« Ziad Khoury : l’enfant du Liban devenu Préfet »

« Ziad Khoury : l’enfant du Liban devenu Préfet »

Un Préfet, grand serviteur de l’Etat, et un homme animé d’un profond idéal républicain. Si l’on devait résumer la personnalité de Ziad Khoury et sa carrière en allant au plus pressé, voilà ce que l’on pourrait dire de lui. Mais ce français né à Beyrouth en 1969 nous offre un visage plus kaléidoscopique à travers un récit passionnant qui relate l’entièreté d’une vie débutée dans les déchirures de la guerre du Liban et poursuivie sur les bancs de Sciences Po Paris et de l’ENA, où ce travailleur infatigable va partir à la conquête des sommets de l’Etat.  A la lecture de « Préfet, Des montagnes du Liban au service de la République » on découvre un jeune homme tendre et studieux doté d’un tempérament solitaire  et romantique, et l’on part ensuite sur les traces  d’un moine soldat qui entre dans la préfectorale comme on rentre dans un ordre laïc. Cette administration prestigieuse née sous l’Empire et qui est une des pierres angulaires de notre République va lui offrir une carrière et même mieux, une mission élevée : Il rappelle que l’Etat n’est pas le seul gardien de l’ordre public mais aussi le garant de la cohésion nationale. Sous sa plume on découvre donc un vif plaidoyer contre tous les séparatismes et les communautarismes. ZIad Khoury qui se désole d’un Liban gangréné justement par ces forces centrifuges, mettra toute son énergie pour assurer les missions hexagonales qui lui sont confiées, celles de Sous-préfet puis celles enfin de Préfet qu’il découvre à travers le Département de la Haute-Saône. Son passage prolongé à Bruxelles, auprès des institutions européennes comme de la représentation diplomatique permanente de la France lui font également appréhender les mécanismes subtils de la machine de la Commission européenne comme le jeu des nations face à la nécessité de l’Union.

Un livre passionnant pour ses réflexions sur la France et son cheminement à travers les coulisses de la préfectorale


Si le livre est savoureux c’est pour le dévoilement des coulisses de la préfectorale, pour ses réflexions sur la France, sa réalité actuelle et son avenir, mais aussi pour des pages passionnantes sur la mission du Préfet au service de la sécurité de l’Euro de football 2016 et pour un découpage en chapitres vifs et instructifs. Le récit se dévore grâce à une plume alerte et inspirée qui donne de la chair à une vie administrative tout sauf bureaucratique.

Les parenthèses narrant une vie amoureuse contrastée et une vie maritale heureuse montrent que le Préfet a su fendre l’armure et nous livrer ses émois d’homme, ses espoirs comme ses déceptions, tout en narrant des pages conclusives autour d’une escapade américaine en solitaire, un moment de réflexion imposé par le caractère écourté de sa dernière mission comme coordinateur de la sécurité des Jeux Olympiques.

Couverture du livre de Ziad Khoury "Préfet - Des montagnes du Liban au service de la République"
Couverture du livre de Ziad Khoury "Préfet - Des montagnes du Liban au service de la République"

Un Préfet à lire, un homme à découvrir, un sens de l’Etat qui honore l’homme et le haut-fonctionnaire.

Echange avec le Préfet Ziad Khoury

Boris Faure : Votre récit, c'est celui d'un haut fonctionnaire, d'un républicain qui a le sens aigu de l'Etat, mais aussi d'un franco-libanais qui a connu enfant la terrible guerre fratricide d'un pays gangréné par le clientélisme et le communautarisme. Camus disait que ses universités étaient tout autant les terrains de foot que les scènes de théâtre, j'ai le sentiment que l'expérience de la guerre puis de l'enracinement en France comptent autant que Sc-Po Paris (où vous rentrez à 17 ans à peine) et l'ENA dans votre formation personnelle. Comment digère-t-on l'expérience douloureuse de la guerre pour en faire une force motrice ?

Ziad Khoury : « Vivre son enfance dans la guerre puis l’exil ne peut pas être neutre. Parce que mes parents nous ont toujours protégé, parce qu’il y a un goût exacerbé de vivre chez les Libanais, je n’avais pas pleinement réalisé jusqu’à récemment l’impact souterrain d’une telle situation. J’en ai pris la mesure avec le recul de l’âge, ce qui a été une des raisons de ce récit. Ma jeunesse m’a conduit à une forme de détermination à vouloir réussir quels que soient les obstacles, à vouloir vivre un rêve français, et à prendre pour cela le chemin du service de l’État, à rebours de mon milieu culturel, afin de servir l’intérêt général et ce qui doit nous rassembler. »

Boris Faure : En tant que stagiaire ENA vous rencontrez Jacques Chaban-Delmas qui vous engagera d'un ton solennel à bien servir la France. Est-ce que jusque-là vous estimez avoir servi pleinement votre pays d'adoption et quels sont vos fiertés et vos regrets ?

