Ce 14 juin 2025, les États-Unis célèbrent en grande pompe les 250 ans de l’armée américaine. Une parade militaire d’une ampleur inédite est annoncée dans la capitale fédérale, mêlant hommage historique, démonstration de force et patriotisme affiché. Mais derrière ce spectacle organisé le jour-même de l’anniversaire de Donald Trump, se cache une source d’inspiration : le défilé français du 14 juillet.
En réaction à ce qu’un partie des Américains perçoit comme une mise en scène autoritaire du pouvoir présidentiel, une riposte progressiste est prévue à travers tout le pays, sous le mot d’ordre : In America, we don’t do kings.
Un 14 juillet dans la tête de Donald Trump
Troupes, blindés, hélicoptères et fanfares seront mobilisés pour une démonstration militaire spectaculaire, accompagnée de festivités grand public, le tout sous haute surveillance. Le choix de cette parade marque un tournant symbolique : celui d’une Amérique qui affirme sa puissance en s’inspirant d’une tradition résolument française. Car derrière cette mise en scène américaine se profile l’ombre d’un autre 14… celui de juillet, à Paris. Pour en saisir l’inspiration, il faut revenir au 14 juillet 2017, lorsque Donald Trump fut l’invité d’honneur du défilé militaire sur les Champs-Élysées.
À l’époque, les deux chefs d’État incarnent une nouvelle génération de dirigeants fraîchement élus : Emmanuel Macron est président depuis à peine deux mois, Donald Trump depuis sept. Leurs styles et leurs opinions diffèrent, mais ce 14 juillet les réunit dans une mise en scène millimétrée du pouvoir militaire et diplomatique français. Donald Trump, visiblement impressionné par le cérémonial et la puissance symbolique du défilé parisien, n’avait pas caché son enthousiasme. L’idée d’un Bastille Day à l’américaine avait ainsi germé dans son esprit. Il avait d’ailleurs déclaré : « On pourrait faire quelque chose comme ça le 4 juillet à Washington, sur Pennsylvania Avenue. Il va falloir qu’on essaie de faire encore mieux. »
La 1ère division de l’armée américaine, l’armée de l’air américaine, la marine américaine et les marines américaines défilent sur les Champs-Élysées, avec l’Arc de Triomphe en arrière-plan, à Paris lors d’une répétition du défilé militaire annuel de la fête nationale le 10 juillet 2017. / PHOTO AFP / Martin BUREAU
Il avait bien tenté d’organiser son défilé militaire en 2018, mais l’événement n’avait jamais vu le jour en raison des coûts faramineux qu’il impliquait. Il lui aura donc fallu attendre huit ans pour voir son ambition enfin se réaliser. Le défilé militaire américain prévu ce 14 juin 2025 à Washington D.C. rassemblera environ 6600 soldats, accompagnés de 150 véhicules blindés, 50 hélicoptères, sept fanfares et plusieurs milliers de civils. En comparaison, le défilé du 14 juillet 2024 à Paris a mobilisé environ 4500 militaires, dont 4000 à pied, avec 43 avions, 22 hélicoptères et 200 chevaux de la Garde républicaine.
Selon un article d’AP News paru le 12 juin 2025, environ 6 Américains sur 10 estiment que la parade de samedi n’est « pas une bonne utilisation » de l’argent public, y compris la grande majorité — 78 % — de ceux qui n’approuvent ni ne désapprouvent la parade dans l’ensemble, selon un sondage du Center for Public Affairs Research de l’Associated Press-NORC. L’enquête révèle également qu’environ 4 adultes américains sur 10 approuvent « plutôt » ou « fortement » la parade, tandis qu’environ 3 sur 10 la désapprouvent « plutôt » ou « fortement ». Environ 3 sur 10 ne l’approuvent ni ne la désapprouvent.
Soft power contre démonstration de force américaine
Est-ce que la ressemblance avec le défilé français et américain se limite à l’esthétique ? Le défilé militaire du 14 juillet, en France, n’a rien d’un simple étalage de force. Il s’inscrit dans une tradition profondément républicaine commémorant à la fois la prise de la Bastille (1789) et la Fête de la Fédération (1790). Ainsi, il ne glorifie pas la violence révolutionnaire, mais renforce une vision unitaire et pacifiée de la Nation. Ce rituel d’État rend hommage à une armée professionnelle, placée sous l’autorité du pouvoir civil, et incarne l’unité nationale. Aussi solennel que stratégique, il est un instrument de soft power. Une vitrine bien huilée de l’histoire française, de sa diplomatie, et de son modèle républicain.
