Ah, que la guerre est quotidienne !

Ah, que la guerre est quotidienne !

Qui ne préfère la tranquillité de la paix à la guerre ? Pas grand monde. L’appétit du conflit l’emporte même sur l’intérêt. La mécanique de l’extension du pouvoir manipule les passions. Partout on cherche des armes. Dans la vie quotidienne, le diable de la guerre s’insinue. La guerre se veut totale : brutale ou discrète.

En une seule journée, enveloppant Taïwan, une soixantaine d’avions militaires chinois, effrayants dragons, dessinaient un avenir monstrueux. À des milliers de kilomètres de là, à la frontière polonaise, les premières manœuvres militaires sino-biélorusses faisaient écho à un exercice naval sino-russe dans le Pacifique, clin d’œil à l’Otan. Les Européens investissent en masse dans les puces électroniques, essentiellement produites à Taïwan. Casser la dépendance des composants électroniques à coups de milliards de subventions, ainsi en ont aussi décidé Chinois et Américains. Le monde, s’il reste en paix, souffrira de surproduction. S’il est en guerre, la gigantesque panne mondiale provoquée par Microsoft, clouant les avions au sol, interrompant la City de Londres, les hôpitaux aux Pays-Bas apparaîtra comme un petit exercice de guerre digitale.

Étrangement, ces quasi-monopoles sont aussi des garde-fous contre la volonté de puissance.

Casser les dépendances ? Tâche impossible. Combien de composants, matières premières, entreprises stratégiques ? L’Allemagne a interdit Huaweï. Quand les fournisseurs sont concentrés au niveau mondial : qui peut se passer d’eux ? Étrangement, ces quasi-monopoles sont aussi des garde-fous contre la volonté de puissance, le prix à payer pour la paix. Les Russes et les Israéliens ont épuisé leur stock de munitions, qui contrôle les outils d’une guerre menée par l’IA ?

L’OTAN a serré les rangs. Elle s’est engagée dans un soutien pérenne à l’Ukraine. Elle a dénoncé la Chine, les entreprises chinoises qui collaborent à l’effort de guerre russe sont sanctionnées. Les Européens augmentent leurs dépenses militaires vers les 2% du PIB. Les Polonais visent 5%. L’Allemagne envisage un retour de la conscription. La France patrouille en Méditerranée, en Roumanie, dans les Etats baltes. Tout est en ordre. Sauf les Etats-Unis.

Trump, plus que favori, pourrait obtenir une majorité historique au Congrès. Il a promis de mettre fin à la guerre en Ukraine. Et à celle de Gaza.

Tout est en ordre. Sauf les Etats-Unis.

En coupant les vivres ? Il s’était retiré de Syrie et d’Afghanistan, il développe un discours protectionniste, conflictuel avec la Chine, distant vis-à-vis de l’Europe. Que fera-t-il ? Personne ne sait. Zelenski essaie d’y croire, il propose une prochaine conférence de paix, avec les Russes, qui déclinent. Ils attendent le retrait américain. Ils sacrifient leur économie et leurs soldats dans des attaques massives. Ils emprisonnent des otages étrangers, comme le font les Iraniens. Ce sont les deux seuls Etats qui agissent ainsi.  

La stratégie russe est globale. Ils n’ont jamais imaginé que l’Ukraine résisterait, que les Européens s’uniraient, que les États-Unis s’impliqueraient. S’ils mènent des attaques tous azimuts, ils croient au temps long. Saper la volonté de l’adversaire, tenir. Au-delà des bombes, guerre d’influence, d’information, de pressions. Le troisième groupe du Parlement européen, « l’Europe des patriotes » est pro russe. C’est le groupe de Bardella et d’Orban : la Hongrie risque la pénurie d’électricité maintenant que l’Ukraine a coupé l’oléoduc de Lukoïl.

Soit, malgré Trump, malgré le parti russe, les Européens arrivent à soutenir l’Ukraine, soit ils n’y parviennent pas, et la Russie gagne. L’Europe sera le riche ventre mou du monde, objet de toutes les convoitises.

Que pèse l’ONU ? Les organisations internationales ont échoué.

Autre ventre mou, mais vide : l’Afrique. La guerre gagne du terrain. Les Français partis, les Américains s’en vont, laissant la place aux mercenaires, aux juntes, aux massacres. Au Soudan, en Éthiopie, au Burkina Fasso, au Mali, les morts se multiplient dans l’indifférence. Au Rwanda, Kagame réélu avec 99% des voix, a été reconnu par l’ONU comme responsable de la guerre en RDC. Mais que pèse l’ONU ?

