« Le gouvernement, même pour le meilleur, n’est qu’un mal nécessaire ; pour le pire, c’est un mal insupportable. » (Thomas Paine, 1776). Le nouveau gouvernement compte deux députés élus par les Français de l’étranger, Anne Genetet et Marc Ferracci. Une excellente idée, non parce que les Français de l’étranger seront mieux écoutés, mais parce que les réponses aux questions des Français de l’Hexagone se trouvent à l’étranger. Le meilleur système éducatif : Corée, Finlande, Norvège ? La meilleure médecine : Suisse, Pays bas, Japon ? La meilleure sécurité sociale : Pays-Bas, Allemagne, Danemark ? La meilleure police : Japon, Islande, Finlande ? Le meilleur Fisc ? La France ! Ce qui ne signifie pas la meilleure gestion des finances publiques : plus il y a d’impôts, plus il y a de déficits, moins il y a de pouvoir d’achat. Tout est dans tout.
Le meilleur Fisc ? La France !
Avant d’être formé, le nouveau gouvernement se demande donc s’il ne va pas augmenter les impôts. Marc Ferracci et Anne Genetet pourront expliquer qu’il n’existe pas de pays dans lequel le pouvoir d’achat a cru avec des augmentations d’impôts, qu’aucun n’a réduit sa dette grâce à la pression fiscale. La mécanique du pouvoir d’achat est celle de la création de richesse, de la croissance, elle suit celles de l’investissement et de l’innovation. Banal. C’est de l’étranger que vient ce rappel, par Mario Draghi, sauveur de l’euro et de l’Italie. Le rapport Draghi alerte sur le décrochage de l’Europe par rapport aux États-Unis et à la Chine dans le domaine des nouvelles technologies, clés de la productivité et de la richesse. Ce décrochage sape le niveau de vie et le modèle social.
Que le gouvernement soit humble ! Il évitera les bêtises.
Ce décrochage est beaucoup celui de la France. La France a un nouveau gouvernement, déjà un peu dépassé dans le vaste maelström du monde. Sans majorité, il ne fera rien, ce qui n’est pas forcément un mal. Tous annoncent sa chute, font un procès en légitimité, comme si une arithmétique miraculeuse aurait permis à d’autres de gouverner. La coalition minoritaire du plus gros tiers forme le gouvernement ? Ni vivats ni scandale. Comme il faut bien un gouvernement, celui du plus petit dénominateur commun n’est pas le pire. Après tout, un gouvernement modeste fera moins de bêtise qu’un superbe qui se croirait vainqueur. Que le gouvernement soit humble ! Il évitera les bêtises. Qu’il suive la ligne de crête européenne, sur l’Ukraine comme sur le reste, voire qu’il l’anime. En politique, la sagesse c’est l’Alliance.
Trois mois après les élections européennes, la Commission est au complet. Exit les barons comme Breton, Timmermans ou Vestager, Ursula reste. Est-ce une bonne idée, rien n’est moins sûr. Tout pouvoir entraîne un phénomène de Cour qui enferme. La Commission vit en vase clos, n’a pas de langage propre, sinon un Anglais technocratique qui ne trouve grâce dans aucun pub. Là est la marque de toute technocratie : le langage dévitalisé interdit toute pensée. L’administration n’est pas la vie, heureusement.
Abus de pouvoir.
Ursula pense diriger la Commission, certains la croient. Elle ne dirige rien, parce que l’Europe n’a pas de direction. Qui peut et doit diriger l’Europe ? Peste soit des envieux, l’alliance franco-allemande. Inutile de crier à l’égalité entre pays, si les différences entre petits et grands pays n’existaient pas, alors Belgique, Irlande, Slovénie et autres ne seraient pas surreprésentés. Égalité en dignité, pas en volonté.
La Construction européenne est un mouvement, non une architecture. Elle est l’alliance permanente entre la France et l’Allemagne, qui doit, comme toute alliance, vivre, s’émouvoir. Depuis mille ans, les héritiers de la Francie occidentale affrontent ceux de la Francie orientale, avec pour enjeu la Lotharingie, des Pays-Bas au Pô, sanglants terrains de jeux. Les victimes collatérales de ces guerres ont applaudi à l’alliance franco-allemande : Pays-Bas, Belgique Luxembourg, Italie, voilà l’Europe des Six. Moteur.
