Sonnez le tocsin ! « Nous sommes en guerre », depuis l’appel aux armes lancé contre le Covid, le « Quoi qu’il en coûte » s’est installé. À vrai dire, nous sommes en guerre avec l’économie. Le Premier ministre a martialement présenté un plan de bataille, tous les bataillons se sont unis. Contre lui. En fait d’économies, il ne s’agit que de réduire l’augmentation prévisible des dépenses. Le pays est-il au bord du gouffre ? Faut-il sonner la mobilisation ? Et comment sauver le pays ? Facile, il suffit de regarder les autres.
Nos voisins les « PIGS » (Portugal, Italie, Grèce, Espagne,) affectueusement dénommés « pays du Club Med » par les pays nordiques, font désormais la course en tête de la croissance et du redressement des comptes. L’une va avec l’autre, question de confiance.
La Grèce, failli en 2010, en proie à la démagogie et aux émeutes, finalement contrainte d’appliquer le plan de sauvetage du FMI et de l’UE, affiche aujourd’hui un excédent budgétaire de 1.3%. L’austérité a été douloureuse, moins que la banqueroute et sa chaîne de misère. Sa dette publique a fondu de 197% à 153% du PIB. Les taux d’intérêt grecs à dix ans sont aujourd’hui inférieurs aux taux français. Double leçon : la première, l’économie réelle se venge. La deuxième, l’effort paie.
Croissance et redressement des comptes vont ensemble, question de confiance
En 2011, le Portugal appelle lui aussi au secours. Son déficit atteint 10% du PIB. Les dépenses publiques sont réduites de 20%… Aujourd’hui son budget est excédentaire, la croissance dépasse 2,5%. Moins qu’en Espagne, 3%. Le déficit atteignait 10% en 2020, il est tombé à 2.8% en quatre ans. Comme en Italie, où le déficit a été ramené de -9% à -4% en trois ans. Le taux d’emploi y atteint son maximum.
Les recettes sont partout les mêmes : réformes du marché du travail, des retraites, de la fonction publique, privatisations, concurrence. Avec un soutien financier européen. L’Irlande a suivi le même schéma lors de la crise de 2008, avec une originalité : le refus d’augmenter les impôts. L’Irlande a aujourd’hui un PIB par habitant parmi les plus élevés de l’Europe.
D’autres exemples confirment. La Suède des années 90, la Corée du Sud de la crise asiatique, l’Allemagne malade de 2000, ou encore l’Australie, la Nouvelle-Zélande en 2008, tous ont réformé l’État, renforcé la discipline budgétaire, desserré l’économie.
La recette argentine se veut plus brutale. Après deux banqueroutes, l’inflation à 200% ruinait à nouveau le pays. Elle est retombée à 1.5% par mois. Le taux de pauvreté, qui avait grimpé avec la purge, est redescendu plus bas qu’à l’arrivée de Mileï au pouvoir. L’Argentine a un taux de croissance de 7,6 %, le pouvoir d’achat réel a augmenté de 18 %. L’Unicef, qui n’est pas une assemblée libertarienne, a félicité le gouvernement d’avoir sorti 1,7 million d’enfants de la pauvreté. Cela ne va pas sans cris et grincements de dents.
Toute inflation est un impôt déguisé sur le grand nombre. Toute obésité de la fonction publique conduit à une smicardisation.
Est-ce transposable en France ? Mieux vaut éviter le choc frontal et agir bien avant. La Grèce, l’Argentine, le Portugal ont perdu des années au détriment des plus pauvres, des non-initiés, ceux qui n’ont pas d’emploi sûr, ceux qui n’ont pas accès aux dollars. Toute inflation est un impôt déguisé sur le grand nombre. Toute obésité de la fonction publique conduit à une smicardisation. Sans parler des mécanismes de corruption et des abus de pouvoir.
La dette elle-même n’est pas le problème. Tout dépend de la capacité de remboursement. Si la dette correspond à des investissements, elle est bénéfique.
La moitié des dépenses publiques concerne les retraites et la santé. C’est donc le système d’assurance et de pension qu’il faut revoir. En s’inspirant de ce qu’ont fait les autres, les Pays-Bas pour la sécurité sociale, la Suède pour les retraites. Les fonds de pensions existent presque partout dans le monde. S’ils avaient été créés au moment des privatisations de 1986; il n’y aurait pas de problèmes de financement de retraite… Ne serait-il pas temps de supprimer la notion même d’âge légal ? En cas d’hésitation, renoncer à la règle uniforme, donner le choix, faire confiance.
