La France s’apprête à accueillir Xi Jinping pour le premier voyage officiel du président chinois en Europe depuis 2019. Alors que le déficit commercial de Paris vis-à-vis de Pékin n’a jamais été aussi important, l’exécutif doit jongler entre la nécessité d’une politique de fermeté économique vis-à-vis de la Chine et sa volonté d’attirer de nouveaux capitaux.
Cela sera « une visite très politique », prévient sans détour l’Élysée.
À quelques jours de l’arrivée dimanche (5 mai) de Xi Jinping, pour une escale de 48 heures dans l’Hexagone, personne au sein de l’exécutif français n’ignore l’importance de la rencontre : alors que la guerre en Ukraine fait toujours rage et qu’une enquête antisubventions – poussée en coulisse par Paris – a été lancée par la Commission européenne contre les véhicules électriques chinois, les relations franco-chinoises ne sont pas au beau fixe.
La visite est d’autant plus cruciale que la France tente depuis une dizaine d’années d’attirer des investissements chinois dans des secteurs de pointe comme l’automobile, tout en plaidant pour plus de « réciprocité » dans les échanges économiques entre les deux pays.
« Le Président de la République, depuis ses premiers échanges avec le président XI Jinping, a défendu une position très claire consistant à améliorer l’accès des entreprises françaises au marché chinois et à obtenir ce que l’on appelle des ‘conditions de concurrence’ », souligne l’Élysée.
Une concurrence plus égale donc, qui passe par le « renforce[ment] des instruments de défense commerciale, pour avoir une plus grande crédibilité dans les discussions avec les autorités chinoises », estime l’entourage du chef de l’État, qui sera accompagné pour l’occasion par la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen.
Un déficit commercial « bien installé »
L’économie française est intrinsèquement liée à celle de la Chine. Les chiffres du ministère de l’Économie font état en 2022 d’une augmentation de plus de 20 % des importations chinoises par rapport à l’année précédente – une tendance qui s’explique principalement par la reprise de la consommation des ménages après deux ans de pandémie.
Mais cette relation est loin d’être équilibrée : Paris accusait un déficit commercial de 53,6 milliards d’euros vis-à-vis de Pékin en 2023 – soit plus qu’avec tout autre de ses partenaires économiques – alors que celui-ci élevait « seulement » à 40 milliards d’euros en 2022.
« Le déficit commercial est bien installé », confirme Elvire Fabry, chercheuse à l’Institut Jacques Delors. En tête du peloton des importations : les machines industrielles, mais aussi le textile, les métaux raffinés et les produits chimiques.
Dans le sens des exportations, « nos intérêts offensifs sont concentrés sur quelques secteurs, comme l’aéronautique et le luxe », ajoute-t-elle. Les turbines à gaz et les alcools tirent aussi leur épingle du jeu.
Au niveau européen, les investissements directs chinois n’ont cessé de se réduire ces huit dernières années, pour atteindre 7,9 milliards d’euros en 2022, dont 1,3 milliard vers la France, selon les données de 2022 du centre de recherche allemand Mercator Institute for China Studies (METRICS). Ces derniers se concentrent en Allemagne, en France, au Royaume-Uni et en Hongrie.
Plus de la moitié des investissements chinois en Europe ciblent par ailleurs le secteur de l’automobile. Délaissant les rachats d’entreprises et les fusions-acquisitions, Pékin fait le choix depuis quelques années de construire de nouvelles usines, notamment pour sa production de véhicules électriques.
Un partenariat entre le leader français du combustible nucléaire Orano et XTC New Energy, spécialiste dans la fabrication de cathodes à base de lithium pour les batteries de véhicules électriques, a ainsi été conclu et trois usines devraient entrer en production d’ici 2026 dans le département du Nord.
« Derisking »
Comment faire du commerce avec le géant économique qu’est la Chine ? Courtiser Pékin, au risque de s’affranchir complètement de règles internationales que les Chinois ont tendance à ne pas appliquer ? Ou imposer des règles drastiques de réciprocité, qui pourraient rendre l’accès aux capacités d’innovation chinoises plus complexes que jamais ?
L’approche française, dans la droite lignée de celle de la Commission européenne, se résume en un mot : « derisking ».
« L’enjeu du ‘derisking’, c’est de réduire les dépendances excessives [de l’Europe vis-à-vis de la Chine] », continue Mme Fabry, qui se veut réaliste. « Mais nous sommes dans une situation où nous dépendons de plus en plus de la capacité d’innovation chinoise à court terme – dans les technologies vertes, l’intelligence artificielle et les supercalculateurs ».
L’investissement direct chinois reste donc un outil crucial pour permettre un transfert de savoir-faire et pour renforcer les capacités d’innovation française et européenne, estime la chercheuse.
Le ministre de l’Économie Bruno Le Maire est le premier à vouloir rassurer les Chinois : le terme de « derisking » « ne signifie pas que la Chine constitue un risque », martelait-il lors d’un voyage officiel en Chine en juillet dernier.
« Nous souhaitons que la Chine investisse en France dans les véhicules électriques. Dans la transition climatique, il y a une place pour l’investissement chinois, ce qui nous permet de renforcer nos relations économiques et d’accélérer l’action contre le réchauffement climatique », ajoutait-il.
Partenaire de choix mais « rival systémique »
En lien étroit avec ses homologues européens, la France renforce dans le même temps son arsenal juridique pour mieux faire face à une Chine jugée chaque jour un peu plus prédatrice.
« Aujourd’hui, nous devons avoir sur le plan commercial avec la Chine un comportement respectueux, mais de défense de nos intérêts, de réciprocité et de sécurité nationale », affirmait jeudi (2 mai) le président français dans une interview accordée au magazine anglo-saxon The Economist.
L’UE parle quant à elle de la Chine comme d’un « partenaire propice aux coopérations, un compétiteur économique et un rival systémique » – et la Commission s’est dotée tout au long de la dernière mandature de capacités d’enquêtes et de contrôle des investissements étrangers pour plus adéquatement faire face à Pékin.
C’est ainsi qu’en septembre 2023 et pour la première fois de son histoire, la Commission européenne ouvrait une enquête antisubventions contre les voitures électriques chinoises. Une deuxième enquête sur la filière photovoltaïque vient aussi d’être lancée.
L’été dernier, Bruno Le Maire annonçait vouloir étendre le filtrage des investissements étrangers à la filière des métaux critiques et stratégiques, dont la Chine a un contrôle presque total. Pékin a riposté au mois de janvier dernier en ouvrant une enquête sur la production de Cognac.
« Sur tous les sujets défensifs, la France a joué un rôle moteur », analyse Mathieu Duchâtel, directeur des études internationales à l’Institut Montaigne. Selon le chercheur, rendre le pays attractif aux capitaux chinois tout en tenant un discours offensif est le signe que la France développe une « vision affirmée sur des sujets de sécurité internationale, et en particulier sur l’Ukraine », contrairement à d’autres États européens, notamment l’Allemagne, dont la stratégie vis-à-vis de Pékin est caractérisée par une certaine « mollesse ».
La visite d’État du président Xi Jinping devrait donc permettre de clarifier l’attitude que Paris souhaite adopter vis-à-vis de la Chine dans les années à venir. Avec, en toile de fond, la possible réélection de Donald Trump à la présidence des États-Unis en novembre, et le risque d’une guerre économique sino-américaine.
« L’Europe et la France feront face à un choix stratégique : celui d’un alignement transatlantique, ou au contraire du maintien de l’accès de la Chine au marché unique européen », estime Mathieu Duchâtel. « Quoi qu’il en soit, nous entrerons dans un monde nouveau ».
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