Vous ne vous en rendez pas compte, mais vous êtes riches, trop riches. Heureusement que d’autres s’en aperçoivent. Ceux qui sont moins riches que vous ? Non, pas ceux-là. Eux aussi sont riches mais se croient pauvres. Tous les Français sont riches. Particulièrement les Français de l’étranger. L’État s’en est aperçu, grâce à ses statisticiens, et l’Etat a raison.
La Commission des Finances de l’Assemblée s’interroge : Les Français de l’étranger ne seraient-ils pas plus riches que les Français de l’Hexagone ? Ces Français qui s’expatrient, de fait, paient moins d’impôts. N’est-ce pas injuste de profiter d’un paradis fiscal et ne pas apporter sa contribution à la Nation ? Évidemment ! a répondu la majorité de la Commission, une prouesse dans une Assemblée sans majorité. Personne ne s’est demandé en quoi consistait un paradis fiscal, chacun ayant en tête les îles vierges ou les Bahamas. Or tous les pays sont des paradis fiscaux, puisque la France détient le record des prélèvements obligatoires.
Personne n’a pensé que la meilleure façon de lutter contre ces paradis serait d’adopter une fiscalité dans la moyenne des pays développés. Les services publics n’y sont pas pires qu’en France. Personne ne s’est demandé non plus pour quels services il était juste de payer des impôts. Hôpitaux, crèches, écoles, routes, musées, aides sociales, les dépenses publiques représentent 55% du PIB.
Ces services et prestations ne sont disponibles qu’en France. Les Français de l’étranger n’en bénéficient pas.
Plus de la moitié des impôts des contribuables Français sert à financer la protection sociale. Sur 1.000 euros d’impôts, 526 paient retraite, santé, famille, chômage, logement. Sur le reste, 90 vont à l’Education, 67 euros aux administrations (dont les affaires étrangères), 66 en subventions à l’économie, 56 pour les transports et infrastructures, 34 remboursent la dette, 31 paient la défense, 25 la sécurité, 25 la culture et les loisirs, 22 la recherche, 18 l’environnement, 4 la Justice. Ce rappel explique bien pourquoi la Justice fonctionne si mal.
Qui est riche en France ?
Pour la plupart, ces services et prestations ne sont disponibles qu’en France. Les Français de l’étranger n’en bénéficient pas. Ils paient ces services, souvent privés, dans leur pays de résidence. Faut-il qu’ils paient deux fois ? La Commission des finances se croit juste : Les Français de l’étranger sont trop riches. Les Français aussi d’ailleurs. Le recours à la taxe n’est pas une recette économique, c’est une idéologie facilitée par la paresse intellectuelle. Ce qu’ignorent technocrates et commissaires des finances : Tout prélèvement porte sur l’ensemble de la création de richesse et non sur le bénéficiaire immédiat.
Qui est riche en France ? L’Observatoire des inégalités déclenche le seuil à 3860 euros net par mois. 9.650 euros pour un couple avec deux enfants. Soit 12% de la population française. La classe moyenne, elle, s’étale entre 1.500 et 3.860 euros par mois, trois Français sur quatre.
Par rapport au reste du monde, la richesse moyenne par habitant en France est élevée. 30 % des Français font partie des 10 % les plus riches de la planète.
Qui est riche dans le monde ? Les Français sont 25èmes. Suisses, Américains, Luxembourgeois, Irlandais en tête.
Qui est riche dans le monde ? Selon le FMI, en parité de pouvoir d’achat, les Français sont au 25ème rang mondial. La France perd des places, d’où le sentiment du déclin : elle était 13ème en 1980, 20ème en 2000. Le PIB de France par habitant stagne depuis dix ans. Suisses, Luxembourgeois, Irlandais, sont désormais deux à trois fois plus aisés que les Français, les Allemands 20% plus riches.
Si l’on mesure le patrimoine, c’est différent. Les Français disposent d’un patrimoine moyen de 215.000 euros, ce qui les place dans les dix premiers pays, derrière les Danois, les Néerlandais et les Belges; mais devant les Allemands, les pauvres ! Aux premières places, Suisses, Américains et Australiens, ces descendants des bagnards. Cette évaluation est un peu faussée par la hausse des prix de l’immobilier, car l’essentiel du patrimoine est immobilier. Paradoxalement, une pénurie de logements, comme on la connaît en France, provoque une hausse des prix qui augmente la valeur du patrimoine, mais aussi les dépenses contraintes, celles les loyers, une dépense contrainte qui fausse aussi la notion de pouvoir d’achat. La vraie notion, c’est « le reste à vivre ».
