Ces démocrates ennemis de la Démocratie

C’est un lieu commun de dire que la démocratie est malade.

Le populisme, avec ses Trump, ses Brexiters, ses Hongrois « illibéraux », ses ligues italiennes étoilées, ses vrais Finlandais et ses faux Belges que se veulent les Flamands, l’illustre. Pourtant, jamais il n’y eut autant d’Etats démocratiques dans le monde. Jamais les autocrates, comme Poutine, Erdogan, Maduro n’ont tant vanté les principes de la démocratie.

Quand le vice rend hommage à la vertu, il respecte une certaine hiérarchie des valeurs.

Qu’est ce qui dans le fond, menace la démocratie ? Est-ce Mélenchon, qui soutient Maduro,  mais qui est pourtant plus démocrate que le Parti communiste  dont il est le successeur ? Est-ce le Rassemblement National de Marine Le Pen, lui aussi plus républicain que le FN de son père, qu’elle fit condamner ? La démocratie, la République, a toujours eu des adversaires qu’elle a toujours su digérer. Vit-on dans une démocratie tranquille pour autant? Non : la démocratie n’a jamais été tranquille. Nulle part. Ni aux Etats-Unis, où les batailles des droits civiques furent presque des guerres civiles, ni en Angleterre où les conflits de classe et la question irlandaise furent meurtrières, ni en Italie pendant les années de plomb qui furent des années sanglantes. Mais pendant tout ce temps là, il y avait toujours et partout des militants enragés qui se battaient pour la démocratie, autant que leurs adversaires la méprisait. Ce qui menace aujourd’hui, c’est l’inconsistance.

Récemment, un député centriste, Charles de Courson, donna une belle leçon à ses collègues et au gouvernement, fustigeant la loi anticasseurs qui donne au Préfet le droit d’interdire de manifester à tel ou tel. Il dit que cette loi était une atteinte aux libertés publiques. Il a évidemment raison. Il ne fut pas écouté. Il faut espérer que le Conseil constitutionnel réparera cela.

Récemment, un journal d’extrême gauche, Mediapart, manqua d’être perquisitionné. Il en sait trop sur l’affaire Benalla. Auparavant, Mélenchon avait été, au petit matin, sorti du lit par la police. On se moqua de lui tant sa réaction, bouffie d’orgueil, le rendait grotesque. Sur le fond, il avait raison : dans quel pays démocratique réveille-t-on un leader de l’opposition au petit matin et lui prend-on tous ses ordinateurs sans même lui donner un reçu ? Cela se passe chez nous.

En Espagne, des élus indépendantistes sont en prison pour avoir organisé un referendum sur l’indépendance. En Angleterre, des députés travaillistes quittent le parti en dénonçant l’antisémitisme qui y règne. Antisémitisme qui refleurit chez nous, dans la rue. Comme l’antiparlementarisme, l’insulte et les menaces. Le mépris de l’autre est contagieux. Le fond de l’affaire, ce n’est pas l’économie, la crise sociale, le grand bouleversement du monde, internet, les réseaux sociaux ou les medias. La crise est politique : dans les têtes. Habitués à la toute puissance de l’Etat, nous lui en voulons de son impuissance. A chaque problème, nous voulons une loi, c’est-à-dire une sanction. Erreur monumentale. Nous oublions l’essentiel de ce qui maintient la démocratie : d’abord la liberté. C’est-à-dire celle d’autrui.

Je ne suis pas pour l’indépendance de la Catalogne (je n’en suis pas citoyen et je n’ai pas d’avis à avoir), mais je conteste le droit de mettre en prison des élus qui ont exprimé ce qu’ont voté la moitié des Catalans. Je ne suis pas favorable à l’indépendance de la Corse, mais je combattrais une République qui mettrait les indépendantistes corses en prison. Je ne suis pas pour Mélenchon, encore moins pour les casseurs, mais je m’inquiète des perquisitions chez un media, un leader politique, comme je me suis inquiété des multiples mises en examen de Sarkozy, qui, des années après, n’ont toujours débouché sur rien. Les principes républicains, qui sont des principes de respect de la liberté des autres, surtout des adversaires, sont bafoués. On achète, on menace, on poursuit, on intimide. Sous prétexte de guerre au terrorisme, on arrête des écolos. Sous prétexte de transparence, on interpèle des opposants. On poursuit Cahuzac le fraudeur fiscal, mais on encense Johny, le fraudeur fiscal. Dans tous les cas, l’excès. L’absence de mesure et de justice.

On trouve la colère des Gilets Jaunes « légitime », pour les amadouer, et donc on récolte la violence, que l’on condamne encore plus sévèrement que les lois Peyrefitte ou Pasqua ne l’ont jamais fait. En Azerbaïdjan, où j’allais pour défendre les Droits de l’Homme au nom du Conseil de l’Europe et essayer de libérer des opposants, le Procureur me lut la loi française sur les autorisations de manifester. Je lui répondis que personne en France n’avait été mis en prison pour une manifestation illégale. Je ne pourrais plus lui répondre cela aujourd’hui. Est-ce un progrès ? Est-ce la faute des manifestants ? Ou celle des démocrates qui nous gouvernent ?

Les démocrates semblent avoir oublié les principes fondateurs : La liberté d’abord. C’est la liberté qui donne des droits, fonde toute démocratie, sa légitimité et son efficacité. D’autant que la liberté -le respect d’autrui et de ses droits – est efficace. Le système politique républicain n’est jamais menacé par l’extérieur. Il l’est quand ceux qui en ont la charge -le pouvoir comme les citoyens- en oublient les principes. C’est le cas dans bien des pays, y compris, insidieusement, le nôtre. La démocratie « illibérale » se propage. Ils nous manquent de vrais libéraux.

Laurent Dominati

Ancien ambassadeur de France

Ancien Député de Paris

Président de la société éditrice du site « Lesfrancais.press »

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