Après avoir atteint un point bas dans les années 1980/1990, l’endettement des États occidentaux est en hausse. L’érosion de la croissance a diminué les recettes publiques quand, dans le même temps, les gouvernements ont accru les dépenses, en particulier en matière sociale. La succession des crises conduit à un interventionnisme croissant. Un nouvel acteur bouleverse le jeu, la monnaie numérique.
La covid-19, un accélérateur de mutations
L’épidémie de Covid-19 a entraîné une augmentation sans précédent des dépenses et de la dette : en moyenne, +20 % du PIB. Pour la première fois depuis 75 ans, le taux d’endettement public dépasse le niveau qu’il avait atteint à la sortie de la Seconde Guerre mondiale. Il s’élevait à 138 % du PIB en 2020 pour l’OCDE contre 120 % en 1945 et 50 % en 1980. Parmi les grands États occidentaux, seul le Royaume-Uni n’a pas battu son record de 1945. L’endettement public de ce dernier avant atteint alors plus de 240 % du PIB (103 % en 2020).
Déséquilibres structurels
Entre 1950 et 2007, les États occidentaux ont limité l’ampleur de leurs déficits publics. L’équilibre était de mise jusqu’en dans les années 1970. Une lente dégradation intervient à partir du premier choc pétrolier qui s’amplifie de crise en crise. Aujourd’hui, la tendance lourde est à l’augmentation des dépenses publiques du fait d’une forte demande de socialisation de la richesse produite. La lutte contre la pauvreté, la transition énergétique, les relocalisations, la santé, l’éducation les retraites ou la dépendance constituent des pôles de dépenses jugés incontournables par les opinions publiques.
Dans le contexte actuel, nul n’imagine le retour rapide aux excédents budgétaires mêmes primaires (avant paiement des intérêts de la dette), ce qui constitue une rupture par rapport à la période 1950/1970 ou la quasi-totalité des États dégageaient de tels excédents. Rompant avec une tradition qui s’était imposée après la Seconde Guerre mondiale, les États recourent de plus en plus à la monétisation des dettes publiques.
Un quart de la dette détenue par les banques centrales
La part de la dette publique détenue par les banques centrales représentait moins de 5 % du PIB jusqu’au début des années 2000. Ce ratio atteint désormais 35 %. Il s’élève même à près de 100 % au Japon. Cette augmentation est évidemment à mettre en parallèle avec celle de l’endettement. Les banques centrales ont accompagné et permis la progression rapide de la dette publique ; elles en détiennent désormais plus du quart. Les taux d’intérêt constituent un élément clef de la solvabilité des États.
Si les taux d’intérêt nominaux sont inférieurs à la croissance nominale, il y a bien sûr réduction du taux d’endettement public. Durant les Trente Glorieuses, la faiblesse des taux nominaux était en partie due à une inflation élevée et s’accompagnait d’une croissance importante. Cette combinaison a contribué à la forte réduction de l’endettement public.
Aujourd’hui, les pouvoirs publics comptent essentiellement sur les taux d’intérêt anormalement bas. Depuis les années 1990, au sein de l’OCDE, ils sont en moyenne inférieurs à la croissance. Les politiques monétaires expansives des banques centrales réduisent le coût de l’endettement en offrant aux États la possibilité d’émettre des volumes d’obligations plus importants que dans le passé.
Une inflation larvée mais déjà présente
Pour certains, l’inflation est de manière larvée déjà présente. La progression des prix de l’immobilier et des actions en serait une des manifestations. Les dépenses de logement des ménages sont en augmentation constante depuis une dizaine d’années, ce qui aboutit à réduire leurs marges de manœuvre en période de stagnation salariale.
Une hausse des prix sur les matières premières et sur certains biens intermédiaires comme les microprocesseurs est constatée depuis le début de l’année 2021. Ce phénomène peut être transitoire en raison des problèmes d’approvisionnement générés par l’épidémie. Elle peut néanmoins être amenée à perdurer avec la hausse de la demande qui est stimulée par les plans de relance notamment américains.
