Délais, coûts, production : EDF dans un moment de vérité

Délais, coûts, production : EDF dans un moment de vérité

Depuis quelques semaines, EDF essuie les critiques face aux allongements de délais et des coûts de ses projets, tandis que des problèmes sur le parc existant ressurgissent. L’énergéticien est dans un moment de vérité, à quelques encablures d’intensifier sa capacité de construction de réacteurs en Europe. 

23 janvier 2023 : EDF, premier énergéticien d’Europe, annonce un nouveau rallongement des coûts et des délais de construction de ses deux réacteurs à eau pressurisée de 3e génération (EPR 2) situés à Hinkley Point en Angleterre. Le budget pourrait augmenter de 70 à 90 % par rapport aux estimations initiales et le démarrage cumuler quatre à six ans de retard.

La faute à la pandémie de Covid-19, à l’évolution des règles de sûreté (constitutif d’un réacteur de 3e génération, EPR2) et à l’inertie du secteur britannique après 20 ans sans nouveaux réacteurs, explique la Société française de l’énergie nucléaire (SFEN), association en défense de l’atome.

Quoiqu’il en soit, les retards ne sont « pas de nature à entamer la confiance du gouvernement britannique dans sa stratégie nucléaire », défend la SFEN. Preuve en serait de son réinvestissement de plus d’un milliard de livres sterling dans deux autres réacteurs construits par EDF en Angleterre, à Sizewell. 

Pour d’autres, au contraire, la situation anglo-saxonne est symptomatique du défi auquel fait face le plus gros exploitant nucléaire au monde, en qui la confiance s’éroderait à mesure des projets, alors qu’il vise, notamment la construction de six, puis 14 EPR2 en France, et un (voire quatre en tout) en République tchèque pour lesquels les autorités attendent des garanties.

D’autant qu’un autre projet ternit l’image du géant français. Sur le continent, EDF construit en effet un EPR 2 en France, à Flamanville (Normandie). Mais comme en Angleterre, la construction accuse d’importants retards (12 ans) et surcoûts (+470%). Le démarrage du réacteur prévu « mi-2024 » pourrait même être encore retardé.

Besoin d’effets de série

Même justification qu’en Angleterre : « nous avons construit un réacteur unique avec une filière industrielle qui n’y était pas préparée », expliquait mi-février Bernard Salha, directeur R&D chez EDF, auditionné au Sénat

Selon lui, « la clé du succès pour ces futurs réacteurs, c’est un effet “série” ». En d’autres termes, la construction de réacteurs à la chaîne, ou tout du moins par paire. 

En France, le gouvernement compte bien s’y mettre puisqu’il prévoit la construction de six EPR2 — et possiblement huit autres. Coûts et délais estimés pour les six premiers : 52 milliards d’euros et une première mise en service en 2035.  

Une fois n’est pas coutume, selon Les Échos, les coûts auraient déjà été revus à la hausse… de 30 %. Interrogé, le PDG d’EDF, Luc Rémont, « ne confirme aucun chiffre »

« Nous serons au rendez-vous quand nous aurons fait toutes les optimisations [design de l’ingénierie, fabrication des composants, etc., NDLR] », a-t-il expliqué en marge du sommet franco-tchèque du nucléaire organisé à Prague les 8 et 9 mars dernier. 

Les délais, déjà « très exigeants »consentait-il fin novembre, auraient depuis été reportés à 2040. 

Ce va-et-vient agace le ministre de l’Économie et de l’Énergie. « EDF doit apprendre à tenir ses coûts et son calendrier », a ainsi tancé Bruno Le Maire début mars dans Le Monde.

EDF
Le ministre français de l'Économie, des Finances, de l'Industrie, de l'Energie et du Numérique Bruno Le Maire (G) et Luc Remont, nouveau président-directeur général d'EDF, sont assis dans un bus lors d'une visite à la centrale nucléaire de Penly d'EDF à Petit-Caux, près de Dieppe, France, le 9 décembre 2022. [EPA-EFE/CHRISTOPHE PETIT TESSON]

République tchèque, Pologne, Slovaquie…

Il faut dire qu’EDF joue sa réputation internationale. 

