Du 4 au 5 octobre 2024, la France a accueilli le XIXe Sommet de la Francophonie : une première depuis 33 ans ! Ce sommet réunissait les 88 États et gouvernements membres de l’OIF dans la ville de Villers-Cotterêts et à Paris. Pourquoi Villers-Cotterêts ? C’est dans ce château qu’en 1539, le roi François 1er a fait du français la langue officielle en France. Ce site historique accueille depuis novembre 2023 la Cité internationale de la langue français. Presque toute la famille francophone était réunie ce samedi lors de la conférence de presse de clôture. Le chef de l’État congolais, lui, avait quitté les lieux. Avec notre partenaire, TV5MONDE, nous avons construit ce bilan pour vous, les Français de l’étranger.
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Des absences remarquées !
Suspendus en raison de leurs situations en politiques, le Niger, le Mali et le Burkina Faso étaient les grands absents du XIXe sommet de la francophonie.
Dans son discours à la cérémonie d’ouverture ce vendredi, la secrétaire générale de l’OIF, la Rwandaise Louise Mushikiwabo a regretté l’absence du Mali, du Niger et du Burkina Faso. La Cheffe de l’OIF a assuré que les portes restent ouvertes à ces pays malgré leur retour complet à l’ordre constitutionnel. C’est le cas de la Guinée qui a été réintégré après la levée de sa suspension.
Mais le hic, c’est que les tensions entre la France et les pays de l’AES ont atteint un niveau sans précédent. La France a été poussée vers la sortie dans ces pays. Paris a rapatrié ses soldats et rompu sa coopération militaire avec Niamey, Ouagadougou et Bamako.
Autre grand absent, le nouveau président sénégalais, Bassirou Diomaye Faye, a indirectement rappelé la défiance qui entoure cette grand-messe, conçue lors de sa création en 1986 comme l’un des relais de la politique africaine de la France.
Elu en avril, après une longue période de tensions, Diomaye Faye sait qu’il doit sa légitimité à la société civile de son pays. Laquelle se montre très critique, comme la plupart des sociétés civiles de l’Afrique francophone, à l’égard de la politique africaine de la France. Une absence qui vaut donc symbole, alors que le Sénégal fait partie des pays fondateurs de cette organisation sur un continent qui représente aujourd’hui 85 % des francophones.
Enfin, le chef de l’État congolais, lui, a quitté le XIXe sommet de la francophonie avant sa clôture. Le conflit entre le Rwanda et la République démocratique du Congo, qui accuse son voisin de présence militaire sur son territoire et de soutien à la rébellion du M23, n’est pas à l’ordre du jour officiel du sommet de la Francophonie. Mais des entretiens bilatéraux ont été menés entre le Président français Emmanuel Macron et ses homologues congolais et rwandais, Félix Tshisekedi et Paul Kagamé, en amont du forum.
Un espace d’influence diplomatique ?
Dès l’ouverture du XIXe sommet de la Francophonie organisé à Villers-Cotterêts, vendredi 4 et samedi 5 octobre, le président français Emmanuel Macron a plaidé pour une francophonie comme « espace d’influence diplomatique ». Mais quelle est l’influence réelle de l’OIF sur les conflits actuels dans le monde ?
« La Francophonie est un espace d’influence diplomatique qui nous permet d’embrasser les enjeux du siècle ».
Le président de la République française, Emmanuel Macron, vendredi 4 octobre lors de l’ouverture du XIXe sommet de la francophonie, à Villers-Cotterêts, dans le nord de la France.
En faisant référence à l’Ukraine et au Liban, il a plaidé pour un espace francophone uni avec une diplomatie qui défende partout la « souveraineté et l’intégrité territoriale ». Mais de quel poids diplomatique l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) bénéficie-t-elle réellement à l’échelle internationale ? Quelle influence a la francophonie sur les crises mondiales actuelles ?
La francophonie est avant tout le partage d’une langue commune, le français. Plus de 321 millions personnes la parlent sur les cinq continents. Elle est la cinquième la plus parlée au monde. D’ici 2070, le nombre pourrait grimper à 750 millions de locuteurs.
L’Organisation internationale de la francophonie, institution intergouvernementale de promotion de la langue française et de sa diversité culturelle et linguistique, définit la francophonie comme « un dispositif institutionnel voué à promouvoir le français et à mettre en œuvre une coopération politique, éducative, économique et culturelle au sein des 88 États et gouvernements » membres. Parmi les missions de l’OIF, on retrouve aussi la promotion de la paix, la démocratie et les droits de l’Homme.
