La Mission laïque française (MLF) est une association à but non lucratif française, créée par Pierre Deschamps en 1902 et reconnue d’utilité publique en 1907, qui a pour objet la diffusion de la langue et de la culture françaises dans le monde, par un enseignement laïque, plurilingue et interculturel. Elle anime un réseau de 109 établissements d’enseignement français à l’étranger scolarisant plus de 60 000 élèves dans 38 pays. Jean-Christophe Deberre est un ancien élève de l’École Normale Supérieure de Saint-Cloud, agrégé de Lettres modernes et inspecteur d’académie, Il a été professeur en France et à l’étranger, chargé de la coopération éducative au ministère de la Coopération, puis conseiller culturel en Côte d’Ivoire et au Sénégal. Depuis le 1 septembre 2009, il est le directeur général de la Mission laïque française depuis et de l’Office scolaire et universitaire international.
Avec le confinement, c’est tout le réseau français à l’étranger qui a été bouleversé. La Fédération des Parents d’Eleves à l’étranger craint un naufrage du système, la question des bourses, du suivi des élèves est essentielle. M. Deberre a accepté de répondre aux questions des francais.press concernant la situation au sein de la Mission laique française.
Lesfrancais.press : Quel est l’état du réseau ? Pouvez-vous nous indiquer le nombre de fermetures ? Le nombre d’élèves concernés?
Jean-Christophe Deberre :
La Mlf, association d’intérêt public dédiée à la diffusion de la langue et la culture françaises par l’éducation, compte 112 établissements dans son réseau, lequel est partie intégrante du grand réseau d’enseignement français dans le monde. Parmi ces 112 sites scolaires accueillant plus de 60 000 élèves, 33 sont gérés directement par la Mlf, 60 sont des partenaires, qui s’appuient sur l’association pour la qualité pédagogique de leur offre; la Mlf gère des écoles d’entreprise pour le compte de grands groupes français.
Tous, à part un établissement au Turkmenistan qui est encore lycée français, sont aujourd’hui fermés, les premiers ayant été les écoles d’entreprise en Chine (Renault, PSA, Areva…). Tous ont immédiatement mis en œuvre la continuité pédagogique attendue des parents. La Mlf ne s’était pas plus préparée à ce type de situation qu’une autre organisation; simplement, l’investissement qu’elle fait depuis des années sur le numérique pédagogique aura permis une réactivité réelle pour réaménager l’offre scolaire, du présentiel au virtuel; l’ensemble des enseignants s’est lancé avec courage et efficacité dans cette aventure, car c’en est une : toute la tradition scolaire est profondément interrogée par une situation qui oblige à réinventer le métier de l’enseignant et c’est là-dessus que nous avons mis l’accent. L’enseignant à distance doit tout réinventer pour que son enseignement derrière un écran reste mobilisateur, interactif, efficace, et ce n’est pas une mince affaire.
Lesfrancais.press : L’impact sur le suivi pédagogique ? La Mlf a-t-elle mis en place un système de « classe à la maison », des solutions variables selon les établissements et vos liens avec eux (pleine responsabilité, établissements partenaires…) ?
Jean-Christophe Deberre :
Le service de la pédagogie de la Mission laïque française publie régulièrement, des documents de ressources en plusieurs langues et pour tous les niveaux pour assurer la continuité pédagogique. Ces ressources sont disponibles sur les sites mlfmonde.org et mlfnumerique.org. Sur Twitter, un fil de veille pédagogique est en place, à suivre avec #Mlfveille.
Le schéma ci-dessous présente les premières phases d’accompagnement pédagogique mis en place via notre plateforme de formation en ligne, le Forum pédagogique.
Ce programme consiste à aider les enseignants à concevoir, à scénariser l’enseignement à distance ; c’est aborder en quelque sorte le « comment » qui fait souvent défaut aux seuls documents ressources envoyés. Cette approche s’envisage dès la maternelle jusqu’au lycée. La question de la méthode est centrale, elle est loin d’être appréhendée par tous.
L’importance pour s’inscrire dans la durée est de bien organiser le cadre (semaine, journée, séquence…), de bien structurer le suivi des élèves dans le temps pour ne pas perdre leur motivation et leur engagement, de réfléchir aux interactions entre tous les membres de la communauté, en temps synchrone et en temps asynchrone.
Tous les établissements du réseau mlfmonde bénéficient de ces temps de formation, d’interactions entre pairs, avec des experts, avec les conseillers pédagogiques du réseau sur le Forum pédagogique entièrement dédié à la formation des professeurs à l’enseignement à distance. Aujourd’hui, on totalise plus de 9000 inscrits depuis le début de l’année, mais plus de 7000 inscrits depuis fin février quand les premiers établissements en plus grand nombre ont été impactés par la crise du COVID19.
Lesfrancais.press : Le contrôle continu et l’assiduité : comment mettez-vous cela en place ? Avez-vous reçu des consignes du ministère ?
