« Alain Fabien, Anouchka, Anthony, ainsi que (son chien) Loubo, ont l’immense chagrin d’annoncer le départ de leur père. Il s’est éteint sereinement dans sa maison de Douchy, entouré de ses trois enfants et des siens. (…) Sa famille vous prie de bien vouloir respecter son intimité, dans ce moment de deuil extrêmement douloureux »
Communiqué de la famille d’Alain Delon
Alain Delon avait été célébré à Cannes, en 2019, où il avait reçu une Palme d’honneur, pour l’ensemble de sa carrière. « Ce soir c’est un peu un hommage posthume, mais de mon vivant », avait lancé l’acteur, ému. « Je vais partir, mais je ne partirai pas sans vous remercier ». Très affaibli depuis un AVC en 2019, l’acteur vivait dans sa propriété de Douchy, alors que ses trois enfants, Anthony (59 ans), Anouchka (33 ans) et Alain-Fabien (29 ans), très divisés sur l’état de santé de leur père et la façon de s’en occuper au mieux se déchiraient dans les médias. Il y est décédé entouré de tous ses proches.
De Fresnes à Cannes
Né à Sceaux en 1935, le petit Alain n’a que quatre ans lorsque ses parents divorcent. Il est confié à une famille d’accueil, dont le père était gardien de prison. « Combien sont-ils à savoir que j’ai passé mon enfance en prison? Du moins dans la cour de la prison de Fresnes – mon père adoptif y était gardien -, où je jouais avec d’autres enfants de gardiens », confiait-il à TV Mag en 2015.
Sa mère s’étant remariée à un boucher-charcutier, Paul Boulogne, le jeune Alain Delon passe un CAP de charcuterie. Mais à 17 ans, pour échapper à un destin qui l’emballe peu, il devance l’appel et fait son service militaire dans la marine. Impliqué dans un vol de matériel de l’armée, il doit choisir entre la prison et l’Indochine et se retrouve à Saïgon, jusqu’à la fin de la guerre d’Indochine.
De retour en France, il vit de petits boulots, comme débardeur aux Halles. L’acteur Jean-Claude Brialy repère sa beauté et l’emmène au Festival de Cannes. C’est là qu’il reçoit ses premières propositions cinématographiques. Yves Allégret lui offre son tout premier rôle, en 1957 dans Quand la femme s’en mêle. La machine est lancée.
Une passion nommée Cinéma
Le cinéma est un heureux hasard pour celui qui n’avait aucune idée de ce que serait son avenir. « Je ne savais pas du tout ce que j’allais faire et j’étais ouvert à tout », racontait-il en 1979, dans l’émission télévisée Les oiseaux de nuit. Il n’a d’ailleurs jamais appris la comédie et jamais suivi de cours ni fréquenté d’école, contrairement à ses contemporains Jean-Paul Belmondo, Jean Rochefort, ou encore Jean-Pierre Marielle qui se sont rencontrés au Conservatoire.
Il est pourtant un acteur-né dont la beauté magnétique irradie à l’écran et aimante les plus grands réalisateurs de l’époque. « C’est un acteur très animal, c’est un fauve même, dans le bon sens du terme. Il a une présence incroyable », soulignait Bertrand Blier dans un documentaire intitulé Alain Delon: La naissance du mythe. Dans les années 1960, les films s’enchaînent, dont plusieurs chefs-d’œuvre.
Deux ans plus tard, il incarne le séduisant Tom Ripley dans Plein soleil de René Clément. Puis joue le jeune et innocent Rocco, face à Annie Girardot, Rocco et ses frères, de Luchino Visconti, la même année. Suivent L’éclipse, de Michelangelo Antonioni, avec Monica Vitti, Mélodie en sous-sol, de Henri Verneuil, avec Jean Gabin, une des ses idoles, Le guépard, encore avec Visconti.
Romy Schneider
En 1958, il rencontre sur le tournage de Christine, une jeune actrice allemande, connue pour son rôle dans Sissi. C’est Romy Schneider, qui sera l’un des grands amours de sa vie.
Il joue aussi dans L’insoumis, d’Alain Cavalier, en 1964, et dans Les félins, de René Clément face à Jane Fonda en 1964. La même année il est La tulipe noire, le héros d’Alexandre Dumas dans le film de Christian-Jacque. En 1966, il incarne Jacques Chaban-Delmas dans Paris brûle-t-il?. Autant de films qui sont devenus des classiques et le font entrer dans la légende.
En 1963, il quitte Romy Schneider, pour une jeune photographe, Nathalie, qu’il épouse en 1964. Un an plus tard naît leur fils, Anthony. Malgré une relation passionnelle, Nathalie finit par quitter Alain Delon. Ils divorcent en 1968.