Dans son discours à Villers-Cotterêts pour l’inauguration du XIXe sommet de la francophonie, Emmanuel Macron a assuré que la francophonie « défend une vision où il n’y a pas de place pour les doubles standards, où toutes les vies se valent pour tous les conflits à travers le monde ». « Il ne pourra y avoir de paix au Proche-Orient sans solution à deux États » israélien et palestinien, a assuré le président, évoquant aussi le Liban « aujourd’hui bousculé dans sa souveraineté et sa paix ».
Le Premier ministre tunisien Kamel Madouri, dont le pays avait organisé le précédent sommet de l’OIF en 2022, a convenu que la communauté francophone devait « jouer son rôle dans la recherche de solutions aux crises ». « Cependant, nous rejetons toute immixtion dans les affaires internes des pays, le principe de respect mutuel et de la souveraineté des États est sacro-saint à nos yeux », a-t-il lancé.
Dénonçant un « génocide » à Gaza et les actions militaires d’Israël au Liban, le Premier ministre tunisien a insisté pour que l’OIF s’exprime en faveur d’un « cessez-le-feu immédiat » au Proche-Orient. Dans son discours de clôture du sommet, Emmanuel Macron a déclaré que les 88 membres de l’OIF demandent « unanimement » un cessez-le-feu « immédiat et durable » au Liban, autre membre de l’organisation, sous le feu de frappes israéliennes. Le président de la République française a également remercié les membres de l’OIF « d’avoir approuvé l’organisation par la France d’une conférence internationale de soutien au Liban » en octobre.
L’organisation de promotion de la langue française s’est progressivement muée en un « bloc » politique à l’influence encore « modeste » mais croissante, a assuré la Secrétaire générale de l’organisation, Louise Mushikiwabo, qui concède que « ce n’est pas la Francophonie qui va régler la question du Liban ».
Peser sur les crises est d’autant moins aisé avec un budget total de 67 millions d’euros pour tout l’espace francophone. Dans un communiqué, l’ONG Oxfam, qui lutte contre la pauvreté, dénonce pour sa part « l’hypocrisie » de la France qui a coupé selon elle un quart de son aide publique au développement (APD) depuis deux ans, alors que « 70 millions de francophones ont besoin d’une aide humanitaire d’urgence ». « Le sommet a pour devise « créer, innover et entreprendre » mais, pour décrire la francophonie, les termes « inégalités, pauvreté et injustices » auraient été plus justes », a dénoncé Alan Anic, chargé de plaidoyer pour Oxfam.
L’ONG n’est pas la seule à émettre des critiques à l’encontre de l’OIF. Le magazine indépendant en ligne Afrique XXI a publié, au premier jour du sommet, une tribune sur la francophonie. Co-signée par plusieurs journalistes et universitaires, elle développe l’idée que la francophonie est « un projet politique mû par la vieille ambition impérialiste française ». Les signataires expliquent que, pour de nombreux pays, la francophonie est « avant tout la promotion d’une langue coloniale ».
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De nouveaux membres : Chype, Ghana, Angola
Lors de ce XIXe sommet de la francophonie, 3 nouveaux pays ont rejoint l’organisation. Si la langue française est le socle originel de l’OIF, son usage au quotidien ou sa présence dans la Constitution n’est pas un prérequis. Même si « la place qu’elle occupe » reste l’un des principaux critères étudiés pour intégrer le cercle, précise Oria K. Vande weghe, la porte-parole de la secrétaire générale. « Pour certains pays, la langue française est une langue officielle parmi d’autres, dans d’autres pays, il y a un intérêt important pour le renforcement de la langue française », explique-t-elle.
C’est le cas de Chypre, estime l’OIF, qui a rendu obligatoire l’apprentissage de la langue française comme deuxième langue étrangère. « Le Ghana typiquement est un pays entouré de pays francophones qui, depuis sa première adhésion [en 2006, NDLR], a toujours voulu renforcer la langue française par intérêt d’intégration régionale, économique notamment. »
Francophile et francophone, le président Nana Akufo-Addo avait déclaré que le « but est de vivre, un jour, dans un Ghana bilingue, avec le français et l’anglais ». Une proximité avec des pays francophones qui peut aussi expliquer la candidature de l’Angola, limitrophe de la RDC, et par ailleurs seul pays lusophone qui ne soit pas membre de l’OIF.
En revanche, la Serbie et le Kosovo, qui souhaitaient eux aussi devenir membres de plein droit, n’ont pas reçu l’aval du comité, « notamment sur le critère de la langue française, qui était très insuffisant », souligne la porte-parole.
L’intégration de pays aux liens ténus avec la francophonie ne date pas d’hier. On peut citer l’Albanie, 2% de francophones seulement, membre depuis 1999, la Moldavie 1%, membre depuis 1996. Ou des pays comme le Vietnam (1970) ou le Cambodge (1991), d’ailleurs candidat à l’organisation du prochain sommet, pour lesquels la présence dans l’OIF s’explique par le passé colonial plus que par une vitalité de la langue française.
