Crise au Moyen-Orient : les expatriés français en première ligne

Crise au Moyen-Orient : les expatriés français en première ligne

Les expatriés français vivant en Israël, en Iran ou au Liban vivent un quotidien particulier, notamment depuis le 7 octobre dernier et l’attaque du Hamas. La mort d’Ismaïl Haniyeh, le chef du mouvement islamiste et nationaliste palestinien, tué le 31 juillet dernier lors d’une opération attribuée à l’Etat Hébreu, a fait croître la tension au Proche-Orient. Le Quai d’Orsay appelle d’ailleurs les Français à ne pas se rendre dans ces pays pour le moment. Parallèlement, ce sont dans ces situations où les Conseillers des Français de l’étranger, les élus locaux de nos compatriotes installés dans ces pays, jouent un rôle important d’écoute et de conseils. Ils sont, en effet, en première ligne pour aider nos ressortissants sur place. Ils analysent également le contexte avec des éléments venus du terrain. Et ils partagent leurs recommandations. Lesfrancais.press a ainsi souhaité les interroger. 

Mise à jour le 04 août à 11h40

Premier pays concerné, Israël.

Sur le site du Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères il est écrit que « face aux risques d’escalade militaire au Proche-Orient, il demeure formellement recommandé aux ressortissants français, sauf pour des raisons impératives, de ne pas se rendre en Israël et dans les Territoires palestiniens, y compris pour des visites touristiques et familiales. » Contactée par notre média, Daphna Poznanski-Benhamou, conseillère des Français pour la circonscription d’Israël et Territoires palestiniens, évoque « une vague inquiétude », quand on lui demande ce qu’elle vit actuellement. 

«Les ayatollahs ne peuvent pas ne pas attaquer. Ils ont perdu la face»  

Daphna Poznanski-Benhamou, Conseillère des Français pour la circonscription d’Israël et des Territoires palestiniens

Pour autant, depuis la mort du chef du Hamas, l’élue à l’Assemblée des Français de l’étranger (AFE) ressent « assurément » une tension plus grande. Cependant, selon son analyse, «les ayatollahs ne peuvent pas ne pas attaquer. Ils ont perdu la face» car «Ismaïl Haniyeh était invité à l’investiture du nouveau président iranien». Et, «on l’oublie souvent…» poursuit-elle dans un entretien avec notre rédaction, « mais l’Iran et Israël sont deux pays asiatiques. Or, en Asie, perdre la face… » Si Daphna Poznanski-Benhamou ne termine pas sa phrase, il est pour autant facile de comprendre ce que l’ancienne députée suggère.

Le système de défense aérienne israélien « Dôme de fer » a intercepté des milliers de roquettes depuis sa mise en service en 2011 ©AFP

Sur place, la vie reste active. Pour maintenir ce quotidien, la conseillère des Français pour la circonscription d’Israël et Territoires palestiniens conseille aux Français résidant en Israël de « prendre connaissance en continu, via les TV et les téléphones portables et les applications dédiées, de l’évolution de la situation et de suivre les instructions données par les autorités israéliennes ». 

Daphna Poznanski-Benhamou

« En Israël, la vie continue, les plages et les cafés sont bondés »

Daphna Poznanski-Benhamou, Conseillère des Français pour la circonscription d’Israël et des Territoires palestiniens

Et, faut-il toutefois reporter les déplacements de nos compatriotes vers l’Etat hébreu ? Daphna Poznanski-Benhamou ne le pense pas. Elle assure que « la vie ici continue, les plages et les cafés sont bondés ». Alors oui note-t-elle « en parallèle, il y a cette guerre qui n’en finit pas, avec ses horribles conséquences. Mais les touristes, eux, ne sont pas touchés, contrairement aux Israéliens et parmi eux, nos Franco-Israéliens.» Elle rappelle aussi que « parmi ces Franco-Israeliens, beaucoup ont dû quitter la France à cause d’un antisémitisme qui n’a pas attendu les dernières élections législatives en France pour se manifester. Ceux-là serrent les dents et se rappellent cette sorte de mantra juif :

« Le monde entier est un pont très étroit. L’essentiel est de ne pas avoir peur« .

Daphna Poznanski-Benhamou, Conseillère des Français pour la circonscription d’Israël et des Territoires palestiniens

Presque (malheureusement) habituée par ce qui se passe, elle nous confie « cette nuit, je vais aussi aller dormir », comme si les tourments de ce monde ne pouvaient pas davantage accroître une inquiétude que tous comprendraient. 

Iran : « Le risque d’une guerre ouverte entre l’Israël et l’Iran est grand »

Les autorités françaises rappellent sur le site du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères (MEAE) que l’Iran, en tant qu’autre belligérant, a tout son territoire classé en rouge sur la carte des conseils aux voyageurs.