« J’ai toujours cherché à conjuguer la diversité de mon parcours professionnel avec la recherche d’un sens et le maintien d’une cohérence, celle du service de la France, qui était justement le message de Jacques Chaban-Delmas. J’ai fait de mon mieux, en travaillant beaucoup. Mais les réussites sont toujours collectives et, comme dans tous les destins, laissent une part au hasard. Je suis fier d’avoir contribué au succès d’évènements aussi complexes que l’EURO 2016 de football, dans le contexte de l’état d’urgence du fait de la menace terroriste, ou les Jeux de 2024, un défi sans précédent. Mais je suis tout aussi fier des projets que j’ai pu faire aboutir dans mes fonctions préfectorales, souvent dans une France rurale mal connue mais très attachante. Les regrets, nous en avons toujours. J’essaie surtout d’éviter les aigreurs. Et il reste du temps. J’ai notamment regretté mon départ trop rapide de mes fonctions de préfet de la Haute-Saône puis de l’Aisne. »

Un livre sur la France et un plaidoyer pour l’intégration

Boris Faure : Dans ce livre il y a d'abord le parcours d'un préfet, un grand serviteur de l'Etat qui ne se ménage pas à la tâche.  Et on voit aussi se dessiner le portrait plus intime d'un homme sentimental en filigrane. Un jeune amoureux passionné puis un époux accompli fier d'une famille nombreuse et d'une vie maritale assumée malgré les contraintes de la vie préfectorale. Vous avez su fendre l'armure dans ce récit et si vous n'hésitez pas à parler de vos amours privés vous êtes plus elliptique sur les déboires de votre dernière affectation à la sécurité des jeux olympiques. Est-ce une forme d'élégance face au sort contraire que ce soit quand cette amoureuse à la beauté flamboyante vous quitte ou quand votre destin professionnel est empêché par des manoeuvres en coulisse ?

Ziad Khoury : Ce livre n’est pas autobiographique, ce serait à la fois prétentieux et contraire à ma vision de l’existence, qui ne réside pas dans la mise en scène. Il s’agit d’abord d’un livre sur la France qui cherche, par un récit personnel concret, d’étayer un plaidoyer pour l’intégration, la méritocratie et le service de l’État, autant de concepts en danger. J’essaie d’illustrer par mes expériences la volonté d’une France forte et rayonnante, d’une République des citoyens, qui peut tout changer. Le livre se lit, dans le strict respect de mon devoir de réserve et de discrétion, comme une narration en « caméra subjective », que j’espère prenante et qui permet de mieux appréhender des réalités méconnues, comme le rôle d’un préfet, le fonctionnement des institutions européennes, l’organisation d’un grand événement sportif ou la gestion de crises. Les quelques aspects non professionnels, que j’évoque surtout au début, ne sont présents que parce qu’ils éclairent des ressorts de ma trajectoire et, pour les histoires de jeunesse, une part de mon acculturation. Enfin, je n’ai pas voulu faire de ce livre, même partiellement, le vecteur d’un quelconque règlement de comptes. Il s’agit d’un récit honnête et positif. J’aime beaucoup cette phrase de Françoise Sagan : « Ce n’est pas parce que la vie n’est pas élégante qu’il faut se conduire comme elle ». Et je dois dire que la vie a été pour moi, jusqu’à présent, plutôt élégante.

Boris Faure : Les pages européennes du récit sont denses à l'image de vos différentes affectations à Bruxelles, auprès du secrétariat général de la Commission ou à la représentation permanente de la France. Vous évoquez ce défi européen de concilier Nation et Union. Comment réussir pleinement ce projet politique élevé ?

Ziad Khoury : « Il est très difficile de répondre dans une interview à une question aussi vaste. Le chapitre qui y est consacré essaie d’apporter des éléments de réflexion sur la base de la description de mes expériences européennes « de l’intérieur ». Il faut d’abord, me semble-t-il, reconnaître que l’avenir de la France dépend d’elle-même, mais passe aussi par l’Union européenne. Il faut ensuite vouloir l’affirmation d’une Europe capable de défendre ses intérêts, sans conduire ses ressortissants à devoir choisir entre Europe et Nation, à devoir renoncer aux éléments essentiels de leur mode de vie. En réalité, l’Union européenne doit être, d’une certaine manière, plus politique, sur ses compétences et ses objectifs, comme plus opérationnelle, avec de grands projets de coopération et des outils pour peser. La France porte ce message, mais le système institutionnel comme l’élargissement de l’Union européenne conduisent à une équation très complexe. »

La cohésion nationale est un combat fondamental et que le communautarisme peut être un poison lent.

Boris Faure : J'ai particulièrement apprécié votre propos contre les séparatismes qui minent la République, ce souci d'à la fois respecter la dignité de chacun, notamment religieuse, mais de ne rien céder sur notre socle de valeurs. Au moment où s'ouvre le procès des complices de l'assassinat de Samuel Paty, comment l'homme de valeurs que vous êtes vit-il les menaces sur la cohésion nationale que représentent les communautarismes agressifs à l'école ?

