À Berlin, les enjeux sont décisifs pour les relations entre l’UE et la Turquie

À Berlin, les enjeux sont décisifs pour les relations entre l’UE et la Turquie

L’exacerbation des tensions concernant les frontières maritimes et les réserves de gaz naturel entre la Turquie et le reste de l’UE, en particulier la Grèce et la France, met à rude épreuve la politique étrangère fragmentée et sinueuse du bloc. 

 

Les ministres européens des Affaires étrangères devraient s’entretenir sur les relations bilatérales avec Ankara au cours d’une réunion informelle organisée sous la présidence allemande de l’UE à Berlin. Toutes les questions en suspens concernant la Turquie seront ainsi traitées ces 27 et 28 août. Il va sans dire que les relations qu’entretiennent la Turquie avec l’UE entrent dans une phase décisive. 

Bien que le bloc ait dénoncé, à maintes reprises, des violations perpétrées par Ankara dans l’espace aérien et maritime grec ainsi que sur le territoire chypriote, il n’a pris aucune mesure phare jusqu’à présent afin de condamner ces agissements par crainte de s’éloigner d’un voisin stratégique important. 

Toutefois, pour Josep Borrell, haut représentant de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité (HR/VP), il est primordial qu’Ankara et Athènes poursuivent leurs efforts afin de pallier leurs différences. 

Néanmoins, les tensions se sont aggravées lorsque la Turquie a déployé son vaisseau sismique, Oruç Reis, et sa marine de guerre dans les eaux contestées de la Grèce lundi 10 août. Athènes avait alors envoyé sa propre flotte pour surveiller les navires turcs. 

Le président turc Recep Tayyip Erdogan, qui a longtemps eu maille à partir avec Bruxelles en raison des motifs de son pays pour rejoindre l’UE, a campé sur ses positions. 

« Nous voulons que tout le monde se rendent compte que la patience, la détermination, les ressources et la bravoure de la Turquie ne seront plus mis à épreuve. Si nous affirmer que nous allons lancer des actions, nous les lancerons, et nous en payerons les prix », a ajouté le président turc Recep Tayyip Erdogan. 

De son côté, la Grèce doublera l’étendue de ses eaux territoriales avec l’Italie à 12 milles nautiques, a annoncé le Premier ministre grec Kyrios Mitsotakis ce mercredi (26 août). Il n’exclut pas la possibilité de prendre une mesure semblable à l’est, soit avec la Turquie. Pour Ankara, une telle décision constituerait un acte de guerre. 

L’Italie et la Grèce ont signé un accord sur leurs frontières maritimes en juin, mettant ainsi en place une zone économique exclusive (ZEE) et résolvant un litige de longue date sur les droits de pêche dans la mer Ionienne. De plus, le parlement grec débat actuellement au sujet d’accord maritime avec l’Égypte — un accord qui enfreint le droit international, selon la Turquie. Ainsi, les législateurs à Athènes devraient voter sur ces accords le 27 août. 

L’accord gréco-égyptien annulerait le mémorandum de compréhension contesté entre la Turquie et la Libye visant à démarquer les zones maritimes de la région. L’entente turco-libyenne délaisse l’île de Crète et aux yeux de la Grèce, Ankara souhaite établir un précédent juridique par l’entremise d’un mémorandum en violation avec le droit international. 

En Libye, la Turquie contourne sans arrêt l’embargo sur les armes que l’UE tente d’imposer par le biais de l’opération Sophia. Pour Ankara, ces mesures coercitives privilégient l’armée nationale libyenne à Tobruk menée par le général Khalifa Haftar. 

En outre, M. Erdogan a exprimé son soutien à Fayez el-Sarraj, chef du Conseil présidentiel du Gouvernement d’union nationale (GNA), basé à Tripoli et reconnu par l’ONU. 

Le navire européen souhaite que l’OTAN lance des actions en la matière, mais le secrétaire générale Jens Stoltenberg a laissé entendre qu’Ankara bloquait les démarches envisagées. 

Actions et sanctions 

Josep Borrell présentera une boîte à outils d’options afin d’aborder la situation critique en Turquie. Selon une source diplomatique proche du dossier, ces options devraient être « plus larges que des sanctions ». En revanche, aucun détail à ce jour n’a été révélé sur ce sujet, pas même aux États membres. 

L’Allemagne tentera une nouvelle fois d’inciter la Turquie et la Grèce au dialogue, à condition qu’Ankara cesse toute activité illégale en Méditerranée orientale dans les plus brefs délais. Elle réitérera son soutien à l’égard de la Grèce et de Chypre. 

