Après plusieurs mois de tensions diplomatiques, l’ambassadeur de France au Burkina-Faso a été rappelé à Paris jeudi. Au cœur de l’affaire, une succession de faux pas diplomatiques français dans un contexte d’influence russe croissante dans la région.
« Dans le contexte des derniers développements intervenus au Burkina Faso, nous avons décidé de rappeler notre ambassadeur à Paris, pour mener des consultations sur l’état et les perspectives de notre coopération bilatérale », a expliqué à l’AFP le ministère français des Affaires étrangères jeudi (26 janvier).
L’ambassadeur de France au Burkina-Faso, Luc Hallade, a été rappelé à Paris après plusieurs semaines de tensions avec Ouagadougou. Les autorités burkinabè se sont plaintes d’une crise de « confiance » avec le diplomate.
« Ce n’est pas la fin de la relation diplomatique mais c’est l’interlocuteur que nous demandons simplement de changer », avait déclaré l’Agence de presse officielle du pays fin décembre, récusant une rupture avec la France mais bien avec l’ambassadeur lui-même.
M. Hallade, en poste depuis septembre 2019, est dans le collimateur des autorités après avoir fait état de la dégradation de la situation sécuritaire dans le pays, qualifiant le changement de pouvoir en septembre 2022 de « coup d’État » , et déclarant que « rester à Koudougou [la troisième ville du pays] représentait un risque important ».
Le Burkina est confronté depuis 2015 à une insurrection djihadiste rampante qui contrôle plus de 40 % du territoire burkinabè et a connu deux coups d’Etat en 2022. Le dernier, datant de septembre dernier, a mis à la tête du pays le capitaine Ibrahim Traoré.
Faux pas français
Pour François Gaulme, chercheur associé à l’Institut français des relations internationales (IFRI), le renvoi de l’ambassadeur dénote une attitude défiante des autorités burkinabè envers Paris, suite à plusieurs faux pas diplomatiques réalisés depuis le premier quinquennat d’Emmanuel Macron.
« C’est à Ouagadougou qu’Emmanuel Macron a annoncé sa politique africaine en 2017 », a rappelé M. Gaulme, ajoutant que pour sa première visite officielle en Afrique, le chef de l’État a accumulé bourdes et mauvais signaux.
« Il a fait son discours à l’université de Ouagadougou devant des étudiants, et non pas au palais présidentiel, ce qui a déjà pu être perçu négativement », a déclaré M. Gaulme. Selon lui, ce symbole a été interprété comme une volonté de l’Élysée de passer outre les autorités du pays.
« Sans compter que le président Macron a tout de même involontairement humilié le président Kaboré en le faisant passer pour le préposé à la climatisation », poursuit M. Gaulme.
Pour rappel, le chef de l’État avait plaisanté que le président burkinabè de l’époque, qui venait de quitter l’amphithéâtre de l’université de Ouagadougou, était « parti réparer la climatisation ».
Emmanuel Macron s’était excusé le lendemain de l’incident qui avait cependant laissé des traces parmi la classe dirigeante du pays.
Par ailleurs, selon M. Gaulme, il existe un certain ressentiment à son égard chez les chefs d’Etat d’Afrique de l’Ouest et en Afrique francophone en général depuis le sommet de Montpellier en octobre 2021. Ce sommet avait mis à l’honneur les sociétés civiles africaines en excluant les instances dirigeantes des pays invités.
« Il les a mis délibérément de côté pour se concentrer sur la jeunesse et la société civile plutôt que d’organiser un sommet franco-africain » a déclaré M. Gaulme, selon qui ce sommet, où Emmanuel Macron était le seul chef d’État présent, a contribué à la mauvaise image française auprès des instances politiques burkinabè.
Selon une source diplomatique proche du dossier, l’ambassadeur Hallade, perçu comme « l’homme du président Macron au Burkina Faso », aurait ainsi fait les frais de cet agacement diplomatique croissant dans un contexte de perte de vitesse française dans la région du Sahel.
L’influence russe croissante dans la région
Le rappel de l’ambassadeur de France au Burkina Faso intervient alors que la Russie étend son influence dans la région du Sahel où le Kremlin a déjà remporté des victoires symboliques en Centrafrique et au Mali.
Moscou y affirme notamment sa présence via la controversée société de sécurité privée Wagner dont les mercenaires sont accusés par plusieurs ONG dont Human Rights Watch d’être responsables de crimes de guerre en Ukraine, Libye, Syrie, au Mali ou en République centrafricaine.
« Le scénario malien est dans tous les esprits », a confirmé une source diplomatique à EURACTIV, en référence au retrait des troupes françaises du Mali en août dernier, après neuf ans de lutte anti-jihadiste.
Quelques heures à peine après l’évacuation des derniers soldats français de la base de Gao, au nord du pays, des mercenaires du groupe Wagner avaient en effet atterri à l’aéroport international de la ville.
Un scénario qui semble se répéter avec le Burkina Faso dont le Premier ministre avait effectué une visite à Moscou en décembre dernier alors que le président de transition Ibrahim Traoré parlait d’engager une « diversification des partenaires dans la lutte antiterroriste ».
Lundi (23 janvier), le porte-parole du gouvernement burkinabè a confirmé que Ouagadougou avait ordonné le départ des 400 hommes de l’Opération Sabre basés dans le pays, dans un délai d’un mois. Et ce en dépit des messages de « bonne entente » de la Secrétaire d’Etat française Chrysoula Zakaropoulou, envoyée en urgence à Ouagadougou le 9 janvier.
Selon François Gaulme, le retrait des troupes françaises préfigure par ailleurs un « effet domino », et plus particulièrement au Tchad et au Niger où « la France reste fragile ».
La présence des troupes françaises dans ces deux pays est régulièrement contestée par la population et les autorités tchadiennes ont annoncé début janvier avoir déjoué une « tentative de déstabilisation » de plusieurs militaires.
Ainsi, alors que des bruits courent sur un possible redéploiement des troupes de l’Opération Sabre au sud du Niger, reste à savoir combien de temps la France pourra maintenir ses troupes dans la région si sa présence continue d’être contestée, un pays après l’autre, pour la plus grande joie du Kremlin.
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