Chaque été en France, des millions d’enfants voient leurs rêves de sable chaud, de glace fondue et de farniente s’évanouir sous une couverture orange et bleue. Non, il ne s’agit pas d’un avertissement météo, mais bien de la résurgence annuelle d’un dinosaure pédagogique : le fameux cahier de vacances « Passeport ».
Créé en 1932 par Roger Magnard mais popularisé par son fils Louis dans les années 1970, ce best-seller éducatif français fait un tabac en période estivale, toutes générations confondues, ou plutôt, toutes générations traumatisées. Avec plus de 1,3 million d’exemplaires vendus chaque année, « Passeport » est une institution. Mieux : un rituel de passage. Ou, pour certains, un passeport pour l’enfer.
Une exception bien française : la crainte de l’amnésie estivale
Le cahier de vacances, tel qu’on le connaît en France, n’existe quasiment nulle part ailleurs dans le monde. Certes, on trouve çà et là des exercices d’été ou des recommandations de lecture, mais rien d’aussi codifié, ritualisé et… redouté. Dans la majorité des pays, l’été est synonyme de camps, de stages sportifs, ou simplement de congé mental. Mais en France, on révise.
Et pas qu’un peu. C’est l’école en short. Car la crainte ancestrale de l’« amnésie estivale », ce phénomène par lequel un élève français, à force de soleil, oublierait que château prend un circonflexe, hante le système éducatif. D’autant que les vacances d’été sont chez nous parmi les plus longues du monde : jusqu’à huit semaines de pause. De quoi laisser aux parents le temps d’improviser un BTS de pédagogie appliquée.
Mais pourquoi tant de zèle ?
En 2025, la France continue de plonger vers les bas-fonds du classement PISA. Et pourtant, elle semble persuadée que le salut passera par des quiz sur les homophones grammaticaux et des multiplications au carré pendant que le reste de l’Europe déguste des glaces au bord du lac.
On applique toujours la vieille recette : réviser, combler, répéter. Et si possible pendant la canicule. Mais est-ce bien l’enfant qu’on vise ? Ou plutôt son géniteur : ce père, cette mère, cet oncle tatillon qui, entre deux lectures de Géo et trois verres de rosé (avec modération), exige que l’enfant remplisse sa mission ?
Car il faut le dire : le cahier de vacances est moins un outil d’apprentissage qu’un totem parental. Il dit : « J’ai fait mon devoir. Mon enfant a révisé pendant l’été. Je suis un bon parent. » À la rentrée, dans la salle comble de la réunion parents-profs, on pourra bomber le torse et lancer d’un ton faussement modeste : « Nous, on avait le Passeport CE2/CM1, hein. On n’a pas laissé filer… »
Un plaisir pour qui ?
Soyons honnêtes : l’enfant n’a rien demandé. Même déguisé en jeu, même coloré, même avec des autocollants de dauphins qui font splash, il sait. Il sent le piège. Il voit bien que le « coloriage magique » cache une opération de calcul mental. Et que la page sur les volcans n’est là que pour justifier une dissertation.
À quand la réforme estivale ?
Peut-être est-il temps de se poser la question : réviser l’été, est-ce encore pertinent ? Ne vaudrait-il pas mieux raccourcir un peu les vacances (blasphème !), mais permettre à tous les enfants, y compris ceux sans voisins bienveillants et sans budget pour cahier, de rester dans un cadre éducatif plus homogène ?
Ou alors, assumons : créons un cahier de vacances pour parents. Avec des quiz sur la parentalité bienveillante, des mots croisés sur la réforme du collège et un atelier d’écriture de mots d’excuse crédibles. Parce qu’après tout, en septembre, ce sont surtout eux qui veulent se faire bien voir.
Et vous, chers lecteurs expatriés, avez-vous transmis ce doux héritage à vos enfants ? Le Passeport a-t-il traversé la frontière dans votre valise ? Ou avez-vous laissé ce plaisir coupable au vestiaire, entre le saucisson et les copies de Sciences & Vie Junior ?
Dans tous les cas, bonne chance à ceux qui, à l’ombre des pins ou entre deux TGV, s’apprêtent à entendre : T’as fait ta page de Passeport aujourd’hui ?
Auteur/Autrice
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Gilles Roux est un juriste, entrepreneur et auteur français qui vit dans la région de Mannheim en Allemagne depuis plus de 35 ans.
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