Après un rebond mécanique en 2021 succédant à la récession liée à la crise sanitaire en 2020, la croissance des pays occidentaux retrouve son rythme faible et chaotique en vigueur depuis une dizaine d’années.
Ces derniers sont rejoints par la Chine qui traverse l’une de ses périodes de croissance les plus faibles depuis le président Mao. Au cours de l’année précédant la covid-19, le PIB des économies avancées a augmenté de moins de 2 %. La productivité des pays riches qui est la source clef de l’amélioration du niveau de vie, est stagnante voire en déclin. Les prévisions officielles suggèrent que d’ici 2027, la croissance du PIB par habitant dans le pays riche médian sera inférieure à 1,5 % par an.
La croissance économique est passée de mode
Les pays de l’OCDE ont un rapport à la croissance de plus en plus complexe. Ils la souhaitent ardemment afin d’améliorer le pouvoir d’achat des ménages et de financer les dépenses publiques en forte hausse, mais dans le même temps, ils la rejettent. Face au déclin de la population active, à la différence des années 1950/1970, les populations sont de plus en plus opposées à l’arrivée d’immigrés. Le progrès est également vilipendé. La multiplication des contraintes réglementaires pèse sur la création de richesses. Les thèses en faveur de la décroissance trouvent un nombre croissant d’adeptes. La croissance économique est passée de mode.
Selon une enquête réalisée par Manifesto Projet et relayée par The Economist, 30 % de la population des Etats membres de l’OCDE seraient en faveur de la décroissance, soit deux fois plus que dans les années 1980.
La croissance, victime de l’inflation réglementaire
L’envie de croissance s’étiole tout comme l’esprit de réforme ; or les deux sont liés. Pour retrouver des gains de productivité et des marges de manœuvre, il est souvent nécessaire de libéraliser et de réduire les prélèvements obligatoires. Mais les gouvernements des Etats membres de l’OCDE réalisent de moins en moins de réformes structurelles, deux fois moins ces dernières années que dans les années 1980/1990. Ces réformes ont des effets sur la croissance faible car elles sont limitées et s’accompagnent de fortes compensations (étude publiée en 2020 par Alberto Alesina, économiste à l’Université de Harvard).
L’atonie de la croissance proviendrait en partie d’une surproduction réglementaire. Aux Etats-Unis, en 2021, le gouvernement a introduit 12 000 nouvelles réglementations. En France, au 25 janvier 2022 le stock net de mots juridiques dans les textes répertoriés par Legifrance s’élève à 44,1 millions, en hausse de 93,8 % par rapport à 2002.
Une surproduction réglementaire
Les contraintes urbanistiques freinent la construction de logements, ce qui induit des augmentations de prix. L’immobilier capte une part croissante de l’épargne au détriment des autres activités. Cette captation s’inscrit en outre dans un processus de diminution de la construction. Selon une étude de Knut Are Aastveit, Bruno Albuquerque et André Anundsen, trois économistes, le nombre de projets immobiliers répondant aux normes a diminué de moitié depuis le début des années 2000. Cette diminution est en phase avec la décision de raréfier le foncier constructible. Au sein de l’OCDE, la construction de logements est inférieure de 33 % du niveau de la précédente décennie.
L’arbitrage en faveur du social pèse-t-il sur la croissance ? Ces dernières années, les gouvernements ont privilégié les dépenses sociales comme les retraites, la santé ou les aides sociales. Aux Etats-Unis, en 2018, les revenus avant impôts des 20 % des salariés étaient constitués à hauteur des deux tiers d’aides sociales contre un tiers en 1970, selon le Congressional Budget Office. En France, la progression est identique. Les dépenses de santé par habitant au sein de l’OCDE devraient augmenter de 3 % par an pour atteindre 10 % du PIB d’ici 2030, contre 9 % en 2018. La demande intérieure s’oriente de plus en plus vers des services à faible productivité (santé, services à la personne, tourisme). Le partage des revenus s’effectue de plus en plus en faveur des inactifs ce qui induit des charges accrues sur les actifs.
Plusieurs études soulignent que les pays enregistrant un faible niveau d’inégalités sont performants sur le plan de la croissance. A contrario, les Etats-Unis où des années 1980 à 2010, les inégalités se sont creusées, ont connu un taux de croissance supérieure à celle de l’Europe. La succession de crises a conduit les gouvernements à multiplier les mesures de soutien et de protection des populations.
Les effets de la crise sanitaire comme ceux liés à la guerre en Ukraine ont été mutualisés à plus de 75 % au sein des pays européens grâce à l’intervention de la puissance publique. Les Etats se portent de plus en plus garants des entreprises. Ainsi, en France, l’Etat avec les banques est le payeur en dernier ressort en cas d’incapacité des entreprises à rembourser les prêts souscrits durant l’épidémie de covid (PGE).
Aux Etats-Unis, le gouvernement fédéral a décidé de garantir également des volumes croissants de prêts (prêts étudiants, prêts entreprises, prêts aux collectivités locales). L’Etat garantirait ainsi un passif d’une valeur supérieure à six fois le PIB américain. L’Allemagne, qui était classée parmi les Etats les plus vertueux, a décidé d’allouer des crédits pour compenser la hausse des prix à hauteur de 7 % du PIB.
Le vieillissement, un facteur important pour expliquer le déclin de la croissance
Le vieillissement des populations se traduit par une stagnation et une diminution de la population active, par une diffusion plus lente du progrès technique et par un partage de la création de la richesse en faveur des inactifs. La demande est en outre orientée vers les services domestiques qui génèrent peu ou pas de gains de productivité. L’état d’esprit des gouvernements et des populations contre la croissance n’est pas sans lien avec le vieillissement de ces dernières. Elles entendent avant tout conserver leur niveau de vie et ne pas subir des changements qui pourraient le remettre en cause. Les mesures qui sont censées générer des avantages à moyen et long terme ne leur apparaissent pas opportunes car elles n’en sont pas les bénéficiaires immédiats. Les préoccupations de court terme ont tendance à l’emporter.
Les gouvernements sont par ailleurs tétanisés face à la réédition d’une crise financière. La progression sans précédent en période de paix de l’endettement réduit leurs marges de manœuvre. La dette privée au sein de l’OCDE a depuis l’an 2000 augmenté de 30 points de PIB, la dette publique de plus de 25 points. Les facteurs de stagnation sont connus, en revanche les moyens de surmonter les blocages et les conservatismes au sein des différents ne le sont pas.
La fragmentation des sociétés rend toute réforme difficile. Sans changement de direction, l’économie mondiale est menacée d’une réelle régression. Celle-ci est-elle inévitable et faudra-t-il attendre la disparition des baby-boomers pour passer à une nouvelle étape de l’histoire économique ? Faut-il une nouvelle crise financière permettant d’effacer tout ou partie des dettes ? Certains l’imaginent. D’autres estiment que la croissance potentielle pourrait être accrue en renforçant la concurrence, en luttant contre les situations de monopoles ou d’oligopoles, en réduisant les coûts de logement exorbitants, en réduisant les contraintes qui pèsent sur la construction, en facilitant l’accueil de migrants pour remplacer les travailleurs qui partent à la retraite, et en augmentant la formation.
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