COP28 : l’UE devra justifier sa taxe carbone aux frontières

COP28 : l’UE devra justifier sa taxe carbone aux frontières

Prêts pour la COP28 à Dubaï, les représentants de l’UE devront faire face aux critiques d’une politique climatique européenne particulièrement controversée hors Europe : le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF).

Dès 2027, l’UE devrait prélever une taxe carbone sur les marchandises importées sur le marché unique afin d’inciter les pays tiers à accélérer la décarbonation de leurs industries.

Dans un premier temps, le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières ne concernera que l’acier, le ciment, l’aluminium et les engrais, avant de couvrir d’autres matières et secteurs.

Depuis l’annonce du mécanisme, nombre de pays ont exprimé leur mécontentement. Les pays africains ont même fait circuler une note au sein de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) qualifiant le MACF de mesure environnementale « unilatérale », qui risque de réduire le PIB africain de plus d’un pour cent et de nuire à l’Accord de Paris sur le climat.

Le ministère sud-africain de l’Énergie a également averti que ce mécanisme « affaiblit la confiance, dont dépend la coopération multilatérale pour faire face aux défis mondiaux tels que le changement climatique ». En effet, la taxe carbone ferait peser « la charge de l’action climatique sur les économies en développement », ce qui est « indu et injuste », selon lui.

Et le reste du monde semble globalement du même avis.

L’association industrielle brésilienne CNI accuse par exemple l’UE de protectionnisme. Les producteurs d’acier argentins ont déclaré que le MACF n’était « pas compatible avec les règles de l’OMC » — une critique qui revient fréquemment.

Par ailleurs, les responsables de l’OMC réservent leur jugement jusqu’à l’entrée en vigueur du mécanisme.

Le récent entretien (17 novembre) entre le commissaire européen au Climat, Wopke Hoekstra, et son homologue chinois, Xie Zhenhua, a lui aussi été dominé par les effets du MACF.

Durant sa visite en Chine, M. Hoekstra s’est efforcé d’expliquer aux chefs d’entreprise chinois pourquoi la taxe carbone était nécessaire.

« Vous verrez que le MACF, indépendamment de ce que d’autres tentent de faire valoir, n’est pas une “pénalité” pour les importateurs dans l’UE, mais une incitation à la décarbonation », a-t-il martelé.

COP 28

Une pénalité ?

Dès lors, pourquoi les autres pays voient le MACF comme une « pénalité » ?

Les régions riches, comme l’Europe, n’ont pas réussi à convaincre le reste du monde de les suivre dans leur démarche pour atteindre pour la neutralité carbone rapidement. Selon des pays comme l’Inde et la Chine, il est légitime de brûler des combustibles fossiles pour s’enrichir, comme l’ont fait avant eux les pays développés.

L’UE n’est plus disposée à accepter ce raisonnement, ce qui signifie que les exportations vers le marché unique européen seront plus compliquées en raison des nouvelles exigences en matière de déclaration, mais également parce que les marchandises seront soumises à de nouveaux droits de douane.

Dans ce contexte, expliquer pourquoi le MACF n’est pas une pénalité pourrait donc bien constituer l’une des principales tâches des représentants de l’UE à Dubaï.

« Où que les diplomates de l’UE aillent ces derniers temps, ils se retrouvent face à des responsables politiques demandant des exemptions au MACF », explique Giulia Cretti, chargée de recherche au sein du groupe de réflexion néerlandais Clingendael.

Un représentant néerlandais qui pourrait rencontrer des difficultés à Dubaï est Mohammed Chahim, eurodéputé socialiste (S&D) qui pilote le dossier du MACF au Parlement européen.

« Je comprends pourquoi certains pays sont sceptiques à l’égard de MACF », concède-t-il, mais pour lui, il s’agit d’une question d’équité : « ce que nous faisons, c’est mettre toutes les entreprises sur un pied d’égalité ».

En créant un nouveau mécanisme, l’UE en supprime un autre : l’industrie lourde devra désormais payer la facture de ses émissions de carbone. « L’objectif global est de stimuler la décarbonation de l’industrie lourde à l’échelle mondiale », souligne-t-il.

Des exemptions ?

Même si les pays tiers insistent pour obtenir des exemptions, « il n’y a pas de place pour cela dans les règles », affirme Mme Cretti. « La seule solution est que les entreprises paient le même prix pour le carbone dans leur pays que celui payé en Europe ».

Les possibilités d’exemption étant limitées, l’UE n’a qu’un seul moyen de s’en sortir : partager ses recettes.

« Une chose que l’UE peut faire est mettre en place un mécanisme clair pour transférer les recettes du MACF aux pays touchés négativement par le financement de la lutte contre le changement climatique », note Mme Cretti.

Aujourd’hui, les recettes de la taxe carbone servent à décarboner l’industrie lourde européenne, ce qui creuse encore l’écart avec les concurrents issus de pays tiers.

À partir de 2028, le MACF coûtera au moins 6 milliards d’euros par an aux entreprises exportant vers l’UE — un chiffre qui devrait au moins doubler lorsque le mécanisme sera pleinement opérationnel, soit à partir de 2032.

Tous les fonds seront-ils reversés aux pays qui ont payé la taxe carbone de l’UE  ? Peu probable.

« L’Union travaille à l’introduction d’une nouvelle ressource propre basée sur les revenus générés par la vente des certificats du MACF », peut-on lire dans la loi instituant le droit de douane. 75 % des recettes iront au budget de l’UE, a ultérieurement clarifié la Commission.

Aucun mécanisme ni objectif de transfert, n’est prévu dans l’immédiat pour reverser l’argent à ces États. Toutefois, « nous prévoyons d’aider ces pays [moins développés] à décarboner leurs industries en leur fournissant une assistance technique et en augmentant les dépenses internationales de l’UE en matière de climat », a conclu M. Chahim.

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