Jean-Christophe Deberre :
Vu du siège de la Mlf, et en cohérence avec le message que nous tenons en direction des parents et des élèves sur la continuité pédagogique, il faut assortir ce message de son complément naturel : la production des élèves est essentielle, elle doit continuer d’être évaluée. C’est une des clés d’apprentissages bien assimilés. Les classes à examens (DNB, cycle terminal du lycée) ont fait l’objet d’une communication du ministre sur les modalités de passage à ces examens en prenant appui sur le contrôle continu, adapté à ces circonstances exceptionnelles. C’est donc bien sur la progression des élèves au regard du programme que l’évaluation est calée et le maximum doit être fait pour que le programme soit traité. On objectera que la diversité des situations rompt le principe d’équité; certainement, mais ce n’est ni un temps perdu, ni un handicap bien au contraire, que nos élèves aient
accompli le maximum de ce que l’on peut faire du programme de l’année. Pour les autres niveaux, le même raisonnement se tient : une progression sur le programme, des évaluations régulières attestant d’un suivi attentif et
sérieux de l’élève, au moment où des conseils de classe décideraient des passages; et quelles que soient les modalités de décision, les élèves non seulement n’auraient pas perdu leur temps, mais ils en auront gagné pour aborder avec aisance l’année suivante. On fera simplement remarquer que cette période exceptionnelle autorise à réfléchir sur les modalités de l’évaluation; elle invite à sortir de la sacro-sainte note, là où elle n’est que la seule modalité officielle car cela existe, pour approfondir la pratique d’une évaluation formative qui implique l’élève, l’engage, lui donne confiance et de fait garantit son assiduité. Dans cette mesure, le livret de compétences gardera toute sa pertinence, parents et élèves en ont l’habitude.
Lesfrancais.press :Vous êtes présents dans de nombreux pays où les expatriés sont souvent liés aux activités touristiques, quelle solution avez-vous proposée ou envisagez-vous pour les parents en difficultés ?
Jean-Christophe Deberre :
Des échelonnements plus souples ont été proposés. Les situations des familles sont étudiées avec attention au cas par cas. Nous étudions la possibilité de mise en place d’une caisse de solidarité en Espagne de manière à accompagner plus de cas difficiles, le pays étant très touché du fait des nombreuses professions liées au tourisme.
Lesfrancais.press : Comme l’ensemble des structures, vos lycées doivent subir une tension financière, le réseau a-t’il les moyens de surmonter seul le choc ?
Jean-Christophe Deberre :
Cette crise ne sera pas sans conséquence sur la capacité financière du réseau. Tout dépendra de l’ampleur de la crise économique qui suivra la crise sanitaire.
Lesfrancais.press : Qu’attendez-vous des mesures qui seront bientôt prises par le gouvernement pour accompagner les établissements dans le monde ?
Jean-Christophe Deberre :
Qu’elles soient réparties en tenant compte du respect des critères d’homologation, du respect de la réglementation locale, du maintien des droits de scolarité lié à une continuité pédagogique et donc, du maintien des salaires.
Lesfrancais.press : Vous dirigez ce réseau très important et ancien. La situation est inédite à l’échelle internationale. Comment le ressentez-vous ? Comment la Mlf a-t-elle vue la situation évoluer ?
Jean-Christophe Deberre :
Inédite par sa soudaineté, son ampleur, son imprévisibilité, la crise sanitaire actuelle le sera bien davantage quand on aura évalué l’ensemble des conséquences économiques et sociales qu’elle engendre, et dont on découvre chaque jour la complexité. Comme elle est générale, cette crise économique est déjà mondiale, avec des effets d’appauvrissement, de déstabilisation sociale, et donc de modification des comportements qui ne seront pas restaurés à l’identique et pas avant longtemps certainement.
Le réseau d’enseignement français à l’étranger est un réseau payant, quoiqu’en partie subventionné par l’Etat. A n’en pas douter, et avec des effets variables selon les pays, selon les classes sociales fréquentant les établissements, selon aussi les établissements eux-mêmes et la capacité financière dont ils disposaient, ce réseau connaîtra des pertes d’effectif et une crise de financement. Pour les jeunes français dont les familles seront en difficulté, le système des bourses devrait aider; pour les élèves nationaux, de telles aides n’existent pas. Ce sont donc les accompagnements proposés par les pouvoirs publics locaux ou français qu’il faudra observer, et nous savons que la réflexion est à l’œuvre; de manière générale, l’analyse que l’on peut faire est que ce sont des facilités ponctuelles de trésorerie dont les établissements auront besoin. On ne peut en effet mettre en place la continuité pédagogique sans sécuriser la masse salariale car ce sont les enseignants qui assurent l’école de cette continuité; et on ne peut atténuer la charge des familles sans assurance que l’équilibre financier soit assuré par une aide externe, même ponctuelle, en relais de rentrées financières en diminution. L’Etat tient à ce réseau scolaire, nous attendons avec confiance les mécanismes auxquels il réfléchit.
Et puis, quand viendra le jour d’après, c’est une école certainement différente que l’on rouvrira. Elle aura été modifiée par une très longue interruption de son activité habituelle, les élèves devront parler de cette longue vacance de la socialisation qu’ils connaissaient, réinvestir leur vie d’élèves; et l’école, qui aura vécu en virtuel pendant des semaines, des mois, aura sans le vouloir assumer une transformation profonde de sa propre culture: sans instructions, sans obligation scolaire, sans contact direct avec les élèves, elle se sera appropriée ce que ses pesanteurs institutionnelles lui font difficilement réévaluer: une immense marge d’initiative et de liberté pour à tout prix garder le contact avec des élèves qui n’étaient pas là sinon derrière l’écran, et avec des parents, qui sont pour la première fois devenus des acteurs quotidiens des apprentissages de leurs enfants. C’est de cette nouvelle société scolaire qu’il faudra parler, et notre association s’y prépare déjà.
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