La France a voté. Bravo aux Français de l’étranger qui ont patienté parfois des heures pour mettre leur bulletin dans l’urne. Bravo aux volontaires qui ont tenu les bureaux de vote. Chacun tient la démocratie pour un acquis, elle est pourtant fragile. Elle a ses ennemis et ses démons. Système rare dans l’histoire de l’humanité, elle est destructible.
Détruire la démocratie devrait être assez facile. Le plus simple, ce sont les bombes.
En Normandie, pas loin de Tocqueville, d’immenses tumulus ont été construits il y a des milliers d’années pour quelques princes, comme si les peuples louaient plus volontiers la servitude que la liberté. Tocqueville justement : « La dégradation des mœurs publiques amènera dans un temps court, prochain peut-être, à des révolutions nouvelles. Est-ce donc que la vie des rois tient à des fils plus fermes et plus difficiles à briser que celle des autres hommes ? » Et la vie des démocraties ? Détruire la démocratie devrait être assez facile. Comment faire ?
Le plus simple, ce sont les bombes. La méthode Franco reste d’actualité. Pourtant, le résultat n’est pas garanti : Poutine voit même, en Ukraine, les « Nazis » d’un Président juif résister à ses Brigades Tchétchènes au nom de la liberté. A qui se fier ?
La guerre n’est pas sûre. Ni pour détruire un régime, ni pour l’installer : on l’a vu en Afghanistan. Mais il n’est pas certain que les régimes démocratiques soient moins forts, militairement, que les autres. L’Histoire montre plutôt l’inverse.
Eliminer par le poison le poison démocratique. Le doute qui ronge, la suspicion, la honte de soi.
Mieux que les bombes, les poisons. Eliminer par le poison le poison démocratique. Si l’on ne peut faire taire opposants et journalistes par des juges, les éliminer directement. La chasse à l’opposant est un classique, mais cela ne marche que dans les pays où le pouvoir est déjà bien installé : Nicaragua, Venezuela, Russie, Turquie, ces pays ont failli être des démocraties.
Comment faire pour détruire des démocraties installées ? Encore le poison, mais d’un autre genre : le doute. Le doute qui ronge, la suspicion, la honte de soi. Moquer le modèle. Que les démocrates aient honte d’eux-mêmes comme ces communistes qui confessaient leurs péchés lors des purges.
Insinuer la suspicion sur l’acte majeur des démocraties pour commencer : le vote. Les partisans de Trump pensaient que l’élection avait été volée, s’ensuivit l’assaut du Capitole. Selon un sondage, 15% des Français pensent que l’élection française est truquée. C’est vrai : beaucoup d’élections sont manipulées, victimes de boîtes à fake news: Les interventions des pirates du Kremlin dans les campagnes électorales américaines, britanniques, allemandes, françaises sont documentées. Le Rapport officiel parlementaire sur les interventions russes dans la campagne du Brexit est d’autant plus stupéfiant qu’il n’a pas remis en cause le vote.
Il n’existe pas de citoyen passif. Il est supposé disposer d’informations d’autant plus fiables qu’elles sont diverses et pluralistes.
C’est que les citoyens sont censés être capables de se faire un avis quelles que soient les manipulations. Il n’existe pas de citoyen passif. Il est supposé disposer d’informations d’autant plus fiables qu’elles sont diverses et pluralistes. A lui de faire son travail. Pas de démocratie sans presse libre. Ni d’électeur sans lecteur.
Instiller le doute : faire apparaitre la presse comme peu fiable. C’est le cas : La confiance dans les médias est à peine plus élevée que dans les partis. Pourquoi les médias occidentaux seraient-ils plus fiables que les Russes ? Le charnier de Timisoara était une fabrication, les armes de destruction massives un mensonge. Qui dit que les Russes commettent des crimes de guerre ? Les Américains ? Pourquoi les croire plus que Poutine ? Chez Poutine, on ne parle d’ailleurs pas de guerre, c’est interdit. En revanche, la presse américaine dénonçait la guerre du Vietnam, au grand étonnement d’Hanoï. Les tares de l’Occident font sa force : il n’y a pas de critique de l’Occident plus aigüe qu’en Occident, c’est à cela que l’on reconnait une presse libre.
La réponse ce n’est pas moins d’information, mais plus de rigueur.
Les Etats-Unis abritent même des conférences sur le fait que les attentats du 11 septembre étaient une invention. Cela est lié à la multiplication des fake news, des thèses complotistes, qui, par un travers psychologique qui commence à être bien étudié, montre qu’un « fausse nouvelle » attire plus et se multiplie plus vite qu’une vraie.