À l’inverse, les progressistes voient dans la parade américaine une démonstration de force assumée, orchestrée par un président soucieux d’imposer son autorité sur la scène intérieure et internationale. Ainsi, à leur initiative, une contre-manifestation d’ampleur est prévue dans quelque 150 villes du pays, autour du slogan : In America, we don’t do kings. Un mot d’ordre devenu viral, qui fustige le supposé culte de la personnalité autour de Donald Trump et la militarisation de l’espace public, avec les événements de Los Angeles le week-end du 8 juin dernier. L’ironie saute aux yeux : alors que le 14 juillet symbolise la fin de la monarchie absolue, c’est un président accusé de dérives autoritaires par le camp Démocrate qui, de l’autre côté de l’Atlantique, orchestre une parade calquée sur la fête nationale française.
« L’idée de ce défilé, n’est pas choquante en soi, explique Christina Rebuffet-Broadus, consultante américaine en interculturel, installée à Grenoble depuis vingt ans. Ce qui me dérange, c’est le contexte. Trump veut le présenter comme un hommage à l’armée, en s’inspirant de la France. Mais ses ambitions quasi monarchiques, donnent une impression autoritaire, presque nord-coréenne ou russe. » Et d’ajouter : « Cette démonstration militaire porte une forte charge symbolique. Ce n’est pas un simple hommage à l’armée : le message qu’elle envoie n’est pas: voyez la force de notre armée, mais voyez le pouvoir que je détiens en tant que président. »
Du côté de la Floride, Alain Ouelhadj, ex-délégué Reconquête des Français de l’étranger, et citoyen franco-américain explique : « Je ne pense pas qu’il cherche à faire une démonstration de force contre son propre peuple. Une démonstration de ce qu’est l’armée américaine, oui, certainement, mais pas dans une logique de menace intérieure. Je crois que c’est quelqu’un de profondément attaché à son pays. Après, évidemment, il y a des oppositions. Le clivage entre Démocrates et Républicains est toujours très présent. Les Démocrates sont assez discrets en ce moment, s’opposer au défilé est sans doute une façon pour eux de rebondir politiquement, tout simplement. » Et de rajouter : « Je crois que tous les grands pays dotés d’une armée importante, comme les États-Unis, ont leur propre manière de célébrer leur force militaire, à travers des défilés ou d’autres formes de commémorations. On le voit en Russie, en Chine, en France ou encore au Royaume-Uni. Ce n’est donc pas une idée si étrange en soi, d’autant que les États-Unis restent la première puissance mondiale et la première puissance militaire. J’y vois un symbole patriotique fort. Les Américains sont très attachés à leur armée, aux vétérans. Ils sont extrêmement patriotiques, et l’armée est profondément respectée ici. »
" Le message qu’elle envoie n’est pas: voyez la force de notre armée, mais voyez le pouvoir que je détiens en tant que président. "
Patriotisme américain ou Trumpiste ?