À Prague, M. Rémont accompagnait le président de la République, Emmanuel Macron, venu  défendre la candidature d’EDF pour la construction d’un, voire quatre réacteurs en tout, en République tchèque.

Or, les autorités du pays ont martelé leur attachement au respect des délais et des coûts. 

« Nous sommes intéressés par le prix le plus bas possible, les garanties les plus élevées possibles que la centrale sera construite dans les délais », a déclaré en ce sens Jozef Síkela, ministre tchèque de l’Industrie et du Commerce, à Euractiv.

En clair, ce n’est pas parce qu’EDF est la seule entreprise européenne en lice qu’elle sera choisie. Pire, l’entreprise marche sur des œufs, concurrencée, comme en 2009 sur le dossier des réacteurs aux Émirats arabes unis, par une filiale du sud-coréen KEPCO. 

« Quinze ans plus tard, l’EPR de Flamanville […] n’est toujours pas en service. Trois des réacteurs sud-coréens d’Abou Dhabi le sont et le dernier très prochainement [avec du retard, NDLR] », a tenu à rappeler l’ancien représentant d’EDF auprès des institutions européennes (1987 à 2000) Lionel Taccoen, repris sur X par Jean-François Raux, délégué général de l’Union française de l’électricité — fédération des acteurs du secteur — jusqu’en 2015. 

La situation peut sembler d’autant plus inquiétante qu’EDF s’intéresse également à la construction de réacteurs aux Pays-Bas, en Bulgarie, en Slovénie, en Slovaquie et en Pologne ou la firme française s’est récemment fait coiffer au poteau

En outre, les autorités tchèques ont laissé la porte ouverte à l’américain Westinghouse pour proposer une nouvelle offre. Ce dernier a d’ailleurs raflé plusieurs contrats pour des réacteurs en Europe ces dernières années. 

La filière en plein chantier

Auditionné par les sénateurs, le directeur Ingénierie et projet de nouveaux nucléaires chez EDF, Xavier Ursat se veut toutefois rassurant : « nous sommes dans une phase de rétablissement de la filière. Flamanville nous a permis de réapprendre, dans la douleur, ce qu’était la maîtrise d’un très grand projet ».

Pour Pierre Gadonneix, ancien PDG d’EDF (2004 à 2009), si les chantiers d’Hinkley Point « n’avait pas eu lieu, toute la filière nucléaire tricolore aurait dépéri, car il n’y aurait plus eu de construction »a-t-il raconté à La Tribune en octobre dernier. 

L’autre point noir sur le tableau d’EDF réside dans la gestion de son parc existant et notamment l’annus horribilis 2022 où, en pleine crise énergétique, la production est retombée aux niveaux pré-1990.

« L’année où la France aurait dû briller est l’année exactement où nous avons eu 50 % de réduction du parc », tançait fin janvier auprès d’Euractiv Xavier Daval, vice-président du Syndicat des énergies renouvelables, principal syndicat des acteurs de la filière en France. 

Il faudra dorénavant attendre 2027, selon EDF, pour atteindre de nouveau des niveaux de production légèrement supérieurs à ceux de 1995 (environ 360 TWh sur l’année), loin des 400-420 TWh atteints entre 2002 et 2015. 

Comme s’il en fallait davantage, EDF a découvert début mars de nouvelles « indications » de corrosions, cauchemar de 2022, sur l’un des réacteurs du parc.

Néanmoins, l’entreprise et la filière nucléaire bénéficient plus que jamais du soutien du gouvernement. La France, comme la quinzaine d’autres États européens, qui font partie de l’« alliance du nucléaire », soutient l’émergence de 30 à 45 réacteurs de grande taille d’ici à 2050. EDF en sera-t-elle le principal artisan ? 

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