L’Ukraine, Israël, le Mali ou le Niger seraient autant de guerres et d’évènements illustrant l’acuité de la confrontation entre l’Occident et le reste du monde. Ils confirmeraient le bien-fondé de la prévision de Samuel Huntington sur le caractère incontournable d’un « choc des civilisations ».
Les pays émergents et en développement accusent ceux de l’Occident de mettre en œuvre des politiques néocolonialistes en tentant d’imposer leurs valeurs et leurs règles. Face aux États-Unis, à l’Europe, au Japon ou à la Corée du Sud, un axe réunit la Chine, la Russie et de nombreux pays émergents et en développement, pays ayant en commun de récuser tout droit d’ingérence dans leurs affaires intérieures. À leurs yeux, l’Occident est synonyme de décadence tant économique que morale. Le Sud entendrait également occuper la place qui lui revient et que lui refuseraient les anciennes puissances industrielles. Les pays émergents et en développement estiment que les organisations internationales comme le FMI ou la Banque mondiale ne servent que les intérêts des Occidentaux. Ils estiment ne pas avoir à obéir aux diktats du Nord, en particulier en ce qui concerne la décarbonation des activités.
Le poids des sept premières puissances occidentales au sein du PIB mondial est passé de 72 à 45 %
Force est de constater qu’un rééquilibrage est intervenu durant ces quarante dernières années. Les pays émergents et en développement pèsent à présent plus lourd que ceux de l’OCDE. De 1975 à 2023, le poids des sept premières puissances occidentales au sein du PIB mondial est passé de 72 à 45 %. En termes de population, le rapport de force est tout aussi éloquent : en 2022, 1,3 milliard d’Occidentaux pour une population totale de 7,8 milliards.
Force est également de constater que les dernières interventions des États-Unis, du Royaume-Uni ou de la France en Afghanistan, en Irak, au Mali ou en Libye n’ont pas amené sécurité et croissance dans les pays concernés. Les valeurs démocratiques ne seraient plus tendance. Elles seraient un frein au développement, une source de divisions. Après avoir connu un essor dans les années 1990 et 2000, elles seraient en recul. Selon le dernier rapport annuel de l’Institut international pour la démocratie et l’assistance électorale (IDEA), pour la sixième année de suite, en 2022, le nombre de pays connaissant un déclin démocratique excède celui où la démocratie a progressé, constituant ainsi la plus longue période de recul depuis 1975.
Réduire les relations internationales à une grille de lecture Nord/Sud est une vision étroite et simplificatrice
Les gouvernements des démocraties ont sans nul doute considéré, à tort, que l’histoire s’était achevée en 1991 avec la chute de l’URSS. Ils se sont focalisés sur le rapport aux droits de l’Homme en négligeant les rapports de force géopolitiques qui s’inscrivent dans le temps tout au long de l’histoire. Réduire les relations internationales à une grille de lecture Nord/Sud est une vision étroite et simplificatrice. Elle participe à la tentation d’autoflagellation ou d’autodénigrement en cours au sein même de nombreux pays d’Europe ou d’Amérique du Nord.
Le rejet de l’Occident est organisé avant tout par les dirigeants des régimes autoritaires qui, par ce moyen, se maintiennent au pouvoir en manipulant leur population. Ces dirigeants mettent sur le compte des Américains ou des Européens les difficultés économiques ou sociales rencontrées par leur peuple. Les démocraties sont ainsi transformées en parfaits boucs émissaires. La Chine et la Russie sont louées comme contre-modèles, sachant que ces pays ne se préoccupent guère des droits de l’homme chez leurs partenaires.
Dans les faits, les valeurs de liberté, d’égalité, de respect du droit gênent les dirigeants des régimes autoritaires plus que leur population. En refusant à ces valeurs toute universalité, ils justifient la pérennisation de pratiques dictatoriales.
Dans de nombreux pays émergents et en développement, en effet, les populations aspirent à plus de liberté et à plus de richesses. Elles souhaitent vivre comme des Japonais, des Européens ou des Américains. En Iran, depuis des mois, des femmes se battent pour enlever leur foulard au nom de la liberté. De nombreux ressortissants asiatiques ou africains souhaitent immigrer non pas en Chine ou en Russie mais aux États-Unis, en France ou en Suède, à la recherche de conditions de vie meilleures.
Si l’Occident fait moins rêver aujourd’hui, ce n’est pas en raison de son modèle mais parce qu’il tend à se refermer
Dans les pays émergents, les parents aisés financent des études à leurs enfants à New York, à Londres ou à Berlin et non à Moscou. Quand leur niveau de vie le leur permet, les touristes de ces pays se rendent avant tout en Europe et aux États-Unis, preuve que ces continents honnis disposent de quelques attraits.
Si l’Occident fait moins rêver aujourd’hui, ce n’est pas en raison de son modèle mais parce qu’il tend à se refermer. Les obstacles à l’immigration institués ces dernières années sont durement ressentis de même que les tentations xénophobes et protectionnistes. Les crises des vingt dernières années ont écorné le modèle occidental tout comme la disparition de tout esprit de consensus.
Le doute qui s’est insinué au sein des pays démocratiques est perçu comme un aveu de faiblesse. Les démocraties sont des constructions fragiles car elles sont fondées sur le principe même de la contestation permanente, sous réserve que cette dernière se fasse dans un cadre constitutionnel accepté de toutes et tous.
Face aux crises, aux conflits, l’histoire démontre que, dans un premier temps, les démocraties sont démunies et paralysées avant, dans un second temps, de faire preuve de résilience. L’épidémie de covid a prouvé leur force malgré les errements du début. La capacité d’innovation et la mobilisation des populations y sont plus fortes qu’au sein des régimes autoritaires. La Chine s’est enfermée dans sa politique du zéro covid avant de l’abandonner quand la Russie a connu un des taux de mortalité par le covid les plus élevés au monde, la population ayant peu confiance dans le vaccin national.
Le risque ultime pour les pays occidentaux serait d’abandonner leurs valeurs de tempérance, le respect de l’état de droit et l’acceptation des différences. Tout abandon serait la victoire de leurs adversaires, tout comme le choc des civilisations.
Auteur/Autrice
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Philippe Crevel est un spécialiste des questions macroéconomiques. Fondateur de la société d’études et de stratégies économiques, Lorello Ecodata, il dirige, par ailleurs, le Cercle de l’Epargne qui est un centre d’études et d’information consacré à l’épargne et à la retraite en plus d'être notre spécialiste économie.
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