Athènes souhaite que des sanctions sectorielles soient imposées sur les banques turques, ce qui paralyserait une économie déjà chancelante. Toutefois, d’autres pays se montrent plus durs, comme l’Autriche, et appellent à un retrait total de la candidature turque à l’adhésion à l’UE, une action dont les répercussions géopolitiques seraient bien plus profondes.

Ainsi, Ankara se rapprocherait de Moscou et Erdogan compterait alors un autre « ennemi extérieur » supplémentaire qu’il pourrait utiliser pour asseoir une nouvelle fois son pouvoir à l’échelle nationale. 

L’objectif de M. Borrell au cours des réunions à Berlin sera d’élaborer un plan concret qui témoignera d’une approche européenne unifiée et évitera une nouvelle entrave dans la politique étrangère. 

Questionné sur le choix d’options ou de sanctions, le représentant européen a répondu que « l’unanimité allait de pair avec l’ambition […] Il incombe à M. Borrell de satisfaire les intérêts des États membres dans leur ensemble ». 

Bisbilles diplomatiques 

Athènes encadre actuellement des exercices de guerre avec la France, l’Italie et Chypre dans le sud de la Crète pour une durée de trois jours, tandis que la Turquie a effectué des forages en présence de la flotte américaine, et ce, dans la même zone. Voilà qui devrait mettre le feu aux poudres. 

Ces manœuvres militaires ont eu lieu le lendemain de l’offre de médiation faite par le ministre allemand des Affaires étrangères, Heiko Maas, lors d’un voyage à Athènes et Ankara.

La ministre allemande de la Défense, Annegret Kramp-Karrenbauer, a déclaré, à l’issue de ses entretiens avec ses homologues européens à Berlin mercredi (26 août), que « nous devions trouver un point de départ pour nous permettre d’entrer à nouveau dans des discussions et des négociations politiques ».

« Les manœuvres qui ont eu lieu aujourd’hui ne sont certainement pas utiles », a ajouté La ministre allemande de la Défense, Annegret Kramp-Karrenbauer.

En revanche, un représentant de l’UE a indiqué que l’exercice était « complémentaire » à l’incitation au dialogue renforcée par l’Allemagne et Josep Borrell. 

« L’effort diplomatique en faveur du dialogue et l’exercice naval ont tous deux un objectif : établir la stabilité dans la région et enclencher un apaisement des tensions », a soutenu la représentante.

Les dirigeants de la France et de l’Allemagne, Emmanuel Macron et Angela Merkel, ont récemment admis qu’ils n’étaient pas toujours d’accord sur la voie à suivre, mais que leurs objectifs étaient les mêmes. Lors d’une réunion en France la semaine dernière, les deux leaders se sont engagés à « préserver » la souveraineté de l’UE en Méditerranée orientale.

Il semblerait que Berlin et M. Borrell étaient tous deux au courant de l’initiative de l’exercice, ce qui signifie qu’ils utilisent les canaux diplomatiques pour pousser la Turquie vers le dialogue, tandis que d’autres, menés par la France, souhaitent rappeler à Ankara que la Grèce n’est pas sans allié. 

La France, devenue la plus grande puissance militaire de l’UE après le Brexit, a souligné ce soutien, la ministre des Armées Florence Parly ayant déclaré que la région « ne devrait pas être un terrain de jeu pour les ambitions de certains — c’est un atout partagé ».

Les tensions ont également été fortes ces derniers temps entre la France et la Turquie à propos du conflit en Libye, où Paris et Ankara se sont accusés mutuellement d’ingérence. Dans le dernier incident en Méditerranée orientale — qui fait maintenant l’objet d’une enquête de l’OTAN — Paris affirme que les frégates turques ont été « extrêmement agressives » envers un navire de la marine française participant à une mission de l’OTAN dans la région.

 L’Europe s’est mise en situation de dépendance avec la Turquie 

L’Allemagne, pour sa part, s’efforce d’être un « intermédiaire impartial » pendant sa présidence du Conseil de l’UE, bien qu’elle ait des intérêts économiques importants en Turquie.

Mais Berlin tient particulièrement à éviter que la crise migratoire de 2015-2016 ne se reproduise. M. Erdogan avait alors menacé d’ouvrir les frontières de la Turquie aux migrants, afin de forcer Bruxelles à faire des concessions. En février, il a permis à des réfugiés de passer en Grèce, entraînant ainsi des conflits à la frontière. 

La crise migratoire de 2015 n’a pu être résolue qu’un an plus tard, après la signature d’un accord historique avec l’UE par Ankara visant à endiguer le flux migratoire en échange d’incitations financières. 

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