Dans l’impasse, Bruxelles refuse toute réforme de sa politique commerciale

Alors que Bruxelles refuse de revoir en profondeur sa politique commerciale, elle n’a pour alternative que de subir une stratégie de confrontation commerciale avec Donald Trump, ou la Chine, sans être armée, estime Maxime Combes.

Maxime Combes est économiste, porte-parole d’Attac et auteur de Sortons de l’âge des fossiles !.

Présentée comme un « sans-faute » par le social-démocrate Bernd Lange, l’audition du commissaire désigné au commerce Phil Hogan le 30 septembre dernier par le Parlement européen, a donné le ton. Toute réforme d’ampleur de la politique commerciale européenne est écartée. Sous le précédent mandat, le désormais ex-Commissaire à l’agriculture a d’ailleurs toujours travaillé main dans la main avec Cécilia Malmstrom pour augmenter les quotas d’importation réservés au bœuf américain, finaliser le très discutable accord avec le Japon ou encore soutenir le très décrié accord avec le Mercosur.

Prisonnier du jeu de Donald Trump

Alors que Donald Trump ne cesse de menacer de relever les droits de douane sur les exportations européennes – que ce soit autorisé par l’OMC ou non – Phil Hogan affirme qu’il « fera de [son] mieux pour persuader les États-Unis d’œuvrer en faveur d’un partenariat positif, équilibré et plus mutuellement bénéfique ». Déjà, en juillet 2018, Jean-Claude Juncker avait accepté d’augmenter les importations de soja et de gaz naturel liquéfié pour tenter d’amadouer Trump. Sans succès : ces importations ont explosé – respectivement + 121 % et + 272 % – mais Trump n’a pas changé de stratégie.

Pour écarter temporairement la menace d’une augmentation unilatérale des droits de douane sur l’automobile européenne, Bruxelles avait également consenti au printemps dernier à ouvrir des négociations commerciales sectorielles. A chaque fois, Bruxelles se soumet aux desiderata de Trump et/ou, attendant patiemment que les Etats-Unis reviennent dans le jeu commercial traditionnel, se lie les mains tant que Trump n’y consentira pas.

Dépendance envers les dirigeants chinois

Face à la Chine, dont la puissance ne cesse de s’affirmer, Hogan promet de « rééquilibrer les relations commerciales », faisant sienne la demande de Macron et Merkel en faveur d’un multilatéralisme « plus équilibré ». S’adressant tout particulièrement à l’opinion publique française, Hogan prétend qu’il n’hésitera pas à « utiliser les instruments de défense commerciale » qui, théoriquement, permettent d’empêcher les entreprises chinoises de se positionner sur des appels d’offres publics en Europe si Pékin n’ouvre pas ses marchés aux entreprises européennes.

Si désireux d’obtenir un accord d’investissement protégeant les investisseurs européens en Chine, les décideurs politiques européens sont devenus dépendants du bon vouloir de leurs homologues chinois. La forte dépendance de l’industrie européenne, notamment allemande, à la demande chinoise et la volonté d’attirer des investisseurs chinois pour d’autres privent également l’UE d’une voix commune face à l’affirmation de la puissance chinoise autour des « nouvelles routes de la soie » dans plusieurs pays européens (Grèce, Italie etc).

Une doctrine commerciale dépassée ?

Continuellement « ouvrir des marchés » reste l’horizon indépassable de la politique commerciale européenne. Hogan affirme vouloir « tirer tous les avantages des accords déjà conclus » et « mener à leur terme les négociations en cours » (Australie, Nouvelle-Zélande, etc) ainsi que celles sur le commerce électronique au sein de l’OMC. Quant au continent africain, il doit devenir « une priorité encore plus grande ».

C’est la stricte réitération de la doctrine commerciale imaginée en pleine période de la globalisation triomphante : lever les barrières tarifaires et non tarifaires au commerce, gagner de nouveaux marchés, donner de nouvelles protections aux investisseurs, capter et sécuriser les approvisionnements en ressources naturelles stratégiques. Qu’importe que le monde ait changé et que la crise écologique se soit aggravée.

Et le climat ?

« Nous le faisons déjà». Telle est la réponse de Hogan à ceux qui le questionnent sur la prise en compte du développement durable ou du climat. Comme si les critiques envers les accords UE-Mercosur, CETA etc pouvaient être balayées d’un revers de la main. S’il affirme vouloir contribuer à « l’élaboration et à l’instauration d’une taxe carbone aux frontières », c’est en précisant tout de suite que sa mise en œuvre doit être « totalement conforme aux règles de l’OMC ». Ce qui revient à strictement conditionner les politiques de « protection » au respect des règles du commerce international plutôt que rénover ces dernières – et la politique commerciale de l’UE – à l’aune de la crise écologique.

Quand il est poussé dans ses retranchements, Hogan renvoie toute évolution – y compris la prise en compte des objectifs onusiens du développement durable – à la très hypothétique réforme de l’OMC. Alors que l’opinion publique a désormais majoritairement basculé dans de nombreux pays contre la multiplication de ces accords de commerce, pourquoi l’UE ne pourrait-elle pas déjà transformer sa propre politique commerciale, quitte à désobéir aux vieilles règles de l’OMC ?

Erreur de diagnostic et manque d’ambition coupable

Phil Hogan propose de se contenter de minuscules ajustements. Comme si Trump était un accident malheureux, mais provisoire, comme si la Chine allait bien finir par rentrer dans le rang, comme si Bruxelles pouvait continuer à dépendre des décisions prises à Pékin et Washington. Comme si les critiques envers les accords de commerce et d’investissement étaient marginales et passagères. Comme si la crise écologique n’imposait pas de changement de logique.

C’est une erreur de diagnostic qui porte en germe de graves conséquences : en refusant d’ouvrir la porte à une alternative, Bruxelles ne peut que nourrir les replis identitaires et conservateurs qu’elle prétend combattre.

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