En tant qu’Américaine, Christina Rebuffet-Broadus admet la place centrale du patriotisme dans son pays. « Mettre à l’honneur les forces armées ne me surprend pas du tout. Le patriotisme est très fort aux États-Unis, c’est presque instinctif. C’est quelque chose que je ne retrouve pas en France. Un jour, je repartais aux États-Unis et j’attendais à l’aéroport. Devant moi, un militaire en uniforme patientait dans la file. Une famille américaine, visiblement de retour d’une visite en Champagne, portait un panier avec une bouteille. La femme s’est tournée vers le militaire, l’a remercié pour son service pour le pays, puis lui a offert la bouteille. » Mais ce respect quasi réflexe pour l’uniforme contraste, selon elle, avec certaines déclarations de Donald Trump. Aussi, elle explique : « Les Américains ont un lien très fort avec les forces armées. Alors quand en 2020, lors d’une cérémonie au cimetière national d’Arlington, Donald Trump a tenu des propos qualifiant certains militaires américains morts au combat de losers (perdants) et de suckers (idiots), beaucoup ont été profondément choqués. »
Mais pour l’Américaine, la question centrale reste celle de la réaction populaire. Et sur ce point, la France et les États-Unis semblent être deux mondes : « Honnêtement, je pense que les Américains devraient s’inspirer des Français pour manifester, protester, contester. C’est très bien que certains le fassent ici. Je trouve que les Américains sont un peu mous quand il s’agit de défier le pouvoir. En France, on tente de repousser la retraite d’un an ou de supprimer un jour férié, et tout le pays se bloque. Aussi, je comprends que beaucoup de Français s’étonnent que les Américains ne descendent pas dans la rue. » Et de nuancer aussitôt : « Ce n’est pas dans notre culture, ni dans notre ADN. De plus, il y a un autre facteur, beaucoup d’Américains sont préoccupés par le fait de joindre les deux bouts. Manifester est un luxe que tout le monde ne peut pas se permettre. »
Le président américain Donald Trump regarde une manifestation militaire à Fort Bragg, une installation militaire de l’armée américaine, près de Fayetteville, en Caroline du Nord, le 10 juin 2025. (Photo par Brendan SMIALOWSKI / AFP)
14 juin
Alain Ouelhadj revient sur la date symbolique du 14 juin :« Cette coïncidence du jour du défilé avec la date d’anniversaire de Donald Trump est compliquée à interpréter. Le 14 juin est en effet une date marquante dans l’histoire des États-Unis : c’est le 14 juin 1775 qu’a été créée l’US Army. Et d’ailleurs, la France a joué un rôle important à cette époque, il ne faut pas l’oublier. Mais combien de personnes sont nées un 14 juin ? On peut toujours trouver des travers pour apporter des critiques. Moi, j’y vois simplement une commémoration républicaine patriotique. »
Ce samedi 14 juin 2025, pendant que les militaires défileront à Washington D.C. et que des milliers d’Américains manifesteront à travers les États-Unis contre Donald Trump, Christina Rebuffet-Broadus participera avec d’autres expatriés américains de Grenoble à un No Kings Brunch. « Pour le symbole », précise-t-elle.
Alain Ouelhadj sera aussi dans la symbolique : « On verra sûrement, ce jour-là beaucoup de drapeaux américains accrochés aux porches des maisons et aux fenêtres. Je suis citoyen américain, je sortirai aussi le mien et je serai derrière mon écran pour regarder le défilé. »
Parallèlement, en Caroline du Nord, Sylvain Perret, entrepreneur franco-américain, prendra lui part à la mobilisation In America, We Don’t Do Kings. « La question de manifester ou non ce samedi pour la fameuse manifestation In America We Don’t Do Kings, je me la suis posée longtemps. Le thème même de cette manifestation est clair : il ne se focalise pas sur un seul problème — que ce soit l’immigration, l’avortement, les réductions d’emplois de service public, l’intervention dans l’éducation ou les relations Musk / Trump, même si cela a pas mal évolué ces derniers jours. Non, cette manifestation est très large et elle sanctionne avant tout un mode de gouvernement qui est, très clairement, celui du passage en force pour tout, du non-respect des règles, du non-respect des usages, du non-respect des décisions judiciaires, de la justice elle-même. Malheureusement, les exemples sont quotidiens. C’est la dérive flagrante de ce gouvernement vers l’autoritarisme qui est dénoncée, » explique l’entrepreneur installé aux États-Unis depuis quinze ans.
En écho à cette mobilisation d’ampleur, les Américains Démocrates de France se joindront au mouvement depuis Paris, où un rassemblement No Kings Day est organisé par Democrats Abroad France et Indivisible Paris. À leur manière, eux aussi comptent faire entendre leur voix contre ce qu’ils estiment être une mise en scène militariste orchestrée par Washington. Un mois avant que les Champs-Élysées ne s’emplissent de drapeaux tricolores pour le 14 juillet, c’est Place de la Bastille que résonnera, en anglais, un message venu d’Amérique : We don’t do kings!
Rachel Brunet est une journaliste française installée à New York depuis 13 ans.
Après un début de carrière dans la presse économique à Paris, elle a rejoint la presse francophone aux États-Unis.
Elle défend une information rigoureuse et une analyse exigeante de l’actualité.
Rachel Brunet est une journaliste française installée à New York depuis 13 ans.
Après un début de carrière dans la presse économique à Paris, elle a rejoint la presse francophone aux États-Unis.
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[caption id="attachment_110001" align="alignnone" width="300"] Rachel Brunet[/caption]