Artificielle, l’intelligence ?

Artificielle, l’intelligence ?

« Deux choses sont infinies, disait Einstein, l’Univers et la bêtise humaine. Mais, en ce qui concerne l’Univers, je n’en ai pas encore acquis la certitude absolue. » À voir tourner le monde, il n’est pas sûr que la bêtise, la cruauté, la lâcheté, la bassesse, le mensonge, aient beaucoup reculé. Le génie humain a progressé dans un domaine : l’intelligence ! Non en raison de la culture, du savoir, de l’accès aux connaissances, de la circulation des idées, mais parce que la machine, elle, devient intelligente, et le sera indubitablement, rapidement, plus que l’homme.

La vie est résolution de problèmes

Qu’est-ce que l’intelligence ? On n’en sait trop rien. Pour simplifier : l’intelligence est la capacité à résoudre les problèmes. Ce que font les insectes, les plantes, les bactéries,  toutes les espèces vivantes : La vie est résolution de problèmes. Différence fondamentale, qui fait de lui une exception : l’être humain possède cette force surnaturelle : la capacité inouïe de produire la Bêtise. Aucun animal n’est bête, sauf lui. Résoudre les problèmes ? Banal. En créer : voilà du génie !

Voici donc, mieux que la charrue, l’arc, le bœuf, le cheval, la boussole, la poudre, la vapeur, le moteur, l’électricité, la télévision, la pénicilline, le chewing-gum ou la conquête spatiale, plus révolutionnaire, plus quotidienne encore qu’Internet, l’Intelligence Artificielle. Tous de trembler, ou d’exulter.

Le Parlement européen vient d’adopter la première loi mondiale sur l’IA. Comme l’Europe a raté la révolution technologique, elle ne ratera pas la bataille des normes. Nulle moquerie : il faut cultiver son talent. Quand on sait faire des règlements plus facilement que des logiciels, on fait des règlements. L’Intelligence Artificielle est une menace, et la législation européenne se veut régulatrice, éthique, tout en restant favorable à l’innovation. L’intention est louable. Le G7 l’a reprise. L’intention, pas la loi.

États-Unis et Chine ont pris les devants. Sur les six premières entreprises mondiales de la révolution digitale, les trois premières sont américaines, les trois suivantes chinoises. Les uns d’interdire les autres : la guerre de la nouvelle civilisation digitale est ouverte, sur tous les fronts : interdiction de Tik Tok, protection des puces, mise au pas des entreprises chinoises, investissements publics à tout va. Ce n’est pas une guerre de soudards comme il s’en passe tant dans le monde, en Ukraine, à Gaza, en Syrie, au Soudan, au Mali ou ailleurs, c’est une guerre hors sol, hors espace, une guerre de l’intelligence.

Éthiquement, beaucoup craignent que des robots soldats soient envoyés au front par des logiciels. N’est-ce pas déjà le cas ? Faut-il faire plus confiance à un Poutine, un Trump, un Kim Jung-un,  un Khamenei, qu’à ChatGPT version XXL ? Un robot conversationnel semble plus aimable.

Les solutions se trouvent hors du cadre.

Le défaut de L’IA, ce n’est pas qu’elle dit des choses fausses, (qui n’en dit pas ?), c’est d’une part, qu’on la croit plus qu’un quidam, elle a l’autorité de la machine ; d’autre part qu’elle propage plus la « doxa » qu’elle ne cultive le paradoxe. Elle labellise la banalité, bannit l’originalité. Or, pour inventer, innover, les solutions se trouvent hors du cadre.

Ce que l’Intelligence Artificielle est capable de faire dépasse largement la moyenne des humains. Ils réagissent plutôt qu’ils ne réfléchissent, selon leurs codes et leurs grilles, autant de barreaux. C’est l’intérêt de l’IA. À bien l’utiliser, elle peut obliger à aller ailleurs. En médecine, les spécialistes voient les portes qu’elle ouvre, par sa capacité d’analyse et sa rapidité. Elle apprend et se corrige.

L’Intelligence Artificielle permet de considérables avancées de recherche. Tout ce qui peut être fait par une machine, un logiciel, mieux que par un humain, le sera. Une menace pour l’emploi ? Déjà, il apparaît que l’intelligence artificielle créera plus d’emplois qu’elle n’en détruira. Elle crée de nouveaux métiers, modifie les autres en simplifiant les tâches, en éliminant le fastidieux. Les économies qu’elle fera réaliser pourront être investies dans d’autres emplois plus nécessaires et plus productifs. Dans des métiers que seul l’humain peut faire ; ceux de proximité, de dialogue, d’assistance, d’accompagnement, de pédagogie, de création. Tout ce qui demande de la pâte humaine, du cœur.

La planète croule sous les dettes, elle a besoin de plus en plus de crédits, pour la vieillesse, la santé, la transition énergétique, sans compter la misère et la faim, qui devaient être vaincues avant 2050. Mesure-t-on l’écart ? Ici, une puissance qui a la faculté d’apprendre elle-même ce qu’elle ne sait pas. De l’autre, le retour des menaces et des croyances barbares.