Le Samouraï
En 1967, il tourne son premier film avec Jean-Pierre Melville. Une rencontre marquante pour le cinéaste et pour l’acteur. Entre les deux hommes, c’est un véritable coup de foudre professionnel. Delon racontait, ainsi, dans un entretien au Figaro comment il avait reçu Melville chez lui, avenue de Messine, avec sa femme Nathalie.
« On s’assied. Il me dit: ‘J’ai un film que je veux absolument faire avec vous, personne d’autre. Ça s’appellera Le Samouraï. » Il commence à lire le scénario. Au bout d’un moment, je l’arrête: ‘J’accepte. Cela fait six ou sept minutes et mon personnage n’a toujours pas prononcé un mot. C’est moi! N’en parlons plus. Allons-y! ».
Ensemble ils tournent Le Samouraï, donc, puis le Cercle Rouge, avec Bourvil et Yves Montand, en 1970, et Un flic, en 1972, avec Catherine Deneuve. Des rôles de héros assez mutiques qui conviennent bien à Delon. L’acteur aux yeux bleu acier enchaîne les polars, avec Melville, mais aussi Henri Verneuil. Il retrouve le réalisateur de Mélodie en sous-sol pour Le clan des Siciliens en 1969, avec Jean Gabin et Lino Ventura.
Alain Delon retrouvera Romy Schneider en 1968, dans le film La Piscine de Jacques Deray. Le film scelle les retrouvailles d’un couple mythique, au sommet de sa beauté. Delon confiera plus tard que ce tournage est l’un de ses plus beaux souvenirs. « Mon plus beau souvenir, c’était l’été 1968. La maison à Saint-Tropez, la lumière y était magnifique. Romy… J’avais l’âge du Christ, 33 ans, l’âge idéal pour un homme ».
Il n’y a pourtant entre eux plus rien de sentimental. Romy Schneider partage la vie du metteur en scène allemand Harry Meyen et Alain Delon vient de rencontrer Mireille Darc, avec qui il vivra pendant quinze ans.
Alain Delon et Jean-Paul Belmondo
Jacques Deray, encore lui, signe la plus flamboyante rencontre entre Delon et son « rival » de toujours, Jean-Paul Belmondo. C’est Borsalino, en 1970, un film qui suscitera d’ailleurs une brouille entre les deux acteurs, amis dans la vie. Lorsque Belmondo découvre l’affiche du film, il est furieux. Il y a en effet marqué « Alain Delon présente: Alain Delon et Jean-Paul Belmondo dans Borsalino », car Delon en était également le producteur. « Le contrat précisait bien qu’il n’y aurait pas deux fois le nom de Delon sur l’affiche », raconte sur RMC Laurent Bourdon, auteur de Définitivement Belmondo. Fâché, Jean-Paul Belmondo refusera même d’assister à la première.
Les deux héros, l’un populaire et sympathique, l’autre ténébreux et solitaire sont souvent comparés.
« Jean-Paul est mon ami. (…) J’ai tourné avec lui, j’ai vécu avec lui, j’ai vibré avec lui, j’ai pleuré et ri avec lui sur des plateaux de cinéma qu’on ne refera plus. Je l’aime et je l’admire, n’en déplaise à ceux qui nous ont opposés dans une rivalité absurde. Justement parce que nous sommes uniques dans notre genre, et incomparables, nous n’avons jamais été en concurrence. Ni dans nos vies de cinéma, ni dans nos vies privées », écrivait Delon en 2006 dans Paris Match.
S’ils partagent l’affiche dans d’autres films (Les 101 nuits de Simon Cinéma, Les acteurs), il faudra attendre 1995 pour qu’ils apparaissent vraiment ensemble à l’écran, dans 1 chance sur 2, de Patrice Leconte, avec Vanessa Paradis. Le film, qui réunit les deux monstres sacrés, est un succès relatif.
En 1976, Alain Delon tourne un autre chef-d’œuvre, Mr Klein, de Joseph Losey. Il tâte aussi du cinéma américain avec L’assassinat de Trotsky, de Joseph Losey, en 1972, avec Richard Burton et Romy Schneider, ou Soleil rouge, un western avec Charles Bronson et Ursula Andress.
Une deuxième page à partir des années 80
Dans les années 1980, Alain Delon enchaîne les rôles de super héros solitaires: super flic, super médecin ou des gangsters… presque jusqu’à la caricature. Il tourne dans Le toubib, Pour la peau d’un flic, Le battant (dont certains qu’il réalise lui-même). A la télévision, il incarne des flics encore, Fabio Montale, dans la série tirée de la trilogie marseillaise de Jean-Claude Izzo et Franck Riva, au côté de Mireille Darc.