Ziad Khoury : « Mon expérience personnelle a toujours nourri ma conviction que la cohésion nationale est un combat fondamental et que le communautarisme peut être un poison lent. Notre devoir de citoyen, comme la mission de l’État, est d’abord d’œuvrer en faveur de ce qui unit, sur la base de notre Histoire et de nos valeurs, qui sont aussi émancipatrices. L’éducation nationale y tient un rôle central, et doit être soutenue et respectée, sans transiger en son sein ni autour d’elle. »

Portrait de Ziad Khoury
Portrait de Ziad Khoury

Le football, sans ses excès, est un formidable trait d’union social.

Boris Faure : Il y a des pages plus légères qui évoquent le bonheur de l'amateur de football qui va assister aux matchs à la Beaujoire avec le préfet qui partage comme lui une passion pour le ballon rond. On voit aussi tout votre professionnalisme de passionné qui assume la responsabilité de l'organisation de la sécurité de l'Euro 2016 qui se déroule en France. On sent une immense adrénaline à travers ces lignes. Pouvez-vous nous livrer quelques mots de ce préfet - supporter au sujet de cette expérience qui fait rêver ?

Ziad Khoury : « Le football, sans ses excès, est un formidable trait d’union social. Son organisation relève pour sa part de logiques politiques, économiques et sportives. C’est dans ce contexte que s’est inscrite la préparation de l’EURO 2016, troisième évènement au monde, malheureusement pimentée par une menace terroriste qui s’était nettement accrue en 2015. Il n’est pas si courant que son travail coïncide avec sa passion, dans mon cas celle du sport. J’ai pu vivre cette expérience au plus haut niveau, avec l’organisation des plus grands évènements sportifs, y compris pour d’autres sports que le football comme la coupe du monde de rugby en France en 2023. Voir les coulisses et les acteurs, c’est magique, que l’on soit préfet ou gamin. »

Il existe un aspect sacerdotal dans ce métier

Boris Faure : Vous citez à de nombreuses reprises De Gaulle et ses mémoires de guerre. Il avait su s'appuyer sur un préfet illustre, Jean Moulin, pour structurer la résistance intérieure alors que la France était sous la botte nazi. Le sort des préfets est-il de servir en acceptant tous les sacrifices qu'exigent le service de l'Etat et les circonstances ?

Ziad Khoury : « L’honneur des préfets est de servir l’État et le gouvernement, avec loyauté, avec engagement mais aussi dans le respect de leur mission constitutionnelle et historique. Il existe effectivement un aspect sacerdotal dans ce métier, qui implique des sacrifices élevés mais apporte avant tout beaucoup d’accomplissements. En raison de sa difficulté et de l’abnégation qu’il exige, ce ne peut pas être un métier de simple casting ou hasard. Il nécessite le respect de la fonction, non seulement par celui qui l’occupe, mais aussi par le pouvoir politique. Se pose aussi depuis de nombreuses années la question des leviers à la disposition des préfets, face à des attentes en réalité croissantes, de même que celle de nouveaux équilibres avec les aspects personnels liés aux évolutions générationnelles. Je ne crois pas que les parcours peuvent encore être linéaires, dans l’intérêt même du bon exercice de la fonction.« 

Boris Faure : Le dernier chapitre m'a surpris. Une escapade américaine en solitaire. Un moment pour reprendre son souffle et s'éloigner un temps de la France, de son Etat et de ses serviteurs, bien ou mal intentionnés. Cette "escapade américaine" au sens où elle a constitué un moment heureux dédié à l'écriture, est-elle symboliquement définitivement derrière vous et une nouvelle mission au service de l'Etat se prépare-t-elle ?

Ziad Khoury : « Le dernier chapitre, qui est un carnet de route rédigé en temps réel, sans retouche, est un peu singulier, mais l’occasion d’une échappée plus littéraire, qui parle du destin et de la vie. C’est aussi une transition vers un avenir qui reste à écrire, mais dans lequel je demeurerai un serviteur de la France. Je suis aujourd’hui tourné, avec un enthousiasme intact, vers des défis qui devraient se préciser bientôt. »

Auteur/Autrice

  • Boris Faure est l'ex 1er Secrétaire de la fédération des expatriés du Parti socialiste, mais c'est surtout un expert de la culture française à l'étranger. Il travaille depuis 20 ans dans le réseau des Instituts Français, et a été secrétaire général de celui de l'île Maurice, avant de travailler auprès des Instituts de Pologne et d'Ukraine. Il a été la plume d'une ministre de la Francophonie. Aujourd'hui, il collabore avec Sud Radio et Lesfrancais.press, tout en étant auteur et représentant syndical dans le réseau des Lycées français à l'étranger.

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