Dans son enquête sur le revenu et le patrimoine des ménages, l’Inssee[1] note que « le niveau de vie médian a progressé de 24% depuis 1996 » en euros constants. Aujourd’hui, le pouvoir d’achat des ménages dépasse de 54% son niveau de 1980, de 38% son niveau de 1990, de 20% son niveau de 2000 et de 5% son niveau de 2010. Ce n’était pas mieux avant ! Les Français, malgré le sentiment de déclassement, sont plus riches qu’avant. Mais le rythme diminue. Or la croissance est le déterminant de la richesse, de l’espérance d’un meilleur niveau de vie.
Un taux de croissance de 2% par an double le PIB en 35 ans. 70 ans avec un taux à 1%.
Par exemple, un taux de croissance de 2% par an double le PIB en 35 ans. Si le taux de croissance est de 1%, il faudra 70 années, et 139 années à 0.5%.
Un Français sur deux gagne moins de 2.000 euros par mois. Avec un taux de croissance annuel de 0.5%, ce revenu de 2000 euros augmentera de 1540 euros en quinze ans. Mais de 16.000 avec une croissance de 4%, dix fois plus ! Voilà comment passer d’un sentiment d’austérité à l’aisance. Pour les pays émergents, un espoir concret. Est-ce possible ? L’Espagne est à 3%.
Comme la France et les pays nordiques, la Suisse est des pays les plus égalitaires de la planète.
Mais l’accroissement de richesse est-il bien partagé ? Les inégalités s’accroissent-elles ou diminuent ? De 2000 à aujourd’hui, l’indice GINI, qui mesure l’écart des inégalités dans un pays, n’a quasiment pas varié en France. Avec deux correctifs majeurs, les transferts sociaux et la fiscalité. Avant transferts, les écarts de revenus sont de 1 à 18. Après transferts sociaux et imposition, l’écart passe de 1 à 3.
Regarder seulement la France, sa fiscalité et ses prestations sociales n’est pas suffisant. Si elle fait partie des Etats les plus égalitaires sur la planète, elle partage cette caractéristique avec la plupart des pays européens, comme les pays nordiques et … la Suisse, temple du capitalisme. La Suisse figure parmi les pays où les écarts de revenus sont les moins importants. Comment expliquer ce phénomène ? L’accroissement de richesse est global. La croissance a doublé les bas revenus : en Suisse, on est pauvre en dessous de 4000 euros, seuil de la richesse en France. Défendre les travailleurs, c’est copier la Suisse ! Ce que font les travailleurs frontaliers.
Un peu juste leur conception de la justice.
Comment devient-on riche ? Depuis deux siècles, le monde sort de la misère. Avec des retours en arrière, comme le Covid. Ce progrès, européen puis mondial, s’accélère. Le rythme de création de valeur, depuis les années 80, est le plus élevé jamais connu. Certains accusent le néolibéralisme, explication délicate, car au-delà du slogan, personne ne sait ce que c’est. L’accession à la propriété, l’augmentation des revenus, la constitution d’épargne-retraite sont des éléments nouveaux pour la plus grande partie de l’humanité, qui sont les vrais facteurs de réduction des inégalités.
Pourquoi tel pays devient-il riche ? Faut-il une mine d’or, du pétrole ? Le prix Nobel d’économie a été attribué à des professeurs qui se sont demandé pourquoi l’Amérique du Nord était-elle devenue opulente et l’Amérique du Sud pauvre. La seconde était riche, elle a été pillée. La première n’avait rien et a été construite. Aussi simple que cela ? Presque. Ce sont les systèmes politiques qui permettent de piller ou de construire, de garder ce que l’on produit ou d’être contraint de le donner au « puissant ».
Un système de droits -de liberté- est la base de tout développement économique. Il permet toute coopération complexe dans une économie d’échange. Aucune autorité ne peut imaginer ni contrôler les circuits du développement, elle ne peut que ponctionner. Plus elle ponctionne, plus elle détruit et freine. Elle ne fait pas que ponctionner et redistribuer, elle appauvrit. Ce qui explique pourquoi, à ses yeux, tout le monde est trop riche puisque tout le monde doit et peut payer.
Que l’Etat ne soit pas le pilleur mais le garant, au contraire, des droits, pour permettre à chacun de coopérer sans craindre l’arbitraire, toujours brandi au nom de la justice, telle que conçue par la Commission des finances. Un peu juste leur conception de la justice.
Laurent Dominati
a. Ambassadeur de France
a. Député de Paris
Président de la société éditrice du site Lesfrancais.press et France Pay
[2] Voir ce cours très simple pour les terminales au Collège de France : https://www.college-de-france.fr/media/campus-innovation
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Bonjour, je vous félicite pour votre excellente analyse.