En 1987, il rencontre Rosalie van Breemen, mannequin néerlandais. Deux enfants naîtront de leur union, Anouchka, en 1990 et Alain-Fabien, en 1994. Le couple se sépare en 2001.
En 1997 et 98, l’acteur devient malgré lui une « star » des Guignols de l’info sur Canal+. Maniant la troisième personne pour parler de lui (le fameux ‘il vous en prie’) , sa marionnette joue du côté immodeste d’Alain Delon. Une de ses dernières apparitions au cinéma, date de 2008. Il campait dans Astérix et les jeux olympiques, un Jules César plein d’autodérision. « J’ai eu une vie extraordinaire », confiait-il en 2016 à Léa Salamé, expliquant alors qu’il n’avait pas peur de mourir.
Une star internationale
Iconique en France, Alain Delon l’est aussi à l’international. Ainsi, l’acteur était “une star de l’âge d’or du cinéma français”, écrit le site de la BBC, connu pour son personnage de dur à cuire à l’écran dans des films à succès tels que Le Samouraï (1967) et Borsalino (1970). “Fascinant et beau”, Alain Delon était “l’une des stars les plus mystérieuses du cinéma”, souligne pour sa part The Guardian. Mondialement connu, “star et fier de l’être”, il était “le dernier grand mythe du cinéma français”.
“Vrai dur à gueule d’ange”, l’acteur a “irradié les années 1960 de son magnétisme”, rappelle le quotidien suisse Le Temps. Pour sa part, La Tribune de Genève évoque “un monstre sacré du cinéma, qui fascinait et divisait à la fois”, tandis que Blick parle de la disparition d’un “véritable monument du cinéma français”. L’acteur français “au physique ténébreux et séduisant” a pu être surnommé “le Brigitte Bardot au masculin”, rappelle de son côté The Hollywood Reporter qui, outre ses rôles dans Le Guépard (1963) et Le Samouraï, mentionne son interprétation de Tom Ripley dans Plein Soleil (1960).
Hommage général
Depuis l’annonce de son décès ce dimanche 18 août au matin, les messages lui rendant hommage sont nombreux. En France, tout d’abord, avec les messages d’Emmanuel Macron et de Franck Riester. En effet, rappelons-le, Alain Delon était un Français de l’étranger, installé en Suisse depuis 1985.
Monsieur Klein ou Rocco, le Guépard ou le Samouraï, Alain Delon a incarné des rôles légendaires, et fait rêver le monde. Prêtant son visage inoubliable pour bouleverser nos vies.
— Emmanuel Macron (@EmmanuelMacron) August 18, 2024
Mélancolique, populaire, secret, il était plus qu’une star : un monument français. pic.twitter.com/1JTqPfVo5n
La disparition d’Alain Delon laisse le monde du cinéma et tous les Français orphelins.
— Franck Riester (@franckriester) August 18, 2024
Au moment des hommages, je me souviens avec émotion de celui rendu par le Festival de Cannes et toute la profession en 2019, à la mesure de sa carrière.
Acteur légendaire, réalisateur et… pic.twitter.com/Np6EnTS9hN
Bien sûr, les membres de la famille Cinéma et plus largement le monde culturel francophone ont inondé les réseaux sociaux comme les médias de leurs messages.
« Après Belmondo, Delon s’en va. C’est le dernier témoin de toute une époque du cinéma. […] C’était mon Dieu. C’est un grand chagrin qu’il soit parti, mais en même temps une libération pour lui, parce que cette époque, il ne l’aimait pas […] »
S’est émue l’actrice, Véronique Jannot, au micro de BFM TV.
« Il était le cinéma, par sa présence. Plus qu’un acteur, plus qu’un interprète, il était un symbole de la beauté française. […] Il était comme un animal blessé, il était un personnage extrêmement attachant. […] « Il était un homme retenu, timide, sauvage parfois, coléreux éventuellement, qui s’emportait parfois, mais il y avait au fond de lui-même quelque chose de tendre. »
L’ancien ministre de la Culture, Jack Lang, a rendu un long hommage à Alain Delon, sur BFM TV.
Laisser un commentaire« C’est un soulagement pour lui, sa maladie était affreuse. C’était un personnage inouï qui a joué une centaine de rôles différents, mais il arrivait avec ses propres valises, c’est-à-dire avec cette vivacité, cette sobriété, cette classe ».
L’ancien président du festival de Cannes, Gilles Jacob