Le Brésil aime les montagnes russes. De terre promise, ce pays est capable de perdre en un temps record les gains de plusieurs années de croissance. Supposé devenir rapidement la cinquième puissance économique au début des années 2010, en surpassant la France et le Royaume-Uni, le Brésil est contraint, pour le moment, de revoir ses ambitions à la baisse.
Après avoir subi, une forte récession entre 2015 et 2016, ce pays figure parmi ceux, avec les États-Unis, qui sont les plus touchés par la pandémie en cours. Un changement de modèle de croissance semble s’imposer, ce qui suppose évidemment une remise en cause des politiques économiques et sociales mises en œuvre depuis une vingtaine d’années.
La descente aux enfers
Par sa population forte de 210 millions d’habitants, par la richesse de son sous-sol et sa place au sein de l’Amérique latine, le Brésil a tout pour devenir une grande puissance. Or, à chaque fois qu’il est sur le point d’accéder à ce rang, une plongée dans les abysses intervient. La malédiction brésilienne est devenue un cas d’école. Au deuxième trimestre, le PIB brésilien a reculé de 9,7 points en raison de l’application dans plusieurs régions du pays de mesures de confinement et de quarantaine. Ce recul fait suite à celui du premier trimestre (-2,5 %).
Le Président Bolsonaro s’est opposé sévèrement à ces mesures imposées par les gouverneurs des États créant un climat politique délétère, et cela en dépit d’un grand nombre de victimes de la Covid-19. En valeur absolue, fin août, le Brésil comptait plus de 120 000 morts et 4 millions de cas confirmés, le plaçant au deuxième rang après les États-Unis pour le nombre de victimes. Plusieurs indicateurs semblent souligner qu’une reprise se manifestait depuis le début du mois de juillet. 130 000 emplois auraient été créés lors de ces deux derniers mois.
Selon Gustavo Arruda, chef économiste de BNP Paribas au Brésil, sur l’ensemble de l’année, la chute du PIB devrait être de l’ordre de 5 % avec un risque non négligeable de rechute à l’automne. Le Gouvernement espère obtenir une croissance de 3,2 % en 2021 et un effacement des effets économiques de la pandémie en 2022.
Une décennie perdue
Avant même la pandémie, la situation économique du Brésil était plus que délicate. Les années 2010 ont été une décennie perdue. En dix ans, le Brésil est passé du nirvana à l’enfer. En 2010, le taux de croissance annuelle du PIB atteint un niveau record à 7,5 %. Dilma Rousseff (Parti des travailleurs – PT) avait gagné l’élection présidentielle avec 56 % des voix. Lula da Silva (Parti des travailleurs – PT) quitta alors la présidence (2003-2011) avec une cote de popularité record (87 %). Le real brésilien est alors au plus haut et valait 1,3 dollar (juillet 2011). Dès 2013, le climat social tend à se dégrader. Des manifestations et des troubles sociaux agitent régulièrement les grandes villes du pays. L’augmentation des dépenses publiques liée à la Coupe du monde de la FIFA (2014) et aux jeux olympiques de Rio de Janeiro (2016) a été durement ressentie.
En 2014 est rendu public le scandale de corruption (Lava Jato), mettant à jour l’existence d’un vaste système de pots-de-vin, de blanchiment d’argent et de détournement de fonds à l’échelle de plusieurs États, entre des responsables publics et des entreprises dans les secteurs de l’énergie, de la construction, des infrastructures et de l’agroalimentaire. Malgré tout au mois d’octobre, la présidente sortante Dilma Rousseff est réélue avec 52 % des voix. Cette réélection n’empêche pas la poursuite de l’agitation sociale. La situation économique brésilienne devient de plus en plus délicate avec le retournement du cycle des matières premières. Entre 2015 et 2016, le Brésil connaît une sévère récession avec une contraction du PIB de 6,8 % en cumulé.
