Apple et la Chine, un divorce tout relatif 

<strong>Apple et la Chine, un divorce tout relatif </strong>

Apple entend réduire sa dépendance à la Chine. Avec plusieurs partenaires, la firme américaine a décidé d’investir dans la région de Bangalore en Inde. Foxconn, un fabricant taïwanais de microprocesseurs, Pegatron, une autre entreprise technologique taïwanaise, l’entreprise indienne Tata, ont installé de nouvelles usines. Apple, leur principal client, porte le nom de code « the fruit company ».

Apple fabrique plus de 90 % de ses produits en Chine 

Jusqu’à ces dernières années, l’essor d’Apple était concomitant à l’ouverture au commerce international de la Chine. En vingt ans, le chiffre d’affaires de la « pomme » a été multiplié par 70, le cours de l’action par 600. La capitalisation dépasse 2 400 milliards de dollars. Apple fabrique plus de 90 % de ses produits en Chine et collabore avec plus de 150 sous-traitants chinois. Tim Cook, l’actuel directeur général d’Apple, a longtemps occupé la fonction de chef des opérations en Chine. Il a organisé les chaînes d’approvisionnement et a noué des relations avec les autorités politiques locales. 

Au nom des bonnes relations avec le gouvernement chinois, Apple a obéi à ses exigences en supprimant des applications jugées contraires aux intérêts de la Chine et en fournissant les données des utilisateurs chinois aux autorités. Apple a également fait le pari des consommateurs chinois qui, certaines années, ont contribué jusqu’à un quart de ses revenus. Ce modèle est remis en cause par la montée du protectionnisme, par la progression des coûts salariaux et par la politique du zéro covid. Le changement de cap pour Apple est emblématique de l’évolution de l’économie mondiale. 

L’élection de Donald Trump en 2016 a créé une rupture dans les relations commerciales entre les États-Unis et la Chine. L’instauration d’embargos, l’interdiction de transferts de technologies, ont provoqué une remise en cause des schémas des entreprises de la Net économie. Depuis 2019, pour cause de covid mais aussi pour des raisons d’ordre politique, Tim Cook ne s’est plus rendu en Chine. En revanche, il a multiplié les déplacements au Vietnam et dans d’autres pays d’Asie. En 2024, Apple devrait ouvrir son premier magasin physique en Inde avec l’appui du Premier ministre, Narendra Modi, qui dispose d’un IPhone doré. D’ici 2025, le poids de la Chine dans la fabrication des produits américains sera en forte baisse par rapport au niveau atteint en 2019.

Pays alternatifs : Inde et Vietnam 

Depuis 2017, Apple a répertorié des fournisseurs alternatifs en Inde et au Vietnam. Leur nombre est passé de 18 à 37 lors des deux dernières années. Depuis le mois de septembre 2022, Apple produit une partie de ses iPhone 14 en Inde. Auparavant, seuls les anciens modèles étaient fabriqués dans ce pays. Prochainement, Apple a prévu la production de ses ordinateurs portables MacBook au Vietnam. Près de la moitié de ses écouteurs AirPod sont déjà assemblés dans ce pays. D’ici 2025, les deux tiers le seront. 

Si aujourd’hui moins de 5 % des produits d’Apple sont fabriqués hors de Chine, d’ici 2025, ce chiffre sera de 25 %. La firme américaine entend ne plus être dépendante d’un seul pays. La politique du zéro covid pratiquée en Chine met en danger permanent l’approvisionnement en produits. Elle amène des retards dans la production, retards dont les coûts peuvent dépasser plusieurs centaines de milliards de dollars. L’arrêt début novembre de l’usine de Shanghai, avec interdiction du personnel d’en sortir, a conforté les décisions d’Apple de trouver de nouveaux pays de production.

Employés en Inde sur la nouvelle ligne de production. © Karen Dias/Bloomberg/AFP

Les salaires moyens en Chine ont doublé en dix ans

L’achat de produits d’Apple est en partie impulsif et obéit aux règles de la mode. Les clients doivent pouvoir accéder rapidement aux nouveautés, faute de quoi ils peuvent opter pour une autre marque. L’autre motivation d’Apple dans la diversification de ses zones d’approvisionnement et de production est la maîtrise des coûts. Les salaires moyens en Chine ont doublé au cours de la dernière décennie. En 2020, un ouvrier chinois de l’industrie gagnait généralement 530 dollars par mois, soit environ deux fois plus qu’un ouvrier basé en Inde ou au Vietnam. 

Pendant des années, les infrastructures défectueuses de l’Inde ont pénalisé son économie et dissuadé les entreprises étrangères de s’y installer. Les efforts entrepris depuis une décennie et le niveau relativement peu élevé des salaires, changent la donne. Par ailleurs, les autorités indiennes qui autrefois étaient méfiantes à l’égard des investisseurs étrangers sont désormais plus accueillantes et multiplient les subventions et les aides fiscales. 

Le Vietnam propose également des dégrèvements fiscaux. Ce pays a signé dernièrement un accord de libre-échange avec l’Union européenne pour favoriser l’implantation d’entreprises. Le marché chinois pâlit après avoir été un eldorado pour toute entreprise occidentale, au début des années 2010. Les mesures protectionnistes rendent plus difficiles les ventes et la moindre progression du pouvoir d’achat de la population se fait ressentir. En 2015, la Chine représentait 25 % des ventes annuelles d’Apple, soit plus que l’Europe. Ce taux est depuis revenu à 19 %. 

Tensions géopolitiques et protectionnistes

Xi Jinping, le président chinois, aurait déclaré qu’il espérait que le poids des ventes d’Apple continue à baisser dans son pays. Il demande à ses concitoyens de privilégier les achats de smartphones de marques chinoises. 

Les tensions géopolitiques expliquent aussi la volonté de la Chine de trouver de nouveaux pays de production. Au-delà des mesures protectionnistes, les autorités chinoises demandent de manière de plus en plus insistante que les biens achetés à Taïwan soient étiquetés « Made in Chinese Taipei », ce que les Taïwanais refusent. 

Le gouvernement américain a de son côté interdit à Apple de se fournir auprès de certains fabricants chinois de microprocesseurs. Apple a été ainsi obligée de suspendre un contrat avec YMTC, une société chinoise de microprocesseurs, accusée d’être subventionnée par l’État chinois. 

Le déplacement de la production hors de Chine ne réduit pas totalement la dépendance vis à vis de ce pays. Les fabricants chinois tels que Luxshare, Goertek et Wingtech sont parties prenantes dans la construction des nouvelles unités de production au Vietnam et ailleurs. Ironie de l’histoire, si la production made in China baisse, celle effectuée par des entreprises chinoises augmente. L’apparition de sociétés indiennes ou vietnamiennes capables de fournir des composants de qualité à faible prix nécessitera du temps.

Auteur/Autrice

  • Philippe Crevel est un spécialiste des questions macroéconomiques. Fondateur de la société d’études et de stratégies économiques, Lorello Ecodata, il dirige, par ailleurs, le Cercle de l’Epargne qui est un centre d’études et d’information consacré à l’épargne et à la retraite en plus d'être notre spécialiste économie.

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