Au bal du 14 juillet, un géant nain et un petit grand

Au bal du 14 juillet, un géant nain et un petit grand

246 soldats indiens et quelques millions de dieux ont défilé sur les Champs Elysées pour le 14 juillet. Il y eut même des Rafales indiens dans le ciel de Paris. 

Sébastien Lecornu a gentiment répondu sur la présence de Narendra Modi, le chef du gouvernement indien, dénoncée par certaines ONG : « Je comprends tous les débats. Il représente un pays d’un milliard quatre cents millions d’habitants. Si on regarde ce qu’est la France, heureusement que le jour de la fête nationale, nous avons le représentant de ce grand pays à nos côtés. »

Narendra Modi a fait condamner son principal opposant, l’héritier de la dynastie Nehru-Gandhi, il attise les conflits religieux, exalte le nationalisme hindou : la démocratie indienne n’est pas le pays de la non-violence. L’indépendance de l’Inde et du Pakistan s’est traduite, dans l’abandon britannique, par des déplacements de dizaines de millions de personnes, des massacres entre hindous et musulmans entre 700.000 et 1 million de morts. Modi rêverait de transformer l’Inde en Hindoustan. Difficile, dans un pays où se côtoient des centaines de religions et près de 20.000 langues.

« Qu’est-ce qui est le plus difficile ? Faire un État juste avec des moyens justes. » 

Mais qui peut contester que l’Inde soit une démocratie, avec une presse libre, de vrais partis, des élections claires ? Qu’elle est même un des rares pays « décolonisés » à avoir conservé des principes démocratiques, à conserver l’idée d’un état de droit ?

Nehru, après l’indépendance : « Qu’est-ce qui est le plus difficile ? Faire un État juste avec des moyens justes. » Qui peut donner des leçons de gouvernance à un dirigeant élu et réélu d’un pays pauvre d’un milliard quatre cents millions d’habitants ? Il y a un siècle, les juges britanniques condamnaient Gandhi à six ans de prison pour « non-coopération » … 

Qui peut contester que l’Inde ne menace personne ? Ni le Pakistan voisin, ni le Bengladesh, ni Ceylan, ni la Chine ? Qu’elle ne manipule aucune Corée du nord, aucune Biélorussie ? Qu’elle est une puissance nucléaire et vient d’envoyer, ce 14 juillet, une fusée sur la lune ?

La France : moins de 1 % du marché indien, trois à quatre fois moins que l’Allemagne.  

Jacques Chirac, il y a 25 ans, avait imaginé un partenariat franco-indien. Il s’exerce, hélas, plutôt dans le domaine militaire, avec des manœuvres conjointes, des ventes d’armes, des échanges de technologies, que dans le domaine économique. La France n’est le 19ème client de l’Inde et son 29ème fournisseur : moins de 1 % du marché indien, trois à quatre fois moins que l’Allemagne. 

Grâce au partenariat stratégique, l’Inde a choisi les Rafales, les sous-marins Scorpène, elle s’éloigne peu à peu de la Russie, son ami traditionnel, qui assure encore 50% de son armement. L’Inde craint la Chine autant que la Chine la craint, et se méfie des États-Unis, même si Biden vient de recevoir Modi pour une visite d’Etat et lui propose… une coopération militaire.  

Géant démographique, bientôt économique, l’Inde reste un nain politique, trop pauvre pour avoir de l’influence sur les affaires du monde sinon par alliance et ricochet : 5ème pour le PIB mondial, mais 127ème pour le revenu par habitant. L’éducation est à la dérive, la santé aussi. Les inégalités sont incommensurables. L’ambition de Modi : vaincre la pauvreté, on devrait dire la misère. 