Jusqu’à maintenant, les grandes monnaies que sont le dollar ou l’euro ne connaissent pas de dépréciation malgré la forte augmentation de leur masse monétaire provoquée par l’endettement croissant des États et des autres agents économiques. Le statut de valeur refuge de ces deux monnaies et l’inexistence d’alternative monétaire crédible empêchent l’engagement d’un tel processus.
Le Dollar, l’Euro et les cryptomonnaies
Des économistes comme Charles Gave estiment que la défiance à l’encontre du dollar et de l’euro interviendra assez rapidement avec l’émergence des crypto-monnaies. Ce scénario suppose l’affaiblissement du pouvoir des banques centrales qui sont les seules à pouvoir donner une valeur légale aux monnaies. Face à un risque de marginalisation, elles pourraient s’accorder pour déployer des monnaies numériques de banque centrale.
Toutes les périodes d’endettement massif donnent lieu à des innovations financières majeures. L’émergence de la blockchain ouvre également de nouveaux horizons au secteur financier.
Expérimentation de l’euro numérique
La Banque Européenne d’Investissement (BEI) et la Banque de France mènent depuis le milieu de l’année dernière des expérimentations sur ce sujet. Au mois d’avril, une émission d’obligations numériques pour un montant total de 100 millions d’euros a été ainsi réalisée. Les règlements ont été effectués en monnaie numérique de banque centrale émise sur la blockchain. D’un point de vue technologique, l’expérimentation a nécessité le développement et le déploiement de smart contracts sous des conditions sécurisées, afin que la Banque de France puisse émettre et contrôler la circulation des jetons de Monnaie Numérique de Banque Centrale (MNBC) et que leur transfert se fasse simultanément en livraison contre paiement à la livraison des jetons de titres dans le portefeuille des investisseurs.
L’ensemble des opérations a été mené en coopération avec les membres d’un syndicat bancaire composé de Goldman Sachs International, Santander et Société Générale. D’autres expérimentations seront réalisées par la Banque de France dans les prochains mois en coopération avec d’autres acteurs du marché, pour tester de nouveaux usages d’un euro numérique de banque centrale dans les règlements interbancaires.
Quelles formes pourraient prendre cette future monnaie digitale de banque centrale ? Cette monnaie pourrait être réservée aux intermédiaires financiers et permettrait d’utiliser la blockchain pour réduire les coûts et les délais associés à certaines transactions interbancaires faisant aujourd’hui intervenir back-offices, chambres de compensations, dépositaires centraux et banques centrales. Un tel usage pourrait aboutir à l’essor du shadow banking et à l’arrivée de nouveaux acteurs.
Un nouveau rôle pour les banques centrales
A terme, la monnaie digitale de banque centrale pourrait être accessible à tous les publics : particuliers, entreprises et intermédiaires financiers. Sa valeur serait garantie par le bilan de la banque centrale et ne souffrirait d’aucun risque de défaut. Elle pourrait alors être utilisée pour les transactions dans des points de vente physiques, en ligne ou sur des objets connectés. Elle pourrait également être rémunérée et constituer alors un placement.
Cette monnaie pourrait remettre en cause le rôle d’intermédiation rempli par les établissements financiers. Le système bancaire pourrait être confronté au risque de captation des dépôts par la banque centrale. Compte tenu de son caractère présumé sans risque, les épargnants pourraient se détourner des dépôts traditionnels en banques commerciales.
Si les transactions commerciales sont réalisées en monnaie digitale de banque centrale, les établissements n’auront plus accès à des informations concernant leurs clientèle de détail. Cette perte d’information peut les conduire à prendre des décisions moins pertinentes dans leur activité d’octroi de crédit, ce qui impacterait la qualité des actifs bancaires et leur solvabilité.
L’émergence des monnaies digitales est une source de déstabilisation de l’ensemble de la place financière avec des possibilités de transferts massifs si elles sont ouvertes trop rapidement à la clientèle de détail. En l’état actuel, les banques centrales souhaitent en réserver l’accès aux établissements financiers et limiter la rémunération qui y serait associée afin de ne pas pénaliser les dépôts traditionnels. La détention de la monnaie digitale serait plafonnée avec, en outre, des obligations de conversion dans les devises ayant cours légal.
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