Déficits publics, la France dans l’œil du cyclone

Déficits publics, la France dans l’œil du cyclone

Après la publication de rapports sans appel de la Cour des Comptes, après la dégradation de la note relative à la dette publique par l’agence S&P, la France fait l’objet, depuis le mercredi 19 juin, d’une procédure pour déficit excessif par la Commission de l’Union européenne.

La Commission européenne a ouvert la voie à des procédures dites « pour déficits publics excessifs » contre sept États membres de l’Union européenne : l’Italie, la Belgique, la Hongrie, la Pologne, la Slovaquie, Malte et la France. L’an dernier, les déficits les plus élevés de l’Union ont été enregistrés en Italie (7,4 % du PIB), en Hongrie (6,7 %), en Roumanie (6,6 %), en France (5,5 %) et en Pologne (5,1 %). La dette de la France est actuellement supérieure à 110 % de son PIB, celle de l’Espagne s’en approche, alors que celle de l’Allemagne n’atteint que 64 %.

Le placement de la France sous procédure pour déficit excessif était donc inévitable. La multiplication des promesses électorales ne peut que renforcer les craintes de la Commission d’un emballement de la situation budgétaire française. Les États européens concernés par la procédure de déficit excessif devront prendre des mesures correctrices afin de revenir progressivement sous la barre de 3 % du PIB, sous peine de sanctions financières qui peuvent atteindre 0,1 % du PIB par an, soit près de 2,5 milliards d’euros dans le cas de la France. La Commission pourrait prélever ces sommes sur les fonds du plan de relance européen ou les fonds de cohésion.

Les pays en déficit excessif doivent réduire au minimum leur déficit de 0,5 % par an.  

En avril dernier, est entré en vigueur un pacte de stabilité « rénové » qui accorde plus de flexibilité aux États dans l’élaboration de leurs trajectoires budgétaires, sur le fondement de la soutenabilité de leur dette. Selon le nouveau pacte, les pays en déficit excessif doivent réduire au minimum leur déficit de 0,5 point par an.

Ce ratio automatique a été critiqué par de nombreux eurodéputés pour son effet restrictif sur une activité économique déjà atone, la Commission n’attendant pas plus de 1 % de croissance dans l’Union cette année. La Commission européenne a proposé aux États membres des trajectoires budgétaires de référence, sur quatre ans ou plus longtemps, offrant la possibilité d’un étalement des ajustements jusqu’à sept ans. En s’appuyant sur ces trajectoires, les ministères des Finances doivent travailler tout l’été et renvoyer à Bruxelles d’ici la fin septembre leurs plans budgétaires pluriannuels. La Commission donnera, en novembre, ses recommandations pour le rétablissement des comptes publics. Les trajectoires finales doivent être validées par le Conseil Ecofin en décembre.

Alerte sur la dérive des comptes sociaux

De son côté, la Banque centrale européenne (BCE) a averti, mercredi 19 juin, que les gouvernements en zone euro doivent améliorer « immédiatement » leurs finances publiques face aux risques de long terme liés au vieillissement démographique, à l’augmentation des dépenses de défense, au dérèglement climatique et au numérique. Concernant la France, après la Cour des Comptes, la Commission des Comptes, réunie à Bercy, a alerté sur la dérive des comptes sociaux.

Selon cette commission, le déficit attendu en 2024 serait bien plus important qu’initialement prévu. Alors que la loi de financement de la Sécurité sociale, adoptée à l’automne, avait retenu un déficit de 10,5 milliards, il pourrait atteindre 16,6 milliards d’euros. Cette dérive est imputable à des moins-values de recettes fiscales et sociales. La hausse de la masse salariale sur laquelle sont assises les cotisations s’élèverait à 3,1 % cette année (au lieu des +3,9 % initialement prévus). Les dépenses ont continué également à progresser de manière dynamique notamment en lien avec l’inflation, étant donné que les pouvoirs publics ont fait le choix de l’indexation. Le dérapage du déficit de la Sécurité sociale en cours d’exercice s’explique aussi par un effet base. Celui de 2023 (y compris le fonds de solidarité vieillesse) s’étant révélé plus important que prévu, 10,8 milliards d’euros au lieu de 8,7 milliards, l’exercice 2024 a démarré sur des bases plus dégradées qu’attendu.

Au sein du régime général de la Sécurité sociale, la branche maladie enregistre la plus forte dégradation, avec un déficit attendu à 11,4 milliards cette année. La branche vieillesse (régime de base du privé) connaît également une aggravation de son déficit de 1,3 milliard d’euros, celui-ci passant ainsi à 5,5 milliards d’euros.

La réforme des retraites ne permettra des économies qu’en 2030.  

Les économies générées par le passage à 64 ans de l’âge légal de départ à la retraite n’interviendront que progressivement et seront réellement effectives qu’en 2030. Après avoir été longtemps excédentaire, le régime de retraite des collectivités territoriales (CNRACL) connaît, depuis 2018, un déficit continu. En 2024, il atteindrait 3,6 milliards, après 2,5 milliards en 2023. Selon les prévisions du Conseil d’orientation des retraites, il pourrait atteindre environ 10 milliards en 2030. Les difficultés de ce régime sont liées à l’augmentation du nombre de départs en retraite, tandis que celui des nouveaux affiliés stagne voire diminue. Les pouvoirs espéraient contenir le déficit de la Sécurité sociale à 17 milliards d’euros en 2027, or ce montant risque d’être atteint dès cette année, rendant obligatoire la mise en place d’un plan de rigueur bien plus tôt que prévu.

Auteur/Autrice

  • Philippe Crevel

    Philippe Crevel est un spécialiste des questions macroéconomiques. Fondateur de la société d’études et de stratégies économiques, Lorello Ecodata, il dirige, par ailleurs, le Cercle de l’Epargne qui est un centre d’études et d’information consacré à l’épargne et à la retraite en plus d'être notre spécialiste économie.

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