400 millions de pèlerins se rassemblent à Preyagraj, pour la Kubh Mela, se baignent, lavent leurs péchés, ceux de leurs ancêtres, au confluent de quatre fleuves, dont l’un n’existe pas. Au Capitole, quelques centaines de personnes, dont les plus riches du monde, honorent celui qui en avait couvert l’assaut, redevenu Président. Ce sont les seconds qui gouvernent le monde. La ferveur populaire a choisi Trump. Il dépasse 50% d’approbation aux États-Unis comme dans le reste du monde, (en Chine, Inde, Brésil, Turquie, Arabie, Russie…). Sauf en Europe[1]. Seulement 22% des Européens voient les Etats-Unis comme un allié. L’Europe ? Peut-être, à la fin du mandat de Trump, n’existera-t-elle plus.
Trump décoiffe. Sa photo officielle est celle de sa fiche de police. Il a contraint son ami Bibi à un cessez-le-feu avec le Hamas, selon des termes que Netanyahou refusait depuis des mois à Biden. Il a imposé un nouveau Président au Liban. Il menace le Danemark, le Panama, le Canada, le Mexique, le Royaume Uni, l’Europe, la Chine et quelques autres. Zelenski, qui attend le verdict de la mèche orange sur l’Ukraine, n’était pas invité au Capitole. Aucun dirigeant d’un pays allié ne l’était. Narendra Modi comme Xi Jing Ping, eux, ont décliné l’invitation. Xi Jing Ping a eu un échange téléphonique avec Trump. Trump est prêt à accorder un délai à Tik Tok, désormais interdit sur le territoire américain. Tout se négocie.
Les Hindous quêtent l’immortalité, les Musk and Co rêvent d’une autre planète, d’une autre humanité.
Chacun cherche sa voie. Tandis que les pèlerins hindous se baignent dans le lait d’immortalité, Elon Musk regardait ses fusées, Space X, éclater en mille étoiles de feu. Un échec ? Il en a ri, il a fait d’autres essais. Des succès ! Mark Zuckerberg est jaloux. Ex-fan d’Obama, il a fait son coming out. Trump annonçait « qu’il viendrait lui lécher le cul », c’est fait. Mark a jeté aux orties le fatras « éthico responsable », il devient masculiniste. Il paie sa place et son pardon. Pourquoi fait-il cela, pour quelques milliards de plus ? Faire partie du cercle des initiés, ceux qui seront du premier voyage vers Mars, qui construisent une nouvelle humanité. Les Hindous quêtent l’immortalité, les Musk and Co rêvent d’une autre planète, d’une autre humanité. On peut se moquer. On aimerait bien en avoir quelques-uns en Europe, de quoi oser, de quoi rêver.
D’autant que la partie a commencé, bien au-delà d’une guerre commerciale. Les Etats-Unis savent que l’augmentation des droits de douane va leur coûter cher : -1% de PIB. Ils sont prêts à payer, cela coûtera plus cher à la Chine : -1.5%. Dans une guerre, il y a des pertes, l’autre doit perdre plus. Les États-Unis veulent garder le contrôle de la nouvelle économie digitale. La bataille se déroule sur fond d’IA, puces, conquête spatiale, monnaie digitale. Taïwan est un enjeu technologique plus que territorial.
Les guerres, les bombes, les attentats, les coups d’État, les pays, les ports et les morts sont des moyens, ils ne sont pas le cœur de la bataille. L’enjeu est la conquête du nouveau monde. Les États-Unis dominent, la Chine fonce, tente de construire un contrepoids, avec le « Sud » et les parias d’un front antioccidental. La Chine compte sur la Russie et l’Iran, mais affaiblis par les guerres et les sanctions, ce sont des régimes de corruption, des économies de contrebande. La Chine peut choisir de traiter et temporiser. Les alliés peuvent être laissés-pour-compte. Voilà pourquoi Russie, Corée du Nord, Iran, signent des accords, une façon de dire à Xi Jing Ping, « nous sommes solidaires». L’Iran fournit des drones, la Corée des soldats, la Russie améliore les systèmes balistiques iraniens et nord-coréens.
Et si la Russie aidait l’Iran pour des missiles nucléaires? D’où le cessez-le-feu avec le Hamas.
Les Nord-Coréens peuvent atteindre l’Amérique. Et si la Russie aidait l’Iran pour des missiles nucléaires? D’où le cessez-le-feu avec le Hamas : il y a plus important à faire. Trump, à l’inverse de Biden, ne redoute pas une escalade avec l’Iran. Voilà ce qu’il a donné à Netanyahou : il n’y a plus de feu rouge sur l’Iran. Le massacre du 7 octobre avait pour but de saborder les accords d’Abraham, objectif atteint. La négociation doit reprendre, aller plus loin. Avec l’Arabie saoudite, le Liban, la Jordanie, l’Égypte ; mettre hors-jeu l’Iran de gré ou de force, stabiliser les ressources en pétrole, doter les pays de technologie américaine et israélienne.
