Paris, Lyon, Marseille, mais aussi Nantes, Toulouse ou Clermont-Ferrand : ce jeudi 18 septembre 2025, la France a vécu une nouvelle journée de grèves et de manifestations massives, dans la continuité du mouvement entamé le 10 septembre. Avec plus de 1,5 million de manifestants selon les syndicats (580 000 pour le ministère de l’Intérieur), cette mobilisation marque un le rapport de force entre le nouveau gouvernement mené par Sébastien Lecornu et les organisations syndicales, déterminées à faire reculer les réformes sur les retraites, le pouvoir d’achat et les services publics. À l’appel de la CGT, FO, l’UNSA, la FSU et Solidaires, les cortèges ont défilé dans plus de 200 villes, souvent sous haute tension, avec des affrontements violents à Paris, Lyon et Bordeaux.
Pour les Français de l’étranger, les conséquences sont immédiates : aéroports paralysés, trains annulés, et même des écoles du réseau AEFE partiellement touchées par la grève. Alors que la presse internationale scrute cette « crise à la française », les syndicats appellent déjà à une nouvelle journée d’action le 25 septembre, tandis que l’exécutif maintient sa ligne, malgré un dialogue social au point mort. Retour sur une journée qui pourrait bien marquer un tournant dans l’histoire sociale récente.
Des métropoles aux villes moyennes, un bilan contrasté
Plus de 500.000 participants ont manifesté dans toute la France, ce jeudi 18 septembre, a annoncé le ministère de l’Intérieur. Le syndicat CGT, lui, évoque une mobilisation de « plus d’un million de personnes ». Dans l’ensemble, les différentes manifestations se sont déroulées dans le calme. Mais, des heurts entre des manifestants et les forces de l’ordre ont tout de même eu lieu dans certaines villes de France, comme Rennes, Lyon ou encore Paris.
Les leaders de la CFDT, Marylise Léon, et de la CGT, Sophie Binet, ont annoncé que l’intersyndicale se réunirait, ce vendredi 19 septembre, pour décider de la suite du mouvement. « Il y aura une expression de l’intersyndicale demain [vendredi, NDLR] et donc l’idée, c’est bien de mettre le Premier ministre face à ses responsabilités« , a déclaré Marylise Léon, dans RTL Soir.
Lors d’un point presse, ce jeudi soir, Bruno Retailleau s’est félicité que « la France n’a pas été bloquée » malgré « 7.300 individus radicalisés » présents dans les cortèges. Le ministre de l’Intérieur démissionnaire a annoncé que 309 personnes ont été arrêtées dans toute la France. Parmi elles, 134 ont été placées en garde à vue.
Le Premier ministre Sébastien Lecornu a estimé, ce jeudi soir, au terme d’une deuxième journée de mobilisation à l’appel de tous les syndicats, que les « revendications » des manifestants pour plus de justice sociale et fiscale étaient « au cœur des consultations » qu’il a engagées avec les forces politiques et syndicales depuis sa nomination. Désireux de « poursuivre le dialogue », il ajoute qu’il recevra « à nouveau les forces syndicales dans les jours qui viennent ».
Enfin, le nouveau locataire de Matignon dit condamner « avec la plus grande sévérité » les « exactions » contre les forces de l’ordre ». « La violence n’est pas un moyen d’action politique légitime, et personne ne doit l’excuser. Il ne peut y avoir de liberté de manifester sans le respect des lois », a ajouté le chef du gouvernement.
Lyon et Marseille : des mobilisations massives, mais moins violentes
À Lyon, 80 000 personnes (35 000 pour la préfecture) ont défilé entre Bellecour et la Part-Dieu, avec un mot d’ordre clair : « Macron, démission ! ». La CFDT Rhône a souligné une « colère populaire qui monte », notamment chez les agents hospitaliers et les enseignants.
Tandis qu’à Marseille, 60 000 manifestants (22 000 pour la police) ont convergé vers la préfecture, avec une forte présence des dockers du port et des infirmiers de l’AP-HM. Ici, pas de violences, mais une ambiance déterminée.