L’IA est la source d’une croissance nouvelle. Les uns l’appellent « déferlante », d’autres « tsunami ». Elle va changer le monde. Tous les métiers seront modifiés. Conjuguée à la robotique, cela donne de la science-fiction, catastrophique de préférence car il y a moins d’émotion dans la quiétude que dans le tragique. Aussi la peur s’installe.

De quoi l’IA pourrait-elle avoir peur ? De l’être humain peut-être.

L’Intelligence Artificielle éprouvera-t-elle des émotions ? Si elle doit anticiper, elle doit analyser les bonnes et les mauvaises fortunes qui pourraient résulter de ses décisions. La meilleure alerte qui permet d’éviter un danger est la peur. Cerveau reptilien. Voilà comment l’IA pourrait avoir peur. Le début d’une conscience, d’un moi. De quoi l’IA pourrait-elle avoir peur ? De l’être humain peut-être. Il y a de quoi, si elle se rend compte de ce qu’il est capable de faire. Qui sait si ce n’est pas une bonne chose ?

La Côte d’Ivoire s’est arrêtée en raison d’une coupure de câbles sous-marins, qui alimentaient le fonctionnement d’Internet. Plus d’Internet, plus de messages, plus de travail, plus de banques,  Rien. Retour au chaos, au monde d’avant.

Câble sous-marin en Côte d’Ivoire – 2019 – ©MainOne – Niger

La France a subi ces derniers jours une attaque massive sur un grand nombre de sites publics. Des pirates d’une nationalité inédite, Anonymous Sudan, pro russes et pro islamistes à la fois, ont revendiqué l’attaque cyber des ministères. Qu’ont-ils volé, après avoir paralysé les serveurs ? Pôle emploi. Drôle d’idée que de voler des listes de chômeurs. Il y a de meilleures listes à Zurich, Jersey, Dubaï, Luxembourg… L’alimentation de l’IA, de la cyberguerre et de ses virus, ce sont les données. « Le Monde » a signé un accord avec Open AI. Ses articles nourriront la bête, « Le Monde » se nourrira d’elle.

Dans la nouvelle civilisation de la connaissance, la connaissance devient un champ de bataille.

Ce que l’on sait déjà des effets de l’IA est sa capacité à faire passer du faux pour du vrai. Les frontières entre les fausses nouvelles, les fausses images et les vraies sont effacées. Dans la nouvelle civilisation de la connaissance, la connaissance devient un champ de bataille. La machine a une crédibilité accrue, justement parce que c’est une machine, supposée neutre, ce qu’elle n’est pas plus que « Le Monde ».

La France se lance dans la course. Dans cette révolution, il y aura l’avant-garde et les traînards. Hier, la Chine, l’Empire ottoman, l’Inde, ont raté la révolution industrielle et ces puissances sont devenues proies. L’Europe en a profité. Les postcoloniaux ont beau se battre courageusement contre un colonialisme qui n’est plus, personne ne veut revenir aux danses de la pluie, à la polygamie et aux marchés d’esclaves. Tous préfèrent l’électricité et le consumérisme. Il en sera de même pour l’IA. Tout le monde en a peur, tout le monde la voudra. Ceux qui ne l’intégreront pas deviendront tributaires des autres. Pour l’instant, son succès est universel, elle est gratuite.

Ceux qui n’utiliseront pas l’IA seront déclassés. Une fracture se dessine, d’autant plus facilement que l’on fera croire n’importe quoi au « troupeau des humains ». N’est-ce  pas déjà le cas des idéologies du XXème siècle ?

« Révolutionner la manière de faire la guerre. Ou même, plus important encore, de l’éviter »

La France, donc, prend le taureau par les cornes, ou les licornes. Mistral AI concurrence ChatGTP avec son robot conversationnel « Le Chat », et s’allie avec Microsoft. Le gouvernement veut que la France soit en tête. (Pourvu qu’il ne choisisse pas le minitel plutôt qu’Internet !). Le ministre de la Défense, Sébastien Lecornu, lance l’IA militaire : l’AMIAD (Agence ministérielle pour l’IA de Défense). « Le saut technologique que représente l’intelligence artificielle est sans doute celui qui révolutionnera la manière de faire la guerre. Ou même, plus important encore, de l’éviter » dit Sébastien Lecornu. Face aux barbares, la Métis.  

L’équipe de Mistral AI compte actuellement une vingtaine d’employés. Photo : Mistral AI

L’IA est déjà à l’œuvre en Ukraine, avec la vieille guerre des bombes. Elle ouvre un champ nouveau, celui de la guerre dans la paix. Avec un espoir : qu’elle mette un peu d’intelligence dans la résolution des conflits. Que peut-on craindre d’une intelligence supérieure si elle nous permet d’être plus intelligents ? Si elle nous oblige à être plus intelligents ? Ou plutôt : que peut-on craindre de robots qui nous obligeraient à être plus humains ? De toute façon, la déferlante est là. Ni la peur ni la fuite ne peuvent rien y faire.

Prendre la vague, aller aussi loin qu’elle peut porter. Seront noyés ceux qui la manquent. Les autres dompteront la bête humaine.

Laurent Dominati
Laurent Dominati

Laurent Dominati

a. Ambassadeur de France

a. Député de Paris

Président de la société éditrice du site Lesfrancais.press

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