autant immatérielle.
Ce ne sera qu’un retour aux sources. Certains anthropologues parlent de la préhistoire comme d’une ère d’abondance. Une ère, aussi, d’une certaine frugalité. Non que les famines y aient été fréquentes, il semblerait que c’était plutôt l’inverse, mais les besoins étaient plus simples. Quelle était la notion de luxe ? Que sera-t-elle ? Celle des inégalités grandissantes, car quand certains goûteront le farniente pour toujours, d’autres vivront encore de la vieille civilisation actuelle. N’est-ce pas déjà le cas de milliers de touristes côtoyant les enfants jouant près des décharges du Nil ?
La future civilisation, que l’on dit matérialiste, sera tout autant immatérielle. La plupart des tâches seront accomplies par la robotique, assistés de calculateurs quantiques. Restera aux membres de l’espèce humaine ce qu’elle seule sait faire : le contact humain, le soin, le divertissement, le jeu, la rêverie, la musique, la rivalité des clubs identitaires, la politique, la guerre. Les drones n’empêchent pas les tranchées. La violence suscite aussi l’empathie.
Ce que l’on met dans la mémoire d’un robot sera plus important que ce que l’on met aujourd’hui dans la tête d’un enfant.
Demain l’ère des loisirs infinis. Dont la politique bien sûr. Difficile d’imaginer un monde sans compétition de pouvoirs. Ce serait aussi la négation de toute diversité. Il y aura un combat féroce pour alimenter le cerveau de nos amis robots. Ce que l’on met dans la mémoire d’un robot sera plus important que ce que l’on met aujourd’hui dans la tête d’un enfant. L’IA parle anglais, en majorité, mais aussi mandarin, français, espagnol. Au fond, le langage reste un combat.
C’est pourquoi on donne aux enfants deux mois de vacances en été, qu’ils puissent se gaver de musées, de concerts en plein air, de jeux éducatifs, de ramassage de champignons et de collecte de mégots sur les plages. C’est une rupture indispensable avec les écrans qui les obnubile durant le temps d’ennui scolaire. Il faudrait l’interdire. Il faudrait aussi interdire beaucoup de choses aux robots, élémentaire principe de précaution. L’interdiction, cela fonctionne : Les livres interdits, les drogues interdites, les jeux interdits ont disparu.
Pourquoi limiter les robots intelligents si, après tout, ils se comportaient mieux que nos voisins, ou que les travailleurs, ouvriers, cuisiniers, chirurgiens, professeurs, contrôleurs aériens et dirigeants ? Qui ne préférerait un robot à Poutine ? Tout dépend s’il a été conçu par le FSB ou le Pape François. Et même le Pape François : Que ferait un robot alimenté par l’exIndex des femmes qui avortent ? L’Église n’a-t-elle pas inventé le péché, l’enfer et la confession ? Garder Poutine, quel aveu !
Il y a quelques milliers d’années, un imbécile avait mis en terre un pépin de pomme. L’année d’après, puis les années suivantes, de retour de son chemin nomade, il vit un pommier et des pommes. L’imbécile avait découvert le principe de l’agriculture, voire du progrès. Il fut pendu au pommier, d’où le mythe de la Bible. Tout le monde avait compris que le travail agricole engendrerait les pires malheurs, les empires, les inégalités, la surpopulation que viendraient de temps en temps équilibrer les famines et les pestes amenées par ces nouveaux parasites, les rats et l’avidité. Hélas, le mal était fait. Un fils de cet Adam planta, tout le monde s’y mit.
Il y a quelques milliers d’années, un imbécile avait mis en terre un pépin.
On n’interdit pas l’agriculture, ni la machine, ni l’algorithme, ni le robot, on l’aménage, le partage, le magnifie, le dompte. La révolution énergétique a fait sortir des milliards d’êtres humains de la misère. Hier encore, le Parti communiste vietnamien découvrant le capitalisme a fait passer en cinquante ans, le Vietnam d’une société de pauvreté à une économie moderne. En 1990, le PIB par habitant stagnait à 98 dollars, le taux de pauvreté à 58 %. Aujourd’hui, le taux de pauvreté est de 3 %, et le PIB est passé de 39,55 milliards$ en 2003 à 440, une augmentation de 1000%. Ce n’est qu’un début. D’autres pays suivront. La révolution en cours changera le monde plus sûrement que les gouvernements, empêtrés dans leurs statistiques dépassées, leurs bureaucraties, leur comptabilité nationale irréelle, leurs monnaies aussi légales qu’hésitantes.
Le nouveau monde sera dangereux. L’ancien ne l’était-il pas ? Il offre déjà des opportunités extraordinaires pour les pauvres humains. Le premier singe qui regarda la voûte étoilée a conçu en même temps le premier homme. Et vite le premier biface. C’est la part de rêve qu’il faut cultiver, pas celle de la peur. La civilisation des loisirs ne fait que commencer, elle peut être celle des jeux de l’esprit, de la lutte contre la bêtise, contre la bête ? Essayez ! Bonnes vacances.
Laurent Dominati
a. Ambassadeur de France
a. Député de Paris
Auteur/Autrice
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Député de Paris de 1993 à 2002, Ambassadeur au Honduras de 2007 à 2010, puis au Conseil de l'Europe de 2010 à 2013, il a fondé le media lesfrancais.press dont il est le Président.
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