Est-ce possible ? C’est presque certain. L’Inde a déjà fait des miracles : la Révolution verte. La dernière famine remonte à 1943 : 3 millions de morts. Amartya Sen lie la disparition de la famine à l’avènement de la démocratie : les dirigeants savent que le peuple compte. Narendi Modi vante ses succès : « Nous avons construit plus de 40 millions de maisons pour les pauvres et 110 millions de toilettes. Nous avons ouvert des comptes en banque à 500 millions de personnes et accordé 400 millions de microcrédits. Nous avons fourni du gaz à 90 millions de foyers, et 500 millions de personnes bénéficient désormais d’une assurance santé gratuite. Nous voulons faire de l’Inde un leader dans l’intelligence artificielle, dans l’informatique quantique, les semi-conducteurs, l’espace, et la défense. »

« La France et l’Inde sont les deux principales puissances riveraines dans l’Océan indien. »

Du partenariat stratégique avec la France jusqu’à une alliance, le pas est-il franchissable ? La France est le seul pays européen membre du Conseil de sécurité, la seule puissance nucléaire européenne, le seul pays à avoir une marine et un porte-avion, le seul à avoir une présence dans le Pacifique et dans l’Océan indien. Petite parmi les « grands », elle n’a plus aucune, et ne peut en avoir, d’ambition impérialiste. La France a des ingénieurs, des écoles, un système de santé, des atouts dans le nucléaire, l’agroalimentaire, l’énergie, la construction d’infrastructures, la gestion des déchets, l’eau, etc. « La France et l’Inde sont les deux principales puissances riveraines dans l’Océan indien. Notre partenariat est donc vital pour la paix et la stabilité dans la région indo-pacifique que nous voulons libre, ouverte, « inclusive », sûre et stable. Nous voyons la France comme l’un de nos principaux partenaires mondiaux. »

Illustration sur l’accord de coopération militaire franco-indien signé le 10 mars 2018 ©CNAM

L’Inde se veut une puissance d’équilibre : « En parlant au nom du Sud, nous ne cherchons pas à nous placer dans une relation conflictuelle avec le Nord. Au contraire, nous recherchons l’unité. L’alternative serait un monde à la dérive, plus fragmenté, un monde opposant « l’Ouest au reste », un monde qui abandonnerait le terrain à ceux qui veulent un autre ordre. »

Il ajoute, à l’attention de ses amis russes : « Tous les pays ont l’obligation de respecter la souveraineté et l’intégrité territoriale des autres pays, de se conformer au droit international et de respecter la charte des Nations unies. »

La convergence de deux modesties peut faire une belle alliance. A condition que l’économie suive.

Il y a eu le défilé militaire, parce que le temps est à la peur et aux armes. Il faut anticiper les défilés plus pacifiques, ceux de l’éducation, de l’intelligence, de la connaissance, du commerce, de l’innovation. L’Inde a beaucoup à nous apprendre. Lecornu a raison : c’est une chance de la recevoir. Et c’est un beau message porté au monde, à travers toutes les ambassades et toutes les célébrations du 14 juillet, que le premier pays du monde par sa population, première démocratie du monde, quoiqu’on dise, a choisi la France pour fêter avec elle sa fête nationale. 

Devant quelques milliers de ses compatriotes, Modi a vanté l’amitié avec la France, a célébré le pays de la « Liberté, de l’égalité, de la fraternité ». Poutine, Erdogan, Ben Salman, Maduro, Xi Jinping, Aliev, Tebboune, et tant d’autres auraient-ils pu le faire ?

Si le dirigeant d’un pays qui compte un sixième des habitants de la planète vante notre devise à ses compatriotes et au monde entier, notamment aux pays du sud, essayons d’être à la hauteur. 

La France est un petit parmi les grands, l’Inde (qui devrait être au Conseil de sécurité), un nain parmi les puissances. Ce n’est pas le nombre qui compte, sinon Chinois et Indiens auraient colonisé l’Europe et l’Amérique, et jamais l’Inde n’aurait été britannique, mais la convergence de deux modesties peut faire une belle alliance. A condition que l’économie suive.

Laurent Dominati
Laurent Dominati

Laurent Dominati 

a. Ambassadeur de France

a. Député de Paris

Président de la société éditrice du site Lesfrancais.press

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