Chine, quand le travail ne fait plus rêver 

Chine, quand le travail ne fait plus rêver 

En Chine, jusqu’à maintenant, les salariés ne rechignaient pas à la tâche. Pourtant, quand au début du mois de mai, la responsable de la communication chez Baidu, un concurrent de Google, s’est adressé aux médias sociaux pour défendre la culture de l’entreprise qui repose sur l’effort, de nombreux salariés ont réagi négativement. Les jeunes cadres chinois sont de plus en plus nombreux à s’opposer aux conditions de travail pénibles courantes dans le pays.

« Gardez votre téléphone allumé 24 heures sur 24, toujours prêt à répondre »  

Dans la vidéo qui a provoqué un profond mécontentement, Qu Jing déclarait qu’il n’était pas de sa responsabilité si les relations personnelles ou la santé de ses salariés étaient affectées par leur travail. Elle a indiqué qu’elle n’avait pas « vocation à être leur mère » et qu’une « femme qui choisit de passer du temps avec son mari et ses enfants » ne devrait pas s’attendre à une promotion ou à une augmentation de salaire. « Gardez votre téléphone allumé 24 heures sur 24, toujours prêt à répondre », tel est son conseil à celles et ceux qui ont la chance d’être employés chez Baidu. Le mécontentement fut tel que cette responsable de la communication fut contrainte quelques jours plus tard de s’excuser publiquement en promettant « d’améliorer la manière de communiquer » et de « se soucier davantage des collègues ». Ces excuses ne suffirent pas à calmer les salariés qui ont obtenu son licenciement. 

Le directeur général de Baidu, Robin Li, a été contraint de s’exprimer, faisant remarquer lors d’une réunion du personnel que les propos de l’ancienne directrice de la communication ne reflétaient pas les valeurs de l’entreprise. Pour de nombreux chinois, les déclarations de l’ancienne directrice de la communication de Baidu reflètent leur quotidien dans le monde du travail.

« 996 » : de 9h à 21h, six jours par semaine 

L’obtention d’un poste chez Baidu, Alibaba ou Tencent signifie du prestige, un salaire élevé, des avantages sociaux généreux et des stock-options lucratives mais au prix d’horaires de travail élevés. En 2019, Jack Ma, co-fondateur d’Alibaba, vantait la semaine de travail « 996 », c’est-à dire travailler de 9h à 21h, six jours par semaine. 

Sur les réseaux sociaux, il n’est pas rare de trouver des salariés mentionnés d’un travail « 007 » signifiant qu’ils doivent être disponible sept jours sur sept et 24 heures sur 24. La mort d’un certain nombre de jeunes travailleurs chinois du secteur technologique a suscité ces dernières années un réel émoi au sein de la population. En 2020, un employé de 22 ans de Pinduoduo, une entreprise chinoise de commerce électronique, est décédé alors qu’il rentrait chez lui après son bureau aux petites heures du matin, après une journée de travail de plus de 15 heures. 

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En 2022, un contrôleur de contenu âgé de 25 ans chez Bilibili, une application de type YouTube, est décédé alors qu’il travaillait pendant les vacances du Nouvel An lunaire. Bilibili a nié que son employé ait fait des heures supplémentaires au cours de la semaine précédant son décès, mais s’est engagé à embaucher 1 000 agents de contrôle supplémentaires. Après le décès d’un de ses cadres de 28 ans, ByteDance n’a pas commenté les horaires de ses employés. Une enquête interne auprès du personnel de l’entreprise a montré que plus de 70 % des salariés ont quitté leur travail après 21 heures, et près de 40 % sont restés après 22 heures.

Face au ralentissement de la croissance, les entreprises ont diminué les avantages sociaux 

Ces derniers mois, les entreprises de la haute technologie ont réduit leurs horaires non pas pour améliorer les conditions de vie de leurs salariés mais pour tenir compte de la baisse de la demande. 

Face au ralentissement de la croissance, les entreprises ont diminué les avantages sociaux tandis que les augmentations de salaire et les promotions ont été suspendues. Plusieurs entreprises ont même procédé à des licenciements. La distribution de stock-options se révèle moins intéressante. Selon une enquête réalisée par Zhaopin, une société de recrutement, face à l’évolution de la situation économique, près de la moitié des diplômés universitaires du pays aspire désormais à travailler dans des entreprises publiques, contre 36 % en 2020. 

Les entreprises d’État ont la réputation d’être sclérosantes, peu motivantes mais ont l’avantage d’offrir un emploi à vie. La moitié des personnes interrogées ont cité la stabilité comme le facteur le plus important lors du choix d’un emploi. 

Les conditions de travail commencent à devenir un sujet majeur pour les pouvoirs publics chinois. En 2021, l’équivalent de la Cour de cassation chinoise a déclaré que l’horaire « 996 » était illégal. 

Xi Jinping a néanmoins récemment rappelé que la jeunesse se devait de travailler avec dévouement pour le pays afin que celui-ci devienne la première puissance mondiale. Dans un environnement marqué par la crainte de perdre son emploi ou peur d’être perçu comme un dissident, les travailleurs épuisés se réfugient dans l’apathie.

Auteur/Autrice

  • Philippe Crevel

    Philippe Crevel est un spécialiste des questions macroéconomiques. Fondateur de la société d’études et de stratégies économiques, Lorello Ecodata, il dirige, par ailleurs, le Cercle de l’Epargne qui est un centre d’études et d’information consacré à l’épargne et à la retraite en plus d'être notre spécialiste économie.

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