Pourquoi croirait-on la presse si on met aussi en doute la science ? La confiance dans la science a baissé. La faute à la Covid, aux réseaux sociaux, aux experts déficients et prétentieux de plateau télé. La réponse, dans cette société de l’information malade de l’information, obèse, ce n’est pas moins d’information, mais plus de rigueur.
L’échelle de valeurs des informations dépend, comme toujours, de la qualité de l’émetteur. Aucun n’est parfait, il y en a de plus douteux que d’autres. Les infos qui viennent des régimes où la presse est sous contrôle ont une tenace odeur de prison.
En Suède, sans obligation, on dépasse les 80%. C’est aussi un des pays les plus heureux du monde. Votent-ils parce qu’ils sont heureux, ou sont-ils heureux parce qu’ils votent?
A force, doutant de la science, de l’info, des dirigeants, l’électeur citoyen se lasse. Comme toujours, le véritable danger est à l’intérieur. Gauche et droite ne disparaissent pas, ils se radicalisent. En France, plus de la moitié des électeurs ont voté pour les extrêmes, contre le « système ». Dans des débats hors du monde, où l’on fait assaut de primes et de bonus, oubliant dette et déficits, traitant les électeurs comme des consommateurs, la démagogie, le manque d’ambition désole. Rarement les affaires du monde n’ont eu autant d’importance sur la vie quotidienne des Français, rarement le débat aura été si hexagonal, si rétréci. Cela plaît ? Pas vraiment, le désintérêt s’accroit : le débat n’a été suivi que par 15 millions de téléspectateurs ; Giscard-Mitterrand, c’était 40 millions.
Record donc, d’abstention. La Belgique est le pays où l’on vote le plus : plus de 85% de participation, mais le vote y est obligatoire, comme au Brésil. En Suède, sans obligation, on dépasse les 80%. C’est aussi un des pays les plus heureux du monde. Votent-ils parce qu’ils sont heureux, ou sont-ils heureux parce qu’ils votent ? La participation en France reste au-dessus du Royaume-Uni ou des Etats-Unis. L’abstention peut-elle tuer la démocratie ? Quand plus personne ne votera, qui décidera ? Un commissaire, un colonel, un trader ou une Intelligence artificielle ? Au moins ce serait une intelligence, disent les mauvais esprits, comme si le bon gouvernement n’était justement pas celui qui pouvait être dirigé par n’importe qui, y compris des imbéciles ? (C’était le cas des monarchies…)
Plus de 40 élections ont lieu dans le monde ces douze derniers mois. Le vote est le principe universel de toute légitimité. Même les dictateurs veulent un vote.
Quand on voit la démocratie malade, se rappeler que c’est parce ses défauts apparaissent au grand jour qu’ils peuvent se soigner. Plus de 40 élections ont lieu dans le monde ces douze derniers mois. Le vote est le principe universel de toute légitimité. Même les dictateurs veulent un vote. Qu’on le détourne, le truque, le malaxe, le mâche et le remâche, le vote reste de bon goût.
La fatigue démocratique ne vient pas d’une lassitude. Elle vient d’un surplus d’exigence. La méfiance vis-à-vis des informations ne vient pas des fake news, elle vient de ce chacun veut en savoir plus. Ce ne sont qu’apprentissage. A la fin, ceux qui croyaient Poutine voient bien les bombes, les réfugiés, et les cadavres. La réalité s’impose, les mensonges se dévoilent. Plus le monde est ouvert, plus les exigences sont fortes. Et plus le métier de citoyen devient exigeant et passionnant. Et moins les dirigeants sont omnipotents, du moins dans les démocraties, et c’est tant mieux. Ils ne peuvent pas faire n’importe quoi. Ce qui compte le plus dans le pouvoir, ce n’est pas ce qu’il peut faire, ce sont ses limites.
La France a voté, personne n’est content. C’est bon signe. La démocratie ne s’épuise pas dans un vote, les gouvernants devront encore et toujours faire leur preuve. Pas de lauriers pour la vainqueur, parce qu’il n’est jamais que provisoire. A ces étudiants qui occupaient la Sorbonne en refusant « l’horrible choix » Macron-Le Pen, faut-il souhaiter un deuxième tour, dans quelques temps, Mélenchon-Le Pen ? La démocratie y serait-elle plus forte ? A la fin, elle ne repose que sur l’électeur. Une élection s’achève, une autre commence : les Législatives, c’est demain. Elle n’est pas belle, la République ?
Laurent Dominati
a. Ambassadeur de France
a. Député de Paris
Président de la société éditrice du site Lesfrancais.press
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