Arrestation « révoltante et arbitraire », a jugé Carlos Ghosn, interpellé jeudi à son domicile de Tokyo sur de nouveaux soupçons de malversations financières. Les enquêteurs du bureau des procureurs se sont rendus au petit matin à son immeuble. L’ancien patron de Renault-Nissan a été plus tard conduit au centre de détention de Kosuge (nord de la capitale), où il a déjà passé plus de 100 jours avant d’être libéré sous caution il y a à peine un mois.
« C’est contre l’esprit de la loi ou de ce que la loi prévoit, et c’est un acte qui ne doit pas arriver dans un pays civilisé », s’est insurgé devant la presse son avocat Me Junichiro Hinoraka, promettant d’utiliser tous les recours possibles pour obtenir sa remise en liberté. Le défenseur, visiblement courroucé, a par ailleurs dénoncé la confiscation du téléphone sans accès à internet de son client et de l’ensemble de ses notes, ainsi que du smartphone de sa femme, privée aussi de son passeport.
De son côté, le parquet a justifié cette décision par « un risque de destruction des preuves », selon le procureur-adjoint, Shin Kukimoto.
« Pour me briser »
Alerté dès mercredi par des rumeurs de presse, l’homme d’affaires franco-libano-brésilien de 65 ans s’était préparé à cette éventualité. « Il a enregistré une vidéo résumant son point de vue, document que nous prévoyons de diffuser », a annoncé Me Hironaka.
Le magnat de l’automobile déchu avait aussi rédigé une déclaration écrite, clamant son « innocence ». « Pourquoi venir m’arrêter alors que je n’entravais en rien la procédure en cours, sinon pour me briser ? », a-t-il lancé. Cette arrestation « fait partie d’une nouvelle manœuvre de certains individus chez Nissan qui vise à m’empêcher de me défendre en manipulant les procureurs », a-t-il accusé, reprenant le thème du « complot » brandi dans de précédentes interviews accordées en prison.
« Mensonges », « acharnement » et « démolition systématique » : il a usé de la même virulence dans un entretien accordé mercredi en urgence à TF1/LCI par Skype. « Je fais appel au gouvernement français pour me défendre, pour préserver mes droits en tant que citoyen pris dans un engrenage incroyable à l’étranger », a-t-il insisté. « Je suis combatif, je suis innocent, c’est dur », a-t-il également déclaré. « Il y a beaucoup de mensonges dans ce qui a été dit et ces mensonges sont en train de se répéter les uns après les autres. (…) Il y a un acharnement qui n’est pas récent, qui a démarré le jour de mon arrestation, c’est-à-dire le 19 novembre 2018, il ne s’est jamais arrêté », a-t-il ajouté. « Il y a eu une démolition systématique et on sait très bien quelle en est l’origine. Il y a quelques personnes à l’intérieur de Nissan qui sont à l’origine de ça. Ils bénéficient de complicités aussi à l’extérieur de Nissan », a-t-il encore affirmé.
Ce nouveau rebondissement dans un interminable feuilleton, qui s’est ouvert le 19 novembre avec l’arrestation surprise de celui qui était alors le tout-puissant PDG de l’alliance Renault-Nissan-Mitsubishi Motors, intervient alors même qu’il avait décidé de prendre la parole pour la première fois depuis sa sortie de prison. M. Ghosn avait annoncé mercredi via Twitter, de façon impromptue, qu’il s’exprimerait devant la presse le 11 avril. Dans un court message sur un compte certifié créé pour l’occasion, il disait vouloir « dire la vérité à propos de ce qui se passe ».
« Contraire à l’éthique »
Déjà sous le coup de trois inculpations pour déclarations inexactes de revenus sur les années 2010 à 2018, dans des documents remis par Nissan aux autorités financières, et pour abus de confiance, M. Ghosn est désormais sous la menace d’une quatrième mise en examen.
Le parquet le soupçonne d’avoir transféré des fonds de Nissan, pour un total de 15 millions de dollars entre fin 2015 et mi-2018, à une société « de facto contrôlée par lui ». Sur cette somme, 5 millions ont été détournés, a précisé le bureau des procureurs dans un communiqué. « Le suspect a trahi sa fonction (de patron de Nissan) pour en tirer des bénéfices personnels », a-t-il souligné.
Selon une source proche du dossier, le procédé a débuté dès 2012, portant sur une somme totale de plus de 30 millions de dollars versée à un distributeur de véhicules Nissan à Oman, montants dont une partie lui serait revenue indirectement. Il aurait notamment acheté un yacht et investi dans une société dirigée par son fils aux Etats-Unis.
Des flux financiers similaires ont été signalés la semaine dernière par Renault à la justice française, à l’issue d’une enquête interne du constructeur qui s’interroge aussi sur des dépenses opaques au sein de la filiale commune avec Nissan, RNBV, basée aux Pays-Bas. Une enquête a déjà été ouverte sur le financement du mariage de Carlos Ghosn au château de Versailles en octobre 2016.
« Carlos Ghosn est un justiciable comme les autres. Il bénéficie de la présomption d’innocence », a réagi jeudi le ministre français des Finances, Bruno Le Maire, tout en assurant avoir demandé, en tant qu’actionnaire de Renault, « la transparence totale ».
Au Japon, la date du procès n’a pas été fixée. Ses avocats ont déposé cette semaine une requête au tribunal pour que l’ex-patron soit jugé séparément de Nissan, qui, bien qu’étant aussi inculpé sur un des volets, « a pris depuis le début le parti des procureurs », selon Me Hironaka.
Le dirigeant franco-libano-brésilien espère être blanchi après avoir été dépouillé de la présidence des trois constructeurs qu’il avait unis et hissés au premier rang mondial.
Nissan, qui a encore une fois jeudi évoqué « des preuves substantielles d’un comportement ouvertement contraire à l’éthique », se prépare à tenir lundi une assemblée générale extraordinaire d’actionnaires pour révoquer Le mandat d’administrateur de M. Ghosn coupant tous ses liens avec l’entreprise qu’il a naguère sauvée de la faillite.
En réaction, Carlos Ghosn, a donc demandé l’aide du gouvernement français, bénéficiant de la présomption d’innocence, il obtient donc comme tout citoyen français la protection consulaire. C’est ce que s’est borné à déclarer, jeudi, le ministre de l’Économie français, Bruno Le Maire, sur le plateau de BFM TV.
Toutefois, à ce stade, la priorité du gouvernement français est, selon lui, de garantir l’avenir de Renault, désormais présidé par l’ancien président de Michelin, Jean-Dominique Senard, en tandem avec le directeur général, Thierry Bolloré.
Et dans ce cadre, ce lundi 1er avril, selon deux sources proches du dossier, Renault a alerté la justice française après avoir découvert, dans le cadre d’une enquête interne, l’existence de paiements suspects à SBA remontant à l’ère Carlos Ghosn.
Les éléments alors adressés au parquet suggèrent également que l’essentiel des fonds a été ensuite transféré à une société libanaise contrôlée par des associés de Carlos Ghosn. Selon les sources, la somme totale versée par le groupe français se chiffre à au moins 10 millions.
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