Soit, l’Europe a changé. Ils sont 27 autour de la table. Et puis ? Ils sont bien 193 à l’ONU, 32 à l’Otan. Égaux ? Celui qui fait semblant de le croire est un menteur, injuste par surcroît. Parce que l’alliance franco-allemande a été un succès, l’Europe agit comme un aimant ; que l’attraction cesse, les divergences l’emportent aussitôt. Tant pis alors pour la Pologne, la Hongrie et les Baltes.
Sans un soldat, l’Europe s’est élargie aux pays de l’ex-bloc soviétique. Les sociétés européennes sont pacifiées, jusqu’en Biélorussie. L’Europe est aujourd’hui le continent le moins violent de l’histoire de la planète.
À regarder tous les indices, toutes les enquêtes, – éducation, suicide, violence, droit de minorités, justice, corruption, couverture médicale, retraites, inégalités, droit des femmes, homicides – aucun continent n’approche les performances européennes. Avec des succès économiques spectaculaires comme en témoignent l’Irlande, hier misérable, la Pologne, la Slovénie, l’Espagne, le Portugal, la Grèce…
Sans impulsion franco-allemande, le marché intérieur, la monnaie commune, les standards juridiques, ces succès auraient-ils été possibles ? Évidemment non.
Abus de faiblesse.
La réussite européenne vient de ce que France et Allemagne ont des intérêts divergents, que personne n’arbitre leurs différents, à charge pour eux de trouver un accord, que tous acceptent. L’Europe est un système de contre-pouvoirs permanents, avec un leadership politique. Telle fut la mécanique. Certains pensent que c’est du passé. La Commission imagine qu’elle peut diriger l’Europe, profitant de la faiblesse de la coalition allemande, de sa panne économique, méprisant une France en défaut budgétaire, avec un président déboussolé. Aussi Ursula von der Leyen éjecta Breton, avec la complicité du Président qui l’avait désigné, et nomme les autres commissaires à sa guise. Abus de faiblesse.
Or la Commission ne peut faire que ce que font les administrations, Sécurité sociale ou Banque mondiale : des plans, de la dette, du règlement. Ce faisant, elle manque la cible, avec, par exemple, des règles administratives de marché énergétique qui deviennent erratiques, des politiques industrielles qui font la part belle aux Chinois. En Ukraine ou en Méditerranée, que valent les engagements de l’UE sans la France et l’Allemagne ?
L’Europe, ne peut avoir de vision politique sans les pays qui en ont une. Il n’y en a que deux, toujours les mêmes, France et Allemagne. L’Europe n’a pu mener aucune politique en Afrique, au Moyen Orient, en Asie centrale, en Méditerranée, sans parler du Pacifique ou de l’Amérique latine. Du coup par coup, sans plus. L’euro est une construction politique, mais il ne fait pas plus de politique que le franc suisse.
Absence de pouvoir.
Draghi souligne le danger d’un décrochage économique. Il y a, maintenant, le danger d’un découplage politique. Les États-Unis peuvent s’éloigner de l’Europe. Que faire, alors, de la Russie ? Que faire de l’alliance anti européenne qui se dessine en Méditerranée et en Afrique ? Que faire face aux cinquièmes colonnes qui se font jour dans tous les pays européens ? La Commission, sans légitimité, concentrée en sa seule présidente peut-elle y faire face ? Aujourd’hui les gouvernements français et allemands sont faibles. Leur faiblesse n’est une bonne nouvelle que pour les adversaires de l’Europe. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle ils les laissent survivre.
L’Europe est en danger, non seulement extérieur, mais interne. La première responsabilité de la Commission n’est pas de courir après un pouvoir illusoire mais de renforcer le couple franco-allemand. Sans lui, les forces de dislocation l’emporteront. Le rôle de la Commission est de sécuriser la pierre d’angle de l’Europe.
À quoi sert un gouvernement ? À éviter le pire en contrariant les pentes faciles. Le principal attrait est celui du vide. Qu’Ursula prenne garde : L’abus de faiblesse n’est plus seulement un abus de pouvoir mais un abus d’ivresse du pouvoir, illusoire.
Laurent Dominati
a. Ambassadeur de France
a. Député de Paris
Président de la société éditrice du site Lesfrancais.press et de France Pay
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