Comment détruire un pays ?

Comment détruire un pays ?

« Gouverner c’est détruire », proclame Shang Yang au IVème siècle avant J.C. Les Chinois en savent quelque chose, eux qui sont passés par toutes les autodestructions possibles. Xi Jinping au sommet de Samarcande se propose de guider le monde.

Certains gouvernements savent détruire mieux que d’autres. L’Histoire déterre cadavres d’empires, royaumes et cités florissantes. Ceux qui croient les nations éternelles oublient : il y a plus de peuples disparus que d’archives nationales. D’où surgit, trou noir, la disparition ?

Les populations sont ravies de voir le pouvoir se désagréger 

Les Etats ne tombent pas peu à peu, minés par une longue décadence. Au contraire, les Etats décadents –Chine, Egypte, Rome, Byzance, France- vont de sursauts en sursauts. Les grandes maisons chutent d’un coup, aspirées par surprise – Incas, Grand Moghol, Bagdad, URSS -. Est-ce l’or, la bataille, le barbare, le climat, la maladie ? Ils ont bon dos. Plus personne n’en veut, c’est tout. 

Le plus souvent, les populations, asservies, sont ravies de voir le pouvoir se désagréger. Ainsi s’expliquent invasions et destructions, abandons de poste. Histoires anciennes ? Les migrations ne sont-elles pas des fuites de pays où tout espoir semble chassé ? Fuir, le seul espoir.

Liban, Sri Lanka, Birmanie, Haïti, Pakistan, Turquie…

Au Liban, 40% des Libanais souhaitent émigrer. Il y a deux ans, l’explosion du port de Beyrouth tuait deux cents personnes et révélait la mise en coupe déréglée du pays. Le PIB par habitant était de 7590$ en 2018. Il est aujourd’hui à 2756$, le niveau de l’Iran, un peu au-dessus du Bengladesh (2500$), derrière l’Égypte ou la « Palestine » (3660$). La ruine n’est pas venue par hasard : partage du pouvoir, soumissions, mainmise du Hezbollah, prébendes et vols des seigneurs de guerre. 

Sri Lanka, 22 millions d’habitants, un modèle auquel l’ONU attribuait un indice de développement humain (IDH) supérieur à celui de l’Inde. Certes, la démocratie y était imparfaite, la famille Rajapaksa avec Mahinda (Président de 2005 à 2015) puis Gotabaya son frère (de 2019 à sa fuite), contrôlait le pays. La corruption fleurissait, mais l’éducation aussi. L’écologie devenait le signe de la modernité : interdiction des engrais. L’agriculture productiviste jetée aux poubelles de l’Histoire, le prix des denrées alimentaires (sucre, riz, légumes) s’envole, la production de thé chute de 40%, les exportations s’effondrent, la monnaie aussi (-80%). Les Chinois, qui ont beaucoup prêté, (13% du montant de la dette), ont demandé le port d’Hambantota pour 99 ans. Le contrat des impérialistes britanniques prenant le port de Hong Kong.

Quel est le meilleur exemple de corruption, toujours de connivence avec les réseaux criminels ? Les Birmans, avec leur junte ? Haïti, avec ses gangs ? Le Pakistan, la Turquie, le Laos, le Népal ? L’exil montre la voie : Venezuela (3.6 millions d’exilés), Syrie (6.6 millions), Afghanistan (2.7), Myanmar (1.1), Soudan du sud (2.4). Les gens partent le plus souvent à cause des guerres civiles, voire de la famine organisée, moyen le plus sûr pour détruire un pays. 

Le Pakistan a 230 millions d’habitants. Le pays est inondé aux deux tiers : 1500 morts « seulement ». Il en mourra bientôt d’autres d’épidémie. Peut-être de faim : l’aide alimentaire est une arme décisive dans le clientélisme. Le Pakistan vit un chaos politique, entre les dynasties Bhutto et Sharif, unies contre Imran Khan, populiste islamiste ami des Russes et des Talibans. Seule autorité : l’armée, jugulaire corrompue qui étrangle le pays, profite des désordres, de l’étranger proche, de ses guerres et ses trafics. Ce n’est pas la mousson qui détruit le pays, c’est son gouvernement.

L’Ukraine, détruite matériellement, est renforcée moralement. La Russie est touchée en son « âme ».

Il y a aussi la guerre extérieure. Elle permet de compenser une perte de légitimité : rassembler autour du drapeau. D’autant qu’une guerre extérieure a l’avantage de détruire plutôt l’adversaire que soi-même. La destruction de l’Ukraine est impressionnante. Le PIB, si on peut encore le mesurer au milieu des décombres, aurait diminué de moitié. Pourtant, l’Ukraine, comme pays, apparait renforcé. Jusqu’à présent, il y avait un doute sur la cohésion du pays. Réponse a été donnée. Après tout, il suffisait de se rappeler que l’indépendance avait été adoptée par plus de 90% des électeurs, même en Crimée (seulement 80%). L’Ukraine, détruite matériellement, est renforcée moralement. La victoire est une dopamine.