Et l’Europe ? Absente. Inexistante. À l’exception de la France qui existe au Liban, en Syrie, en Irak, au Maroc, en Égypte, en Arabie saoudite. Elle a une marine, des sous-marins, des Rafales, l’arme nucléaire, bref, elle est indépendante. Hélas, de moins en moins financièrement. C’est embêtant, la France. Non qu’elle puisse faire quoi que ce soit seule, mais elle peut empêcher le grand Plan, les accords locaux ou les accords globaux de partage du monde. Significative, elle accueillera la conférence sur l’IA, celle sur le Liban, celle sur les océans. L’hôte n’est pas neutre.
C’est embêtant, la France. Non qu’elle puisse faire quoi que ce soit seule, mais elle peut empêcher le grand Plan.
Quel partage ? Celui d’un gros gibier, l’Europe. La Chine a un besoin crucial d’exportation : si l’Amérique se ferme, il lui faut l’Europe. Et l’Europe menacée par Trump sera mise en demeure de s’aligner sur les États-Unis ou de subir droits de douane et lâchage sécuritaire.
L’Union Européenne aimerait bénéficier du conflit comme le Mexique, le Canada, le Vietnam. Mais elle est trop importante dans le jeu. Contrairement à l’Europe, en regard, l’Inde n’est pas assez riche pour être une proie. Elle peut faire contrepoids à la Chine, et s’inscrit dans une logique de containment avec les Philippines, le Japon, la Corée, l’Indonésie.
Au sein de l’Europe, plusieurs pays – Italie, Autriche, Hongrie, Slovaquie, Slovénie, Pays Bas- militent pour les États-Unis plus que pour une Europe européenne. La remise en cause de la « relation spéciale » entre les États-Unis et le Royaume-Uni post Brexit devrait les inciter à la prudence. Ces pro Trump furent des pro Poutine, plus ou moins repentis. Poutine déclare que l’Ukraine pourrait ne plus exister à la fin de l’année, et annonce son prochain mouvement : la Moldavie.
États-Unis, Russie, Chine ont la même politique: fragmenter l’Europe.
États-Unis, Russie, Chine ont la même politique: fragmenter l’Europe. Cajoler les uns, menacer les autres. Musk s’en prend au Royaume Uni, à l’Allemagne. La Chine sanctionne les Pays baltes, la Russie attaque l’Ukraine, vise la Moldavie, la Roumanie, la Pologne, l’Allemagne, la France.
L’Europe établit une réglementation sur le Big Data qui gêne aussi bien les magnats américains que la Chine. Hélas elle n’a pas de champion. Sans acteur majeur, ce sera tôt ou tard du papier et du verbiage. Il y a une guerre mondiale du droit, des normes, qu’elles concernent l’état de droit le commerce ou la technologie, dans laquelle l’Europe est un acteur puissant et menacé, bientôt dépassé.
Les Etats-Unis utilisent la Russie comme moyen de pression, et la Russie toutes les pressions de la guerre hybride, de l’Afrique à la Baltique. Si l’Algérie se raidit contre la France, ce n’est pas seulement pour des raisons algériennes : elle est un des derniers allié de la Russie en Méditerranée et dans le monde arabe. Elle a la plus importante armée d’Afrique. Un conflit au Maghreb légitimerait sa caste dirigeante. L’agiter est un trouble bienvenu.
Les autres membres de l’UE, la Commission, devraient favoriser le renouveau de l’alliance franco-allemande.
La France et l’Allemagne sont les piliers de l’alliance européenne. Leur économie est affaiblie. Les partis anti européens -AFD et RN- percent. Ce sont des cibles de choix. Les autres membres de l’UE, la Commission, devraient favoriser le renouveau de l’alliance franco-allemande. Personne ne sera plus fort seul. Russie, États-Unis, Chine, joueront le jeu inverse. Chacun espère un bout d’Europe, continent vieux, riche, et pacifiste. Combien sont prêts à se vendre en espérant la clémence des maîtres du monde ? Il y a le moment Trump, il y a aussi la permanence des civilisations, leur bain d’immortalité. Dans quelle jouvence 450 millions d’Européens peuvent se baigner pour rester eux-mêmes ? Comme toujours : le droit, la liberté. Contrairement à ce que l’on raconte, ils vont ensemble.
Laurent Dominati
a. Ambassadeur de France
a. Député de Paris
Président de la société éditrice du site Lesfrancais.press et de l’app bancaire France Pay
[1] https://ecfr.eu/ European Council for Foreign Relation.
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