Aussi, l’OIF s’interroge notamment sur la pertinence d’incorporer des entités non étatiques dans l’organisation, comme c’est le cas de la Sarre ou la Nouvelle-Écosse. « Cela pose des questions sur le plan du droit international, souligne Oria K. Vande weghe. Lorsque l’organisation se retrouve à suspendre un État, est-il concevable que des provinces ou des régions suspendent des États souverains ? » Sans risquer de porter atteinte à la crédibilité de l’organisation internationale.
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L’appel de Villers-Cotterêts
Les pays membres de l’OIF ont lancé « l’Appel de Villers-Cotterêts » lors de XIXe sommet de la francophonie. De cette manière, ils invitent les grands acteurs du numérique à « bâtir un espace plus sûr et plus divers et à lutter contre tous ces discours de haine ». Par ailleurs, lors de son discours, Emmanuel Macron a appelé à « bâtir un ordre numérique protégeant les citoyens », pour « mieux lutter contre la désinformation, la propagation de la haine en ligne, les discours de haine, racistes, antisémites« .
Le texte de l’Appel énonce cinq axes prioritaires en vue de contribuer à l’avènement l’espace numérique francophone intègre et sûr :
- Assurer une plus grande transparence, diversité et proximité.
- Assumer plus avant leurs responsabilités en matière de modération des contenus.
- Contribuer à mieux protéger les sociétés et les espaces informationnels francophones des risques liés à l’utilisation de leurs services.
- Contribuer à la diversité culturelle et linguistique et à la juste rémunération de la création.
- Contribuer à l’inclusion numérique et à la formation des usagers pour l’avènement de citoyens numériques francophones.
La place de la francophonie dans le monde, l’avenir de la langue française et l’intelligence artificielle, étaient les thèmes du 19e Sommet de la Francophonie. Laurence Devillers, professeure à Sorbonne Université et chercheuse en intelligence artificielle, était l’invitée de notre partenaire TV5MONDE.
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Aussi, lors de ce XIXe Sommet de la Francophonie des jeunes entrepreneurs et entrepreneuses ont pu échanger en tête à tête avec des chefs d’État.
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Le français, une langue africaine ?
Au-delà des nouvelles demandes d’adhésion, qui témoignent d’une certaine attractivité de l’organisation, des signaux démontrent un regain d’intérêt pour l’OIF comme l’acceptation par les États membres du relèvement des barèmes de contribution. En 2024, le budget de l’OIF était de 67 millions d’euros seulement, soit même pas l’équivalent de celui d’une ville moyenne française.
Car si la langue française est devenue en 1539 la langue administrative officielle de la France, elle n’est pourtant pas restée cantonnée à ses frontières géologiques. Point d’ancrage culturel de l’expansion coloniale française, la langue de Molière et de Bougainville a traversé les océans, pour s’y développer de manière polymorphe. Que ce soit sous ses formes littérales, orales, idiomatiques ou dialectiques (de par ses patois et ses dialectes) la francophonie est une constellation linguistique, dont les variantes sont aussi légitimes les unes que les autres. Une définition de la francophonie toujours d’actualité !
Selon l’observatoire de la langue française, on comptait 300 millions de francophones dans le monde en 2018. Cela représente une augmentation de presque 10 % depuis 2014. Alors la langue française sur le déclin ? Absolument pas !
La langue française possède ainsi le statut de langue officielle dans 29 pays, ce qui la classe deuxième langue, après l’anglais, en termes de nombre de pays. En revanche, elle pointe au cinquième du classement par nombre total de locuteurs, derrière le mandarin, l’anglais, l’espagnol et l’arabe. Elle y est parfois classée sixième derrière l’hindi, dont le nombre de locuteurs est toutefois contesté.
Toujours est-il que parmi les 300 millions de francophones dans le monde, on considère que 78% d’entre eux sont des locuteurs quotidiens, c’est-à-dire qu’ils « naissent et vivent en français », représentant 235 millions de personnes dans le monde.
Une des particularités de la francophonie est son rayonnement sur la planète : la langue française est la seule langue parlée officiellement sur les cinq continents (sans même compter l’Antarctique !) Et contrairement à ce que l’on pourrait croire, le centre de gravité de la francophonie n’est pas du tout stable avec les années. Depuis 2010, on note qu’il se déplace vers le sud grâce à l’augmentation du nombre de francophones dans les pays d’Afrique.
Et en effet, aujourd’hui, toujours selon l’Organisation Internationale de la Francophonie, 59% des locuteurs quotidiens sont en Afrique. Contre 33% en Europe et 15% en Afrique du Nord.