Commission Juncker, un bilan honorable

On entend beaucoup dans cette campagne dénoncer la Commission et sa « dictature ». Et personne n’ose la défendre. Pourtant, la Commission n’a, dans aucun domaine, le pouvoir de décider seule. Il lui faut l’assentiment de la majorité (ou de l’unanimité) des Etats membres, et de la majorité du Parlement. La Commission est un exécutif  -ce n’est même pas un gouvernement-  qui dépend des autres. N’aurait-elle aucun pouvoir ? Elle a celui de la pratique, qui est considérable, et celui de l’initiative, qui est presque sans limite, si ces initiatives sont suivies. On peut le voir en faisant un bilan non exhaustif de la Présidence Juncker, soutenue au Parlement par une coalition dont l’axe central a été le PPE, appuyé par les Sociaux-démocrates et les Libéraux.

 

  1. La Commission a réussi l’épreuve du Brexit. Aucun Etat n’a fait entendre de position discordante. Aucun Etat n’a voulu suivre les Britanniques. Et les Britanniques n’ont fait aucun reproche à la Commission, -et à son négociateur, Michel Barnier- qui a laissé toutes les options ouvertes, préservant les futures relations entre l’Union Européenne et le Royaume-Uni.

 

  1. La Commission est la seule à pouvoir négocier des accords commerciaux. Pour commencer, il lui faut un mandat, fixé par les Etats. A la sortie, une triple validation : par les gouvernements, le Parlement européen, les Parlements nationaux. Le traité dit Tafta avec les Etats-Unis a été abandonné. Une nouvelle négociation a été lancée. En revanche les accords avec le Canada et le Japon ont été approuvés. Personne ne s’en plaint. Il ne faut pas voir dans ces négociations seulement des enjeux tarifaires, mais surtout des négociations portant sur les normes.

 

  1. Sur la scène diplomatique, la Commission pèse peu par rapport aux Etats. Elle a cependant pu conserver un front uni face à la Russie, alors que celle-ci piétinait les traités internationaux en Ukraine. Elle a initié le Fonds européen de défense, qui devrait atteindre 13 milliards d’euros pour 2021-2027. Elle a entamé des discussions avec la Serbie et le Monténégro, tout en restant ambigüe sur les perspectives d’adhésion de nouveaux membres. Elle reste incapable de concevoir une politique méditerranéenne, africaine, ou Moyen-orientale.

 

  1. L’accord conclu avec la Turquie en 2016 pour le contrôle des flux migratoires a fonctionné. Il ne correspond pourtant ni à une politique d’influence en Turquie et au Proche-Orient, ni à une politique migratoire. En l’absence d’accords entre les Etats, pouvait-elle faire mieux ? Face à l’afflux des migrants, la Commission a proposé une répartition des demandeurs d’asile. D’abord accepté, ce système a été remis en cause et a échoué. La réforme des accords de Dublin, ceux de la politique migratoire et l’harmonisation du droit d’asile progressent lentement, les visions des Etas étant très opposés. Pourtant, tous s’accordent désormais pour renforcer Frontex, devenue véritable agence de gardes frontières. L’harmonisation du droit est la clé de voute d’une nouvelle politique.

 

  1. La Commission a globalement établi les normes de pollution les plus exigeantes du monde, par exemple concernant les ferries ou encore les voitures, et pris des initiatives fortes pour l’interdiction du plastique à usage unique. Elle a établi une stratégie pour une réduction des émissions de CO2 de 45% d’ici à 2030 et réformé le marché des droits carbone pour espérer lui donner l’efficacité attendue.

 

  1. Le socle européen des droits sociaux a été adopté en 2017. Il s’agit plus d’un corpus indicatif que normatif, les Etats sont quasiment seul compétents dans ce domaine. Ce socle prône l’instauration, dans chaque pays, d’un salaire minimum et un revenu minimum d’insertion. C’est à cela que Jeremy Corbyn se réfère dans ses discussions avec Teresa May. La Commission a révisé la directive sur le travail détaché pour éviter le « dumping social » et la concurrence déloyale.

 

  1. La Commission a renforcé l’union bancaire, c’est-à-dire les garanties bancaires pour les déposants, avec un système de contrôle préalable des banques et surtout un fonds qui devrait dépasser 55 milliards en cas de crise financière. Le système est loin d’être parfait et devrait être plus opérationnel au fur et à mesure de la mise en œuvre des accords portant sur la régulation bancaire en 2022. La lutte contre l’évasion fiscale a progressé avec l’échange automatique des données, et des règles contre le blanchiment. Une liste des paradis fiscaux a été créée qui épargne malicieusement tous les pays membres… Si Apple et Google ont été épinglés, la taxation des Gafa est pour l’instant repoussée.

 

  1. Le Règlement général sur la protection des données personnelles est une première mondiale. L’accord sur la protection des données personnelles de 2016 avec les Etats-Unis montre que l’UE est prise plus qu’au sérieux. Le principe de la neutralité du net a été adopté en 2015, alors qu’aux Etats-Unis, ce principe a été abandonné par l’administration Trump en 2018.

 

  1. Le redressement des économies européennes peut-il être attribué à la Commission ? Alors sa lenteur aussi. L’expansion de la Chine laisse penser que l’avenir lui appartient, et la croissance américaine ces dernières années a été largement supérieure à celle de l’Europe, ce qui fait apparaitre le vieux continent comme en déclin.

 

  1. Et pourtant : L’Euro devait éclater, il a tenu. Il représente 20% des réserves mondiales, le Yuan chinois, 2%. Le dollar reste à 60%. Cela reflète la force des économies : 21.500 milliards de dollars pour le PIB américain, soit 65.000$ par habitant. L’Union Européenne est derrière : 19.500 milliards de PIB, soit 37.500$ par habitant. La Chine est très loin : 14.000 milliards, et seulement 10.000$ par habitant.

 

La première puissance commerciale du monde, de très loin, est l’UE : 4.600 milliards d’exportations, une balance commerciale positive de 433 milliards, soit 38% des échanges mondiaux. La Chine est loin derrière : 13% des échanges, 2100 milliards d’exportations, une balance positive de 165 milliards. Quant aux Etats-Unis, ils sont déficitaires (- 450 milliards) et ne représentent que 10% des échanges.

Et l’avenir ? Les pays de l’UE sont les premiers investisseurs dans le monde : 10.600 milliards par an. Et les premiers destinataires. Etats-Unis sont deuxième, 7.800 M£ ; Chine 3ème, 3.200

 

Bref, l’avenir est plus européen que chinois. A condition que l’Europe existe, bien sûr.

 

10. Exister, c’est le principal défi des Européens. L’Europe, malgré tous ses défauts, tient bon. Malgré le déséquilibre dans le couple franco allemand, malgré la pauvreté de sa diplomatie, malgré les intérêts divergents entre ses membres, malgré la puissance des Etats-Unis, malgré les influences  Russes, malgré les arrogances et les erreurs de sa bureaucratie, chaque faille ouvre une crise, et chaque crise démontre la nécessité de l’Europe. Alors que les Trump, Poutine et Xi Jinping peuvent se permettre bien des foucades, la Commission est d’autant plus sous contrôle que personne ne l’aime. L’esprit critique, voilà l’esprit européen, qui pousse à mieux faire. La prochaine Commission n’en sera que meilleure.

Sera-telle capable d’affronter les prochaines crises ? C’est le seul critère.

 

Laurent Dominati

A. Ambassadeur de France

A. Député de Paris

Président de la société éditrice du site Lesfrancais.press

 

 

 

 

 

 

 

 

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