 » Il est donc formellement déconseillé aux ressortissants français de se rendre en Iran, quel qu’en soit le motif. En raison du risque aggravé d’escalade militaire dans la région, les Français de passage qui se trouveraient encore en Iran sont invités à en partir au plus tôt  » .

Site du Ministère des Affaires étrangères

Armand Meimand, président du conseil consulaire pour les Français d’Iran, revient sur l’attaque du 31 juillet et « pense que ces provocations sont délibérément irresponsables et visent à entraîner une confrontation régionale voire mondiale de grande ampleur ». Au cours de notre échange, il ajoute que « l’immunité totale et inconditionnelle accordée par les États-Unis encourage les excès et les imprudences ». Il « rappelle que le temps des croisades est révolu ».  Au regard du climat actuel, Armand Meimand estime que « nous n’avons pas intérêt à renoncer à nos principes fondamentaux de paix et des droits de l’homme tels qu’inscrits dans la charte des Nations unies car à long terme ils nous protègent bien plus efficacement que les armes. » 

Son collègue, Baki Manèche élu également, estime que la situation est « aujourd’hui très tendue car le risque d’un embrasement régional et d’une guerre ouverte entre l’Israël et l’Iran est grand. » »

«Ne pas renoncer à nos principes fondamentaux. Ils nous protègent plus que les armes»

Armand Meimand, président du conseil consulaire des Français d’Iran
Baki Manèche

Baki Manèche évoque aussi de son côté la position des Etats-Unis et la possibilité d’« une intervention forcée mais non désirée des USA qui ne souhaitaient pourtant pas ouvrir le front iranien ». L’action attribuée à Israël contre Ismaïl Haniyeh s’est également déroulée à un moment particulier partage-t-il : « Cette attaque de par son timing (le jour de la prestation de serment du président qualifié de réformateur), la cible et le lieu ne laisse que peu de choix aux Iraniens, ils vont attaquer fort ». Et, sans doute, estime-t-il, de « donner l’occasion à Benyamin Netanyahou de déclencher une guerre ouverte »

« La population vit dans une certaine lassitude de ces moments de tension qui souvent accouchent d’une souris ».

Baki Manèche, conseiller des Français d’Iran
Une photo fournie par le bureau du guide suprême iranien, l’ayatollah Ali Khamenei, le montre dirigeant la prière sur le cercueil du défunt leader du Hamas Ismail Haniyeh et de son garde du corps, lors de son cortège funèbre à Téhéran le 1er août 2024. © AFP

Dans ce contexte, les Iraniens et nos ressortissants s’inquiètent-ils beaucoup ? Baki Manèche observe qu’«à part les militaires, les gardiens et les ultras religieux qui sont sous tension et sur le pied de guerre, la population vit dans une certaine lassitude de ces moments de tension qui souvent accouchent d’une souris. Cependant, cette fois il faut avouer que beaucoup suivent la réponse iranienne avec attention, tant en Iran que dans la région, car une guerre ouverte pourrait être dévastatrice

En Iran, un conseil : « se tenir loin des manifestations qui peuvent surgir ici ou là »

Baki Manèche recommande de « suivre absolument les instructions de sécurité délivrées par l’Ambassade de France et le MEAE ». Il conseille aussi, « comme d’habitude se tenir loin des manifestations qui peuvent surgir ici ou là ». Il rappelle qu’en Iran, « nous avons des moyens de communication et d’information à la disposition de nos compatriotes avec l’organisation d’îlots et chefs d’îlots en cas de crise grave ou catastrophe naturelle ». Aussi, il conseille vivement « à tout le monde de bien revoir et utiliser ce système en cas de conflit ». L’élu estime également que « pour ceux qui ont la possibilité de quitter le pays et la région ce serait le moment idéal ». 

Quant au président du conseil consulaire Armand Meimand estime que sur place « les Français résidant en Iran ne sont pas plus en danger que les Iraniens ». Actuellement « seul un noyau dur de la communauté française est resté sur place, il s’agit d’un millier de personnes à peu près » explique-t-il. Ces Français « vivent avec leurs proches et pour la plupart n’ont pas l’intention de partir ». S’appuyant sur son expérience, il estime pourtant que « certains d’entre eux pourraient avoir besoin d’une aide financière pour quitter le pays en cas de confrontation militaire ». 

« Actuellement en Iran, un millier de Français encore présents »

Armand Meimand, Président du Conseil consulaire des Français d’Iran
Armand Meimand

Ce départ possible doit cependant s’organiser. Ainsi, « en tant que président du Conseil consulaire de la circonscription », Armand Meimand a « demandé à l’ambassadeur de France en Iran de bien vouloir procéder à un recensement des familles concernées afin d’être en mesure de leur venir en aide en cas de besoin. La condition sine qua non de leur consentement à quitter l’Iran est qu’ils soient accompagnés de leurs proches ».  