La dette se rembourse par un taux de croissance supérieur au taux d’intérêt et à la part de remboursement du capital. Elle ne s’éteindra pas par l’inflation. C’est plutôt la déflation qui s’avance, avec le vieillissement de la population et le développement technologique qui baisse divise les coûts. Celui du travail va devenir de plus en plus marginal dans l’industrie. Recette Coréenne : d’un côté réduire les dépenses publiques, de l’autre investir dans la nouvelle économie. Cette année, l’incertitude a ruiné les investissements dans les start-ups : moins 60%. L’épargne mobilisée pour payer le déficit public ne va pas dans l’investissement.
Ce n’est pas le nombre d’heures qui compte, plutôt le nombre de robots.
La dette est un symptôme. L’Allemagne a cassé le « frein à l’endettement » inscrit dans sa constitution pour lever 850 milliards d’euros et financer défense, infrastructures, santé. Revenir sur les 35 heures ou les jours fériés est presque symbolique. Selon l’OCDE, un actif français, en 2024, travaille 1494 heures, un Allemand 1340 heures. Ce n’est pas le nombre d’heures qui compte, plutôt le nombre de robots.
La masse salariale représente 34% des dépenses du « budget général » (150 Md€ en 2024). Réduire le poids des fonctions publiques est sans doute nécessaire. L’essentiel est ailleurs : leur rôle dans l’économie. Il n’y a presque pas d’hôpitaux publics en Allemagne. Sont-ils plus malades ? Moins, si l’on en juge par le taux d’absentéisme : 21 jours en France, 15 en Allemagne. Alors un jour férié… qui compte ?
Pour sortir du capitalisme de connivence, échanger la fin des subventions contre une baisse générale des impôts.
L’ensemble du système administratif, ses ressources, sa fiscalité, est à repenser, des collectivités locales à la sécurité sociale. 643 milliards d’euros sont versés par la Sécurité sociale, soit l’équivalent de 25% de la richesse nationale. Les dépenses de l’État, elles, ne représentent « que » 450 milliards. L’urgence commande donc de redéfinir le périmètre de l’État, la part des prélèvements obligatoires, la légitimité des subventions. 210 milliards d’aides aux entreprises, le montant de la TVA. Sur ces 210 milliards, 110 viennent du budget de l’État : sortir du capitalisme de connivence revient à échanger la fin des subventions contre une baisse générale des impôts, des normes et donc des contrôles. Des règles, des impôts simples, impliquent des contrôles simples et moins de contrôleurs.
La querelle de la dette prend le visage du passé. À titre de comparaison, la valorisation de Nvidia, en un an, a grimpé de 1000 à 4000 milliards. Plus que la dette française. Veut-on rester dans l’ancien monde ?
Quel État au XXIe siècle ?
Que doit privilégier le nouvel État du XXIe siècle ? La compétitivité, la formation, la sécurité, la transition écologique, la santé ? Tout est prioritaire, d’où la difficulté à « couper » dans les budgets. Le domaine qui ne relève que de l’État, est celui de la justice, malade. Une société de confiance ne peut survivre sans confiance dans la justice. La Justice est submergée par l’à-peu-près du droit, l’avalanche des lois.
La France doit revoir toute sa codification, l’Europe cesser sa dérive normative, elle aura alors plus de chance d’imposer ses standards dans le monde. Dans la nouvelle économie, la pagaille américaine et la menace chinoise, sont des handicaps structurels. Les Européens ont toutes leurs chances.
Sauver un pays d’une menace de banqueroute, commence par la justice. Le reste viendra naturellement, en fixant les priorités de l’action de l’État, ce qui libérera les forces créatrices. Sinon ce sera la purge.
Penser l’avenir du pays en termes de chances plutôt qu’en punitions. Personne ne fait crédit aux grincheux qui craignent l’avenir ou qui jouent la montre.
Laurent Dominati
a.Ambassadeur de France
a.Député de Paris
Président de la société éditrice du site Lesfrancais.press et de l’app bancaire des non-résidents France Pay
Auteur/Autrice
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Député de Paris de 1993 à 2002, Ambassadeur au Honduras de 2007 à 2010, puis au Conseil de l'Europe de 2010 à 2013, il a fondé le media lesfrancais.press dont il est le Président.
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