Les organisations internationales ont échoué. L’Unesco a raté internet, et l’intelligence artificielle. Le Conseil de l’Europe est aphone. Les Nations-Unies atones. L’OMC en panne. Les institutions de la paix sont méprisées, inadaptées.

Tandis que la Cour Internationale de Justice condamne la présence israélienne dans les territoires occupés, la Knesset vote le rejet d’un Etat palestinien, par une large majorité, malgré Washington. Israël méprise ainsi l’Onu qui l’a créé. Le choix de la guerre, choix du désespoir pour tous. Il est loin le temps où les Américains mettaient fin à l’opération franco-britannique à Suez, d’un coup de téléphone. Gaza détruit, le Hamas a gagné, tout espoir est niais, toute horreur légitime.

Les Houthis du Yémen envoient un missile frapper Tel Aviv, (2000km), attaquent les navires (sauf les Chinois), le trafic sur le Canal de Suez décroît, asséchant les ressources de l’Égypte.  Et l’Arabie menace de vendre la dette française pour aider les Russes, ses associés dans l’oligopole du pétrole.

Voilà pourquoi Trump promet de forer davantage et de financer l’Amérique, par une énergie à bas prix. Voilà sa recette pour la paix : Faire la guerre avec le dollar et le pétrole. Les Chinois, du coup, se ruent sur l’or et l’énergie solaire.

Eux aussi ont une vision stratégique à très long terme. En mer de Chine, ils provoquent le Japon, l’Indonésie, la Corée, activent la Corée du Nord quand il le faut. Le PCC reste un parti communiste, fer de lance de la lutte mondiale contre la domination occidentale. Ils savent qu’ils ne sont pas encore prêts. Ils visent les deux ventres mous : l’Europe et l’Afrique. L’Afrique pour monnayer la guerre. L’Europe pour monnayer la paix.

Ce n’est pas la guerre mondiale. Le gendarme du monde s’est retiré. La rhétorique du conflit se déchaîne, dans les pays occidentaux aussi, le populisme fleurit attisant les fractures.

Personne n’envisage un gouvernement capable de sérieux budgétaire.

Dans la douce France, alors que le gouverneur de la Banque de France alerte sur les comptes publics, personne n’envisage, dans les deux ans qui viennent, un gouvernement capable de sérieux budgétaire.

Personne ne semble se rendre compte que la France est attaquée. Elle est une des premières cibles, parce qu’elle a une armée, et de mauvaises finances. Maillon faible.

Dans cet état entre guerre et paix, l’adversaire vise de vraies prises et avec de vraies bombes, ou du poison lent. Il veut gagner en désarmant, en divisant. Chine, Russie, Iran, Djihad, autant de visions globales du monde qui se conçoivent comme des régimes de combat.

Tout le monde attend Trump. Il se pourrait qu’il se passe quelque chose avant, dans la fin de l’ère Biden. Président amoindri avec, en Europe, l’Allemagne et la France, deux gouvernements affaiblis.

Ce qui garantit la paix mondiale, ce ne sont pas les proclamations de « souveraineté nationale ». C’est l’interdépendance, les mille enchevêtrements de la révolution mondiale en cours qui provoquent à la fois raidissements, refus, rejets, peurs et liens multiples. Chacun veut se protéger, accuse l’autre, renforce ses frontières, achète des armes, prend des positions de défense et d’intransigeance « nationales ». Et puis ? Et puis il y a les interdépendances toujours plus nombreuses. La Chine veut rendre l’Europe, la Russie et l’Afrique dépendante de ses produits, de ses investissements. Et veut s’affranchir de ses dépendances. Mais l’Europe aussi. Les États-Unis aussi. Tout cela est en fait impossible. Aucune économie avancée, seule, n’est en mesure de fabriquer des puces de pointe. Celles de la vie quotidienne, celles des armes. Taïwan est protégé par « un bouclier de silicium » : une attaque chinoise ruinerait le monde, et la Chine.

Il n’y a plus qu’une seule économie monde, qui oblige à vivre ensemble. Pourvu qu’elle tienne.

Une soixantaine de navires espions rodent en mer du Nord et en Baltique, scrutent câbles et pipelines sur les fonds marins. Qui est prêt à les débrancher ? Il n’y a plus qu’une seule économie monde, qui oblige à vivre ensemble. Pourvu qu’elle tienne, qu’elle tisse encore des milliards de fils invisibles, pour que l’envie du conflit ne déborde pas trop. Car une crise économique, sans coopération, laisserait le champ aux conflits.

Chacun s’arme. Est-on sûr de choisir les bonnes armes dans le cadre d’une guerre globale ? D’un conflit plus idéologique qu’on ne croit ?

Laurent Dominati

a. Ambassadeur de France

a. Député de Paris

Président de la société éditrice du site Lesfrancais.press

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