Et qu’en est-il de nos ressortissants qui souhaitaient venir sur Téhéran ou dans d’autres régions de ce pays ? Armand Meimand précise qu’«au cas où il serait impossible reporter son déplacement en Iran, il est fortement recommandé de s’inscrire sur le fil d’ariane sur le site web du ministère de l’Europe et des affaires étrangères afin d’informer le centre de crise dudit Ministère de sa présence sur le territoire iranien. ». Dans de telles situations, décider de partir entraîne aussi des possibles conséquences sur celles et ceux qui pourraient être amenés à devoir vous récupérer. Baki Manèche plaide aussi en ce sens : ne venez pas pour le moment « du moins le temps de voir si cette nouvelle provocation va aboutir à une guerre ou pas ».

Liban : « Nous vivons donc dans un état de stress considérable »

Quant à la situation au Liban, la recommandation française est-elle différente ? Sur le site internet de notre diplomatie, il est écrit que « face aux risques d’escalade militaire au Proche-Orient, il demeure formellement recommandé aux ressortissants français, sauf pour des raisons impératives, de ne pas se rendre au Liban. » 

 « Nous vivons donc dans un état de stress considérable« 

Lucas Lamah, Conseiller des Français du Liban et de Syrie

Pour faire le point, nous avons interrogé Lucas Lamah, Conseiller pour nos expatriés résidant au Liban et en Syrie. « La région est en situation de conflit depuis le 7 octobre 2023 et traverse actuellement une phase extrêmement délicate, nécessitant une vigilance accrue de la part de nos compatriotes » déclare-t-il à notre média. Ainsi, « les deux récentes attaques vont clairement contribuer à une montée des tensions sur tous les fronts » constate-t-il. Il poursuit en indiquant également que « tout le monde s’attend à une riposte très importante, mais personne ne sait ni la forme, ni le lieu, ni la date. Pour l’élu consulaire au Liban, « nous vivons donc dans un état de stress considérable ».

Lucas Lamah
Lucas Lamah

« Assurez-vous d’être bien inscrits auprès des services consulaires »

Lucas Lamah, Conseiller des Français du Liban et de Syrie

C’est dans ce climat que Lucas Lamah « encourage vivement les Français vivant au Liban à s’assurer que leurs coordonnées soient bien enregistrées auprès des services consulaires (..) Cela permettra à nos compatriotes de recevoir toutes les communications du consulat en cas de besoin ».

Au Liban, « les récents événements ont fait basculer le conflit dans une nouvelle dimension »

Et pour celles et ceux qui avaient prévu de se rendre au Pays du Cèdre, l’ancien candidat aux élections législatives souhaite « relayer les recommandations du ministère des Affaires étrangères, qui invite nos compatriotes à éviter absolument de se rendre dans cette partie du monde. » Sur ce point Lucas Lamah est effectivement sans ambages : « la situation est très délicate. Les récents événements ont fait basculer le conflit dans une nouvelle dimension, et la région pourrait sombrer dans un conflit ouvert à tout moment. » Cependant, pour les plus téméraires, pour les « visiteurs en courts séjours », ceux-ci « doivent quant à eux s’inscrire sur le Fil d’Ariane » informe-t-il.

Patrouille de la Force intérimaire des Nations Unies au Liban (FINU) à la frontière libano-israélienne en juillet 2023 ©AFP

Cependant ce 04 août, la situation au Liban a évolué. Les risques encourus pour nos ressortissants sur place augmentent. Aussi la France vient de changer son message sur le site dédié envers notre communauté : « nous appelons à nouveau l’attention des ressortissants français, en particulier ceux de passage, sur le fait que des vols commerciaux directs et avec escales vers la France sont encore disponibles, et nous les invitons à prendre leurs dispositions maintenant pour quitter le Liban dès que possible. »

C’est donc ainsi que vivent nos ressortissants en Israël, en Iran et au Liban. L’inquiétude est certes présente, mais le quotidien semble, le plus souvent, prendre le pas sur les événements. Et, même si une actualité peut en chasser une autre, les recommandations des élus sur place et du ministère de l’Europe et des Affaires européennes restent à suivre avec la plus grande attention. Il en va aussi de l’existence de chacune et de chacun. 

Auteur/Autrice

  • Jérémy Michel

    Jérémy Michel a travaillé de nombreuses années pour des élus et a coordonné les affaires publiques européennes d'une grande entreprise française. Installé à Bruxelles depuis 2000, il est actuellement coach et consultant.

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