Comment casser la spirale du déclin européen ? 

Comment casser la spirale du déclin européen ? 

Les faiblesses de l’économie européenne sont bien connues. Elles ont été analysées en détail par Mario Draghi dans le cadre de son rapport publié en 2024. L’Europe souffre en premier lieu d’un sous-investissement, particulièrement dans les nouvelles technologies. L’épargne des ménages est en priorité affectée au financement des déficits et à l’investissement en logement. Quand elle finance les entreprises, ce sont avant tout celles des États-Unis. Le poids élevé des dépenses de protection sociale réduit les investissements publics en absorbant une grande partie des dépenses. Il conduit à la hausse des prélèvements, ce qui limite les capacités de financement des investissements dans le secteur privé. La sortie de cette spirale infernale suppose qu’au-delà de la prise de conscience, les États membres changent leur politique et décident de se lancer dans un processus de renforcement de l’Union.

Premier cercle vicieux : le sous-investissement technologique

Le taux d’investissement des entreprises de la zone euro est systématiquement inférieur à celui des États-Unis depuis quinze ans. Entre 2010 et 2026, les États-Unis évoluent autour de 13-15 % du PIB quand celui de la zone euro se situe entre 11 et 12 %, malgré des taux d’intérêt historiquement faibles pendant une décennie.

L’Europe a surtout accumulé un retard ces vingt dernières années dans les technologies de l’information et de la communication. L’investissement dans ce domaine (hors logiciels) représente en 2024 1,2 % du PIB aux États-Unis, contre 0,7 % en zone euro. En raison d’une intensité en capital plus faible et d’un positionnement des entreprises sur le moyen de gamme, la rentabilité des fonds propres (ROE) est nettement plus faible en Europe qu’aux États-Unis, et l’écart se creuse depuis 2018. Il est de 17 aux États-Unis, contre moins de 10 en zone euro. 

 Cette faible rentabilité du capital, en Europe conduit les investisseurs à privilégier les placements américains. Environ 350 milliards d’euros d’épargne européenne quittent chaque année le continent pour financer l’économie des États-Unis. Cet exode affaiblit davantage les capacités d’investissement de l’économie européenne, bouclant le premier cercle vicieux.

Europe et Etats unis
Photo illustration ©Stockadobe

Deuxième cercle vicieux : la charge sociale élevée et la faible croissance potentielle

L’Europe a fait le choix d’un système d’assurances sociales avec des couvertures santé et retraite importantes, quand les États-Unis restent dans une logique de couverture publique minimale. Les dépenses publiques de santé et de protection sociale représentent, en moyenne, 30 % du PIB en zone euro en 2024, contre 10/12 % aux États-Unis. Par voie de conséquence, les prélèvements obligatoires s’élèvent à plus de 40 % du PIB en zone euro, contre 27 % aux États-Unis. En Europe, les prélèvements élevés réduisent, par nature, les marges d’investissement du secteur privé et contraignent durablement les entreprises, surtout dans les secteurs à forte intensité capitalistique. Ils les incitent à délocaliser une partie de leur production.

Ces dernières années, avec le vieillissement démographique, le modèle européen de protection sociale a joué contre la croissance. Celle-ci est depuis plus de 15 ans deux fois plus rapide aux États-Unis qu’en Europe. L’écart de croissance cumulée dépasse 15 à 20 points de PIB, ce qui est important. Le système de protection sociale européen, qui avait vocation à protéger la population, tend à se retourner contre elle en empêchant la hausse du niveau de vie. Les salaires réels augmentent plus faiblement en zone euro qu’aux États-Unis. Par ailleurs, les déficits publics croissants limitent les marges de manœuvre avec la montée en puissance du service de la dette.

Troisième cercle vicieux : une épargne mal orientée

L’épargne européenne finance les déficits publics plutôt que l’innovation. Par ailleurs, en raison d’un coût du logement élevé, l’investissement logement des ménages représente 7 points de PIB. Cette mobilisation de l’épargne en faveur du logement stérilise une partie des financements. Par ailleurs, le secteur de l’immobilier génère peu de gains de productivité. L’Europe n’a pas la capacité de dégager suffisamment de capitaux pour les secteurs de pointe. Il n’est donc pas surprenant que la valeur ajoutée du secteur des technologies de l’information et de la communication ne représente que 5 % du PIB en zone euro, contre 8 % aux États-Unis. L’Europe paie comptant l’absence d’un véritable marché des capitaux unifié.

Investissement Dette Européenne
Photo illustration ©Stockadobe

Les trois cercles vicieux de l’Europe s’auto-alimentent et expliquent en grande partie son déclin. Le problème numéro un de la zone euro est lié à l’offre. Pour sortir de cette spirale infernale, une rupture de hiérarchie dans les priorités publiques est nécessaire, avec une meilleure maîtrise des dépenses sociales, une réorientation des investissements dans les technologies d’avenir, la constitution d’une véritable place financière européenne et une remontée de la rentabilité des entreprises. La difficulté provient du fait que ni l’opinion ni les gouvernements n’entendent s’engager sur cette voie. Depuis de très nombreuses années, l’Union européenne a été transformée en bouc émissaire facile, Bruxelles étant accusée de tous les maux. Or, face aux États-Unis, face à la Chine ou à la Russie, aucun État européen, Allemagne comprise, n’a la taille critique suffisante pour jouer à armes égales…

Auteur/Autrice

  • Philippe Crevel est un spécialiste des questions macroéconomiques. Fondateur de la société d’études et de stratégies économiques, Lorello Ecodata, il dirige, par ailleurs, le Cercle de l’Epargne qui est un centre d’études et d’information consacré à l’épargne et à la retraite en plus d'être notre spécialiste économie.

    Voir toutes les publications
Laisser un commentaire

Laisser un commentaire