L’inverse pour la Russie. Son PIB n’aurait chuté « que » de 6%, Plus grave : la Russie est touchée en son « âme ». Les arrestations se multiplient. Plus d’opposition libre, plus de médias libres, 500. 000 Russes sont partis. Il faudra reconstruire la Russie aussi. 

La Turquie vivait un miracle économique, elle coule. La monnaie turque a encore perdu 50% de sa valeur. L’inflation atteint 80%. Et dire que certains prennent Erdogan pour un malin, parce qu’il se vend aussi bien aux Russes qu’aux Américains. Ce sont les Turcs qui paient.

En Afrique, quelques îlots résistent à des guerres civiles toujours sous-jacentes  

A observer tristement Syrie, Libye, Iran, Yémen, on trouve toujours répressions et guerres civiles. En Afrique, quelques îlots résistent à des guerres civiles toujours sous-jacentes, la violence justifie un faux ordre qui est tension de désordres, profit de chaos.  

L’Onu, la Banque mondiale, expliquent qu’un peu de démocratie ne nuirait pas aux affaires et renforcerait la stabilité. La leçon passe mal, comme toutes les leçons. Ce qui n’empêche pas de constater qu’au fond, face à la pauvreté, la misère, la violence, ce ne sont pas les moyens qui manquent, mais la façon de les utiliser. 

L’Afrique a reçu l’équivalent de cent fois le plan Marshall depuis la décolonisation, détourné par la corruption. La Russie devrait être richissime. Le Moyen-Orient voir le miel couler à flots, grâce au pétrole. Le Venezuela et l’Argentine étaient parmi les pays le plus riches et les mieux éduqués du monde : ruinés.

Que se passe-t-il pour que la guerre, la pauvreté, la violence, l’exil, gagnent petit à petit ? Ce n’est pas la religion : il y en a partout. Ni l’idéologie : pas besoin de cela pour affamer. Ni la corruption, même si elle nourrit les régimes autoritaires où l’arbitraire enrichit. Ni l’esprit de conquête : rares sont les fous qui se prennent pour Napoléon ou Alexandre.

Toute autodestruction commence par la démagogie, les vivats de la foule et le sourire des courtisans.  

Ce qui détruit le plus un pays, c’est la bêtise. L’immense bêtise en matière politique, immense parce qu’elle est généralement approuvée. Toute autodestruction commence par la démagogie, les vivats de la foule et le sourire des courtisans. Poutine, Erdogan, Chavez n’ont-ils pas leurs admirateurs même hors de leur pays ? Qui admire le Suisse Max Petitpierre ou Don Pepe, qui fit de la caserne une université et installa la démocratie au Costa Rica ? 

Les démocraties n’en sont pas épargnées. On comprend bien l’alliance des petits et du Caudillo, vieille recette que l’on joue depuis les tyrans grecs, sous la forme des fascismes, communismes, populismes. Trump, Dutertre, Bolsonaro jouent cette partition. Mais les autres : les polis, les bourgeois, les bien-pensants, manqueraient-ils de démagogie, voire de bêtise ? Justin Trudeau s’est affiché pleurant la Reine comme si c’était Lady Di.

Tout pouvoir qui ne fait rien, face à une nouvelle émotion, abdique. 

Aucun pouvoir ne se prive d’une posture, aucun pouvoir ne se satisfait de ne rien faire. Un vent, la pluie, un virus, un trop-plein d’or, une pénurie de gaz, un drame, chacun y va de sa solution, de sa protection. Un pouvoir qui ne fait rien est un pouvoir qui se dénigre. « Mieux vaut une mauvaise action qu’un silence » ; « mieux vaut une sale guerre qu’une bonne paix ». Ne faut-il pas contrôler le climat et le genre, les masques et le sang, les agences de presse et les taux d’intérêt, l’eau et le sucre, les données et les images, les chansons et les drones, le sous-sol et le metavers ? Tout pouvoir qui ne fait rien, face à une nouvelle émotion, abdique.

C’est dans la prétention de diriger le monde que git la bêtise la plus profonde.

Dommage : les princes qui renoncent sont parfois les meilleurs. C’est dans la prétention de diriger le monde que git la bêtise la plus profonde. Moins le gouvernement promet, moins il prétend, mieux c’est, surtout en cas de crise. Xi Jinping devrait humblement méditer cette réponse de Lao Tseu à Shang Yang : « Si le gouvernement reste tranquille, le peuple reste pur ».

Laurent Dominati

a. Ambassadeur de France

a. Député de Paris

Président de la société éditrice du site Lesfrancais.press

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