On savait le capitalisme révolutionnaire, mais à ce point c’est du quantique: espaces courbes, intrications, bientôt l’énergie noire. « Les tabous sont faits pour être violés » disait Marcel Mauss, le père de l’anthropologie française. Le siècle naissant et sa cohorte de révolutions lui donnent raison. Sans doute la crise est-elle un formidable accélérateur de changements. Mais c’est au fond une Révolution, guidée par la conscience, qui engage cette chaîne de bouleversements. Joe Biden, par exemple, brise les tabous en ce début de mandat.
Biden chauffe l’Amérique au dollar
Président du pays porte flambeau du capitalisme, Joe le vieux, Joe l’endormi, réveille l’Amérique à coups de milliards et brise tous les tabous : Après les 1 900 Mds$ du Rescue Plan, les 2 200 Mds de l’American Jobs Act (infrastructures), voici 1 800 Mds$ pour les familles de l’American Families Act. Au total 5 900 Mds$, près de 30% du PIB US sur les prochaines années. Du jamais vu depuis le New Deal de Roosevelt.
Qui dit mieux ? Personne. L’Europe espère faire approuver son plan de relance avant la fin de la crise : 750 Mds€. On excusera du peu : la dette commune, c’est une première, aussi. Il faut y ajouter les plans nationaux, difficile à évaluer, en France entre cent et cinq cent milliards… selon le Ministre de l’économie ou le Président de la République. Tout dépend comment on compte, mais qui compte ?
La crise permet tout. (Y compris d’interdire). Biden veut la transformer en «opportunité » et booste la croissance. 5.900 milliards, il faut ce qu’il faut. Tout le monde ne peut pas puiser au puits sans fond du dollar. Résultat : la croissance américaine est repartie à +6% ce dernier trimestre. En France, à … 0.4%.
Tabou des impôts
Après le tabou de la dépense, Biden fait sauter celui des impôts. Non seulement il a décidé d’augmenter les impôts sur les sociétés, à 25%, (presque le taux français, 28%), mais il veut même un taux d’imposition minimal mondial : 21% ! L’Amérique veut taxer ses multinationales, et que les autres les taxent aussi. Le monde à l’envers.
En Colombie, où le taux d’imposition ne dépasse pas 20% du PIB, un des plus faible de l’OCDE, le gouvernement a voulu augmenter les impôts pour financer le déficit du à la coronacrise. Révolte : 28 morts.
Pour les pays qui n’ont pas la dette facile, la crise accroit la pauvreté. En 2020, selon l’ONU, 155 millions de personnes, dont 100 millions en Afrique, sont tombés dans l’insécurité alimentaire, le nombre le plus élevé de ces dernières années : ils n’étaient « que » 96 millions en 2016, sur une tendance de baisse continue. La quasi-totalité était due aux conflits et aux guerres. L’arrêt des échanges, le blocage de l’économie mondiale ont provoqué par la coronacrise, a fait grimper le chiffre. Ce n’est pas le covid qui tue en Afrique, c’est la panne des circuits de distribution. Et toujours les guerres, bien sûr.
Mais que se passerait-il si l’Afrique, jusqu’ici épargnée, connaissait la même flambée épidémique que l’Inde, désormais submergée ?
Comment permettre la vaccination dans les pays pauvres ? Les pays riches ont lancé avec l’OMS l’initiative COVAX : 5 milliards de financements annoncés par les pays les plus riches, Etats-Unis, Europe, Japon. Mais Biden va plus loin, il se prononce pour la levée des brevets.
Tabou de la propriété intellectuelle
Bien mondial, bien gratuit, dit-il. Et le droit de propriété intellectuelle ? Tant pis. Devoir moral, dit-il. Il accède aux demandes de l’Inde et de l’Afrique du sud. D’accord, les Etats-Unis sont généreux avec les brevets Européens, qui produisent 40% des vaccins de la planète et ont exporté la moitié des 400 millions de doses produites quand les Etats-Unis conservaient les siennes : America first. Certes, le partage des brevets ne résoudra pas la question de la production, en tout cas pas dans l’immédiat. Peu importe : Biden ouvre la porte à une mise en parenthèse de la propriété intellectuelle, le socle de la recherche et de la richesse.
Comment rémunérer le chercheur si on ne paie pas sa découverte ? Qui s’élancera dans la prochaine course au vaccin, pour la prochaine pandémie ? disent les critiques. Seuls le pourront ceux qui seront financés a priori par des commandes publiques. Reprenant Mauss, Graham Green écrivait : « Les principes sont faits pour être violés », il expliquait : « être humain est aussi un devoir. » Voilà ce qui inspire Biden. Mais pas seulement : Les écarts dans l’accès aux vaccins, l’accès aux financements, aux technologies vont s’accroitre entre les pays. Or les écarts, dans une si petite planète, ne peuvent pas se tendre sans risque. On ne peut rester riche et bien portant, – relativement aux autres- tout seul impunément. Or les écarts s’accroissent vite, très vite.
Lors de ce premier trimestre 2020, trimestre de crise, Amazon, a vu son chiffre d’affaires augmenter de 44% : 108 Mds. Bénéfice triplé: 8 Mds. Google: 55 Mds de CA, 18 milliards de bénéfice. Apple, chiffre d’affaires + 54% : 89,4 milliards de $. Profit : 23,6 milliards. En un trimestre.
A titre de comparaison : 90 milliards est la valeur totale de la BNP ; 23 milliards, celle de la Société Générale. Petites banques, petite France. La fondation Gates donne d’ailleurs un peu plus que la France à l’initiative Covax. Finances, monnaies, sécurité : Le temps des Etats serait compté.
La crise amplifie les changements d’échelle dans le monde. Elle bouleverse la façon de travailler, les modes de pensée, les principes. Rien n’est tabou, rien n’est acquis.
La constance, c’est la compétition mondiale. Biden veut garder, ou restaurer le leadership moral de l’Amérique. Répondre ainsi à Poutine et à la Chine. La morale aussi est un capital. Brise tabou n’est pas si fou.
Laurent Dominati
A. Ambassadeur de France
A. Député des Français de Belgique
Président de la société éditrice du site « Lesfrancais.press »
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