Crises en stocks, stocks de crises

Crises en stocks, stocks de crises

Ainsi, la pandémie passée, nous naviguons vers l’euphorie. La croissance, reprend avec vigueur.  Plus de 6 % en France comme au Royaume-Uni. Les Etats-Unis embauchent à tout va, et se battent sur des plans de relance entre 1600 et 3000 milliards de dollars. Le premier, celui qui concerne les infrastructures, a été voté. Le complément, le plan social, attend. Certes, il y a des doutes sur ce panorama : l’épidémie revient. Moscou chancelle. Le Maroc maintient son couvre feu, la Chine se ferme. Mais entre les vaccins (50% de la population serait vaccinée) et les nouvelles pilules, l’étau se resserre sur le virus et ses mutants. Les stocks de germes à venir ne pourront rien contre la puissance des labos.

Tout va bien, très bien, trop bien.  

Pour financer la reprise, la masse monétaire a explosé. Les circuits de distribution, en puces, en bois, en blé,  en gaz, sont saturés. Seul le digital passe sans crainte. Heureusement l’argent l’est. La Banque Centrale Européenne confirme que l’inflation ne sera qu’un passage momentané, et la Réserve fédérale américaine ne réduit son programme de rachat de dette que parce que tout va bien, très bien, trop bien.

Seul le FMI garde l’esprit chagrin, avec une nouvelle tendance Banque Mondiale à plaindre les pays pauvres. Les deux ont lancé l’alerte : la dette des pays pauvres a augmenté avec la pandémie de 12%. Le G20 (France et Canada en tête) a répondu aussitôt : 100 milliards leur seront attribués à partir d’un nouveau fonds sur les droits de tirage des pays riches. Cela étant, 12%, c’est peu, par rapport à l’explosion de la dette des pays riches. La dette mondiale a atteint 98,6% du PIB mondial en 2020. Pour les économies développées, le taux est de 122,7% : Japon 254%, Italie 156%, États-Unis, 134%, France 115,1%, Allemagne 69%. Les uns peuvent créer de l’argent à partir de rien, les autres non. 

Ce qui se passe, c’est un décrochage.  

La mondialisation en pause, la pauvreté a fait un bond. 100 millions de personnes auraient basculé dans l’extrême pauvreté en un an. Une rupture historique, puisque, depuis des années, la pauvreté reculait. En 50 ans, le PIB des Pays moins avancés (PMA) a été multiplié par six. L’aide mondiale, s’accroit pourtant chaque année, elle est passée de 8 à 168 Milliards par an. Mais le PIB des Pays les moins avancés, qui représentait 1% du PIB mondial, ne représente toujours que … 1%. Ce qui se passe, c’est un décrochage. 

Seuls les pays qui peuvent s’endetter rebondissent. Selon le FMI, en 2024, le PIB des pays riches dépassera de 0,9% son niveau pré-Covid, il sera toujours inférieur de 5,5% pour les pays émergents. Même la Chine souffre, son système financier tousse. Etats-Unis et Europe retrouvent la croissance. Les autres se sont appauvris. Russie, Brésil,  Afrique du sud sont des ex-émergents. La Turquie s’affole parce qu’elle s’enfonce. Comme l’Algérie, dont le régime est suspendu au cours du gaz. Les crises entrainent les crises, le pouvoir, partout inquiet, s’il ne peut faire de chèque, cherche des boucs émissaires ou des lignes de fuite. 

En Afrique, les guerres s’enchainent. A Madagascar, la famine revient. L’abondance des liquidités mondiales et la perturbation des circuits de distribution gonflent les prix. 

Des stocks de monnaie, des stocks de dette, bulles et contre bulles.

L’abondance de liquidités au niveau mondial provoque une inflation factice. Dans les pays riches, l’immobilier et les bourses grimpent : il faut bien que l’argent aille quelque part. Certains craignent, avec le retour de l’inflation, et de la dette, l’envolée des taux. Impossible : ce serait suicidaire pour les Etats endettés, c’est à dire les principaux Etats. Ce qui risque de se passer, c’est l’inverse : viendra le moment où les bulles éclateront. Alors la confiance sur laquelle repose le système monétaire mondial bouleversera une fois encore l’économie-monde. 

Et dire que les uns et les autres débattent doctement de souveraineté… même les Banques centrales (les quatre ou cinq qui comptent dans le monde), ne décident pas « souverainement » : l’essentiel de la création monétaire leur échappe. C’est dire que les débats politiques sont dépassés. 

Il y a, entre la peur de l’inflation, ou celle de la déflation (une baisse des prix associée à une panne de croissance, comme au Japon) mille possibilités de nouvelles crises. Personne ne sait de quelle coté de la montagne l’économie de la petite planète va tomber. Probablement des deux cotés à la fois !  Bulles et contre bulles. Les déchirements, entre pays, au sein des pays, entre les entreprises et les Etats, entre les monnaies et les nouveaux types de monnaie, entre nouveaux pauvres et nouveaux riches, entre jeunes et vieux, s’accélèrent.

Aucune analyse, aucune littérature ne va aussi vite que la révolution en cours.  

L’âge des crises, c’est mieux que l’âge des révolutions ou l’âge des guerres tout court. Le monde devient incompréhensible selon les critères d’il y a seulement vingt ans. Aucune analyse, aucune littérature ne va aussi vite que la révolution en cours.

Crise écologique ? Pour la première fois, un changement de production et de consommation d’énergie sera imposé par des normes et non par les techniques et les prix: la transition énergétique est une décision politique, normative. D’ailleurs les vieilles énergies fossiles se vengent par les prix : moins d’hydrocarbures, mais plus chers. Ainsi les compagnies pétrolières et les Russes applaudissent la Cop 26, mais ne s’engagent à rien. Et les jeunes Libanais manifestent contre les coupures d’électricité, ceux de Glasgow pour la coupure des centrales thermiques. 

Crise monétaire ? Pour la première fois, les monnaies légales sont concurrencées par les monnaies pirates. Le bitcoin n’a pas souffert de son interdiction totale en Chine, qui en était pourtant le premier producteur. Les « mines » se sont déplacées à la vitesse de la lumière. 

Face aux crises, ne pas stocker, bouger vite, être agile

Crise du capital: l’épargne ne rapporte rien. Tesla vaut bien plus que le prix de toutes les voitures qu’il a déjà vendues. Comme si chaque vente lui rapportait en capital dix fois le prix de la voiture. 

Crise du travail : est-ce que le travail paie ou la chance ? Celle d’être à la bonne place, au bon moment, dans le bon pays. Se positionner sur le flux d’argent qui coule, le bon filon. Ici, le courant est fort. A deux pas, il est à sec. Ce n’est pas le mérite, le travail, le talent qui comptent, ni même les réseaux, la famille, mais là où l’on est. 

Quoiqu’il arrive, bouger. Dans les crises, s’adapter au mouvement. C’est vrai pour les individus comme pour les Etats. Et pour les individus, il vaut mieux être dans les Etats qui savent surfer sur les vagues que dans d’autres. Face aux crises, ne pas stocker, bouger vite, être agile. 

Quant à ceux qui désespèrent, qu’ils voient aussi, plus loin, dans tous ces déchirements, des failles nouvelles à combler, des potentiels  immenses. 

Laurent Dominati

A. Ambassadeur de France

A. Depute de Paris

Président de la société éditrice du site Lesfrancais.press

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