En 2016, la présidente Dilma Rousseff est destituée pour détournement de fonds publics et violation de la réglementation sur le financement des campagnes électorales. Le vice-président, Michel Temer (PMD), devient alors président en exercice bien qu’il fasse lui-même l’objet d’une enquête. 2014/2017 est l’une des plus sombres périodes que le Brésil a connues depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Au cours de ces trois années, le PIB par habitant, mesuré en dollars courants, s’est contracté de 28 %. Les inégalités, la pauvreté, y compris extrême, se sont aggravées, tandis que l’investissement et la confiance accusaient de nets replis.
Il a fallu quinze trimestres pour que la formation brute de capital fixe réel commence, finalement, à se redresser, illustrant les graves difficultés rencontrées par les entreprises. Le chômage s’établissait à 13,7 % en mars 2017, bien au-dessus du niveau de 6,2 % enregistré en décembre 2013. En 2018, l’ancien Président Lula est incarcéré pour corruption (peine de douze ans). Cette même année, Jair Bolsonaro (PSL) est élu président avec 55 % des voix. Il décide de réformer les retraites et de réduire les dépenses publiques.
Avec la pandémie et la récession qu’elle provoque, la monnaie brésilienne continue à se déprécier avec un risque non négligeable en ce qui concerne les réserves de change. En moins de dix ans, le real brésilien a ainsi perdu environ 75 % de sa valeur. La sortie de la récession a été moins prometteuse que prévue en raison de la baisse des prix des matières premières destinées à l’exportation, du ralentissement du commerce mondial et de la croissance.
Avant la crise de la Covid-19, le gouvernement souhaitait diminuer le poids de l’État dans l’économie et inciter les investissements privés. Depuis, les plans de transition, élaborés par le gouvernement, ont été mis de côté. Pour soutenir l’économie, l’État brésilien a été contraint de mettre en place un plan de relance qui est l’un des plus importants au sein des pays émergents. Malgré ce revirement lié la crise, les premiers résultats de la politique mise en place par le Président Jair Bolsonaro, traduisent une forte croissance du secteur privé qui était deux fois plus rapide que celle du secteur public. *
La Covid-19 a frappé un Brésil en pleine convalescence
Le Brésil souffre de maux structurels. La faiblesse des infrastructures, la corruption, une économie peu concurrentielle et fermée, les accès aléatoires et peu transparents au crédit sont autant de facteurs qui jouent contre la croissance brésilienne. Le taux d’investissement des entreprises reste faible pour un pays émergent. Il est passé de 20,9 % en 2013 à 14,7 % en 2017. En Europe, il était avant crise supérieur à 21 %. Cette faiblesse s’explique par les taux d’intérêt élevés pratiqués par la banque centrale notamment pour attirer les capitaux étrangers.
Un effet d’éviction au détriment du secteur privé existe du fait des importants besoins financiers de l’État. Le déficit public est élevé tout comme la dette publique qui devrait passer de 77 à 100 % du PIB. La maîtrise des dépenses publiques est extrêmement compliquée en raison du clientélisme et du formalisme juridique. De nombreux postes de dépenses sont protégés par la Constitution. Leur remise en cause suppose une révision constitutionnelle. Or, ces postes concernent 96 % du budget de l’État fédéral.
Le pays souffre de la chute des cours des matières premières et du pétrole. En outre, les errements de la politique de gestion sanitaire de la crise ont créé une défiance à l’intérieur du pays comme à l’extérieur. La monnaie brésilienne a poursuivi sa dépréciation contraignant la banque centrale à relever ses taux. 1 dollar s’échangeait contre 5,4 real brésilien fin août ; au mois de mai, c’était un dollar pour 6 real.
La Covid-19 a frappé le Brésil à un moment où le pays était confronté à la plus lente reprise économique de son histoire et où environ un quart de sa population active était au chômage ou en situation de sous-emploi. L’assainissement des comptes publics n’était pas prévu avant 5 ans. La crise actuelle devrait allonger ce délai de plusieurs années.
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