En 1995, après l’échec des réformes Juppé, Jacques Chirac avait estimé que la population française avait perdu toute ambition. Selon certains observateurs, un sentiment dépressif s’empara alors de lui. Il réalisa alors que son septennat venait de s’arrêter net, quelques mois à peine seulement après son élection. Cet échec, les divisions au sein de la majorité et la crainte d’une défaite aux élections législatives prévues en 1998 aboutirent à la dissolution manquée de l’Assemblée nationale en 1997.
L’arrivée au pouvoir de la gauche plurielle se traduisit par une période de cohabitation de cinq ans, peu propice à l’adoption de réformes impopulaires. La réélection de Jacques Chirac face à Jean-Marie Le Pen au second tour déboucha, en 2003, sur une réforme des retraites (loi Fillon) qui visait à étendre aux régimes de la fonction publique les mesures prises en 1993 pour le secteur privé. Après l’adoption de la loi Fillon, le Président de la République, et le Premier ministre Jean-Pierre Raffarin, demandèrent aux ministres de surseoir à toute réforme afin de détendre les relations avec les syndicats.
Le ministre de la Santé fut ainsi contraint d’abandonner un projet de réforme de l’assurance maladie qui avait pourtant déjà donné lieu à de nombreuses réunions interministérielles. Le cabinet du Président lui demanda également de ne pas lutter activement contre la dérive des comptes sociaux. Le ministre de la Santé fut presque désavoué pour avoir opéré des déremboursements de médicaments.
Au cours des vingt dernières années, quelques réformes ont bien été entreprises mais elles sont restées relativement modestes et de nature paramétrique. Le système d’indemnisation du chômage a été rendu progressivement moins généreux, et l’âge légal de départ à la retraite a été repoussé dans la douleur, de 60 à 62 ans, puis à 64 ans. En revanche, le système de santé n’a pas fait l’objet de transformations structurelles significatives. Au niveau institutionnel, le regroupement des régions n’a pas permis de réaliser des économies, ni d’alléger le millefeuille administratif. Malgré une diminution des investissements publics, les déficits n’ont cessé de se creuser de crise en crise.
Les dépenses exceptionnelles liées aux crises représentent 1/4 des 1 000 milliards d’euros de dettes supplémentaires
La dégradation des comptes publics entre 2016 et 2024 s’explique principalement, comme l’a révélé une étude de Jean-Pascal Beaufret, par le vieillissement démographique et la continuité des politiques de dépenses précédentes.
Les dépenses exceptionnelles liées aux crises représentent un quart des 1 000 milliards d’euros de dettes supplémentaires, au même titre que les allégements fiscaux. Par ailleurs, l’accroissement des dépenses de protection sociale prive les gouvernements de marges de manœuvre, rendant difficile le respect de l’objectif de dépenses militaires fixé à 2 % du PIB.
Quels sont les facteurs d’étouffement de la France en cette fin d’année 2024 ?
- Le niveau élevé de la pression fiscale : Les prélèvements obligatoires en France, représentant 45 % du PIB, sont supérieurs de 5 points à ceux de la zone euro et de 20 points à ceux des États-Unis. En France, les impôts financent principalement des dépenses de transfert, et très peu des dépenses d’investissement.
- Le faible taux d’emploi et un absentéisme élevé : En 2024, le taux d’emploi, bien qu’en nette progression depuis dix ans, reste à 68 %, soit 10 points de moins qu’en Allemagne. Par ailleurs, le taux d’absentéisme est en forte augmentation, passant de 4 % à 6 % de la population en emploi entre 2010 et 2023. Si la France atteignait le taux d’emploi de l’Allemagne et si la productivité du travail n’avait pas reculé depuis 2019, le produit intérieur brut serait supérieur de 14 %, et les recettes fiscales augmenteraient de 7 points de PIB.
- Une faiblesse de l’investissement et de l’effort de recherche : En raison de la faiblesse de leurs fonds propres et de leur taille, les entreprises françaises investissent insuffisamment. Leur effort en recherche et développement est également inférieur de 1,5 point de PIB à celui des États-Unis (3 % contre 1,5 % du PIB).
- Une protection de l’emploi et une faible productivité : La forte protection de l’emploi en France fige le marché du travail, réduit la mobilité entre secteurs ou entreprises et contribue ainsi à la faiblesse des gains de productivité. La productivité par tête a augmenté de 20 % entre 2010 et 2023 aux États-Unis, contre 8 % pour la zone euro et seulement 5 % pour la France.
Des taux d’intérêt plus élevés à l’avenir
Compte tenu des blocages politiques pour assainir les comptes publics, les taux d’intérêt à long terme ne peuvent qu’augmenter. L’écart de taux avec l’Allemagne devrait également se creuser.
Par ailleurs, la France, comme les autres États européens, pourrait subir les effets de la politique économique américaine de Donald Trump, à la fois susceptible d’être inflationniste et d’entraîner une hausse des taux d’intérêt à long terme. Cette augmentation des taux se répercuterait en Europe. Elle pénaliserait le secteur du bâtiment ainsi que l’investissement des entreprises. Elle limiterait davantage les marges de manœuvre budgétaires de l’État, compte tenu de l’alourdissement du service de la dette qui en résulterait.
Le déficit primaire de l’État (déficit avant paiement des intérêts), estimé à 2,5 % du PIB en 2024, pourrait encore s’aggraver.
L’économie française est handicapée par une pression fiscale élevée, un faible taux d’emploi, une productivité en recul et une potentielle hausse des taux d’intérêt. Des défis pour la productivité et l’investissement. L’amélioration de la productivité concerne particulièrement les fonctions publiques. La France se distingue par un ratio emplois publics/dépenses publiques parmi les plus élevés de l’OCDE, avec quatre emplois publics pour un million d’euros de dépenses, contre deux emplois en Allemagne. Un effort conséquent est nécessaire pour favoriser les dépenses d’investissement, notamment dans les technologies de l’information et de la communication (TIC).
Ces dépenses représentent 0,6 % du PIB en France, contre 0,7 % dans la zone euro et 1,3 % aux États-Unis. Augmenter le taux d’emploi L’augmentation du taux d’emploi passe par une réduction du chômage des jeunes de moins de 25 ans et par une meilleure employabilité des seniors. En 2023, le taux d’emploi des jeunes plafonne à 58 % en France, contre 70 % en Allemagne. Pour les 60-64 ans, les chiffres sont de 40 % en France contre 68 % en Allemagne. Pour remédier à cette situation, la France gagnerait à passer d’une logique de protection de l’emploi à une protection des salariés, en misant sur un accompagnement personnalisé, notamment en matière de formation.
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