Les villes moyennes entrent dans la danse
Contrairement aux mouvements précédents, les villes de taille moyenne ont été très mobilisées :
- Nantes : 30 000 manifestants (12 000 pour la préfecture), avec un blocage partiel de l’autoroute A83 par des agriculteurs et des routiers.
- Toulouse : 25 000 personnes (10 000 pour la police), avec une grève totale des tramways.
- Clermont-Ferrand : 15 000 manifestants (5 000 pour la préfecture), une première depuis 2010.
- Strasbourg : 20 000 personnes, avec une forte participation des Allemands frontaliers (syndicats DGB en soutien).
Transports : aéroports et gares dans le chaos
Évidemment, les conséquences pour les expatriés furent nombreuses. Des centaines de Français se sont retrouvés bloqués, comme en témoigne, à l’AFP, Paul, 32 ans, en partance pour Montréal : « Mon vol a été annulé à la dernière minute. Air France me propose un remplacement… dans 5 jours. Comment je fais pour le travail ? »
Si les avions ont dû rester au sol ou être très en retard, c’est que les contrôleurs aériens (SNCTA) furent partie prenante avec 20% d’absentéisme, contre 10% habituellement. Et les bagagistes (CGT) ont aussi apporté leur contribution à cette pagaille, provoquant des retards accumulés sur les correspondances. Sur rail aussi, c’était compliqué. Thalys et Eurostar ont vu leurs lignes très perturbées, avec des annulations vers Bruxelles et Londres.
L’AEFE touchée ? partiellement
Lyon, New York, Dubai… Ce jeudi 18 septembre, le mouvement social a dépassé les frontières de l’Hexagone. Le réseau des 566 établissements de l’AEFE (Agence pour l’enseignement français à l’étranger), qui scolarise 390 000 élèves dans 138 pays, a été partiellement paralysé par la grève. Professeurs, personnels administratifs et même parents d’élèves se sont mobilisés, créant des perturbations inédites pour les 2,5 millions de Français établis hors de France.
»On paie très cher pour que nos enfants aient un enseignement à la française. Aujourd’hui, on nous dit que les profs sont en grève pour défendre leur retraite… mais qui défend nos intérêts à nous, parents ? Personne. Le consulat nous renvoie vers l’AEFE, qui nous renvoie vers les établissements. C’est l’omerta. »
Clara, 34 ans, mère de deux enfants scolarisés au lycée français de Bruxelles
D’après les premiers bilans syndicaux, entre 20 % et 40 % des enseignants ont fait grève dans les lycées français les plus emblématiques, avec des disparités fortes selon les continents. Quelques exemples communiqués par nos confrères et les syndicats sont centralisés dans le tableau ci-dessous.
Ville | Etablissement | Taux de grès (enseignants) | Perturbation | Source |
---|---|---|---|---|
Londres | Lycée Charles de Gaulle | 42 % | Cours annulés en lycée, primaire maintenu | Le Petit Journal Londres |
New York | Lycée français de New York | 25 % | Retards et classes fusionnées | French Morning |
Madrid | Lycée français Molière | 38 % | Grève totale en seconde et terminale | El País |
Dubai | Lycée français international | 18 % | Assemblée générale des profs | The National |
Casablanca | Lycée Lyautey | 35 % | Manifestation devant l’ambassade | TelQuel |
Montréal | Collège Stanislas | 12 % | Mouvement symbolique | Radio-Canada |
Singapour | Lycée français de Singapour | 10 % | Pas de perturbation majeure | Strait Times |
Deux raisons expliquent ce sursaut militant dans un réseau souvent perçu comme « à l’abri » des tensions sociales. En premier, comme en France, c’est le financement des retraites qui préoccupe. Les enseignants expatriés cotisent au régime général français et seront donc impactés par le report à 64 ans. Pour exemple, une enseignante de 58 ans au lycée de Tokyo risque de devoir travailler jusqu’à 66 ans pour toucher une retraite complète.
« Beaucoup d’entre nous ont commencé tard leur carrière à l’étranger. À 64 ans, qui aura l’énergie d’enseigner sous 40°C à Dubai ou dans des classes surchargées à New York ? »
Marc Lefèvre, professeur de physique à Abu Dhabi (interviewé par Français du monde).
Deuxième sujet tendu, le gel des salaires qui a été mis en place depuis 2023. Alors que le coût de la vie explose dans des villes comme Genève (+12 % en 2 ans) ou San Francisco (+9 %), les grilles salariales de l’AEFE n’ont pas été revalorisées.
« C’est historique. D’habitude, les grèves en métropole n’ont que peu d’écho ici. Là, les collègues ont répondu présents. Les réformes sur les retraites et les salaires nous concernent aussi : beaucoup d’entre nous cotisent pour la retraite française et subissons la même précarité que nos collègues de métropole »
Cécile Morvan, professeure d’histoire au lycée français de Londres et déléguée syndicale Snuipp-FSU.
Des perturbations concrètes pour les familles expatriées
Pour les parents d’élèves, souvent des cadres en mobilité professionnelle, ces grèves tombent au plus mauvais moment. À Londres, des cours ont été annulés pour les lycéens, obligeant certains parents à poser un jour de congé ou à recourir à des gardes d’enfants d’urgence. À New York, des classes ont été fusionnées, avec jusqu’à 35 élèves par salle.
Pour autant, la direction de l’AEFE, pourtant désavouée il y a quelques semaines par son ministre de tutelle, ne semble pas prendre conscience de la crise. Dans un communiqué laconique publié jeudi après-midi, l’agence reconnaît « des perturbations localisées » mais assure que « la continuité pédagogique est assurée dans l’immense majorité des établissements ». Une réponse qui a ulcéré les syndicats : « Ils minimisent la situation. À Madrid, des élèves de terminale ont été renvoyés chez eux faute de profs. C’est ça, leur ‘continuité pédagogique’ ? », ironise Isabelle Gonzalez, secrétaire académique du Snuipp-FSU Espagne.
Mais derrière les motifs économiques, se cache aussi une colère plus large contre la politique menée par l’Agence. Les motifs de discordes ne manquent pas comme la suppression de postes, pour rappel, l’AEFE a perdu 200 enseignants depuis 2023 en raison de restrictions budgétaires et ce alors que Emmanuel Macron s’était engagé à doubler le nombre d’élèves dans le réseau. Car entre la politique internationale menée par la France ces dernières années et le cout prohibitif, les Français de l’étranger ne se ruent pas au portillon, d’ailleurs les étrangers non plus. Ce qui conduit forcément à des fermetures de classes comme à Beyrouth ou Sao Paulo. Ailleurs, des sections bilingues sont menacées de suppression faute de moyens. Enfin le sujet majeur qui préoccupe les syndicats c’est la précarisation des contractuels. Dans certains lycées, jusqu’à 30 % des profs sont en CDD, sans sécurité de l’emploi.
D’ailleurs, Xavier North, ancien directeur de l’AEFE, est lucide. Pour lui, comme il le déclare dans Le Monde, cette grève est un signe avant-coureur : « Le réseau a longtemps été un sanctuaire. Si la colère monte là-bas, c’est que le gouvernement a sous-estimé l’ampleur de la crise sociale. Les expatriés ne sont plus des citoyens de seconde zone. »
Et demain ? Encore des grèves ?
Eh, oui, le réseau AEFE ne sera plus un sanctuaire. Les syndicats ont déjà annoncé une journée de mobilisation dans tous les établissements AEFE, avec des rassemblements devant les ambassades, le 25 septembre. En Octobre, c’est la préparation d’une grève des corrections du baccalauréat (comme en 2018), qui pourrait paralyser les examens pour les terminales.
Que ce soit dans l’hexagone ou à l’étranger, La France de 2025 est à un carrefour. Une chose est sûre : les Français, où qu’ils soient, ne restent pas indifférents.
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L'AFP est, avec l'Associated Press et Reuters, une des trois agences de presse qui se partagent un quasi-monopole de l'information dans le monde. Elles ont en commun, à la différence de son prédécesseur Havas, de ne pas avoir d'actionnaire mais un conseil d'administration composé majoritairement d'éditeurs de presse.
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Directeur de publication et rédacteur en chef du site lesfrancais.press
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