Viser la tête, épargner des vies

Viser la tête, épargner des vies

La mort de Nasrallah vient peut-être trop tard. Des civils perdent inutilement leurs vies. Est-ce la fin de la guerre ou le début ? « Les mois ne sont pas longs ni les jours, ni les nuits, c’est la guerre qui est longue ». Pendant qu’à l’ONU discourent les menteurs, les guerres imbéciles continuent leurs massacres. « Il n’y a pas plus de folie chez celui qui jette les grenades que chez celui qui plume les patates », glissait sournoisement l’artilleur Apollinaire. Les guerres peuvent-elles finir, avec ces plumeurs de patate ? 

Pour l’Ukraine, chacun y va de son plan de paix, si secret qu’on ne le voit que dans la défaite. Pour Israël, la paix serait le renoncement ou l’embrasement. Pour le Soudan, l’indifférence. Étranges impossibles, qui prouvent qu’une guerre que l’on ne peut gagner est une impasse, la paix espérée qu’une trêve. En vérité, chacun attend l’élection américaine.

Les Russes attendent Trump, parce qu’ils pensent que Trump cessera toute aide à l’Ukraine. Possible. Mais Trump est imprévisible. Zelenski espère la victoire d’Harris. Avec l’autorisation d’utiliser les armes dans le territoire russe, il mettra la Russie à genoux. Pourquoi donner des armes si c’est pour limiter leur emploi ? Les Iraniens, qui fournissent des armes à la Russie, espèrent pourtant eux aussi la victoire de Harris. La guerre d’Ukraine les rend utiles aux Russes, et les « Démocrates » sont considérés comme mous vis-à-vis de l’Iran. Obama avait reculé sa « ligne rouge » face à Assad. Biden empêche Israël d’attaquer l’Iran, il redoute un embrasement en Mer Rouge, être contraint à une intervention pour l’Arabie saoudite. En contrepartie, il laisse Israël frapper les Palestiniens Gaza, le Liban sud et le Hezbollah.

Nasrallah aurait dû être éliminé depuis longtemps, surtout par les Libanais.   

Éliminer les terroristes est légitime. Nasrallah aurait dû être éliminé depuis longtemps, surtout par les Libanais. Parmi les victimes de l’opération « bippers », Ibrahim Akil chef d’état-major du Hezbollah après la mort de Fouad Shuker. Tous deux avaient organisé avec les Syriens l’assassinat en 1983 de 241 marines et de 55 parachutistes français dans l’attentat du Drakkar.

Les débris d'un bipeur explosé dans une photo circulant sur les réseaux sociaux, le 17 septembre 2024. (Capture d'écran via telegram)
Les débris d’un bipeur explosé dans une photo circulant sur les réseaux sociaux, le 17 septembre 2024. (Capture d’écran via télégramme)

Éliminer les chefs terroristes est une nécessité. Bombarder des villes ne l’est pas.

Il fallait les empêcher de nuire au plus tôt. Éliminer les chefs terroristes est une nécessité. Bombarder des villes ne l’est pas. C’est parce que l’alliance contre le terrorisme ne fonctionne pas qu’Israël tue sans discernement, bombarde écoles et immeubles parce que le Hamas et le Hezbollah s’y cachent. Les « boucliers humains ne protègent plus. La guerre d’Irak, puis de Syrie, enfin la guerre d’Ukraine, ont ce tabou, si c’en était un.

Depuis la deuxième guerre mondiale, les civils meurent plus que les soldats. Pour éviter les massacres, le droit international, avec les Conventions de Genève, impose des restrictions à l’emploi des armes et des bombes, exige que toute puissance occupante prenne soin des populations, que toute rétorsion respecte un principe de proportionnalité, épargnant au maximum les victimes civiles. Israël ne le fait pas. Israël a tort. Le Hezbollah tire des roquettes depuis des mois, le Hamas s’enorgueillit de pogroms, ce qui en fait des terroristes. Israël devrait respecter le droit. C’est le droit qui l’a créé.

Israël ne peut agir comme si toute la population était responsable. Le Liban a été dépecé et ruiné par la milice chiite aux ordres de Téhéran, mais bombarder le Liban unit les Libanais contre Israël, alors que la survie du Liban, à terme, celle d’Israël, dépend d’un accord entre les deux pays.

Éradiquer le Hamas et le Hezbollah est un objectif légitime, mais les légitimer en protecteurs des Palestiniens, et maintenant des Libanais, est une aberration. Une stupidité déjà démontrée dans la deuxième guerre du Liban. Pourquoi n’apprend-on jamais ?

Déjà, pour le réseau des Frères musulmans, le prochain objectif est fixé : la Jordanie.

Comment sortir de ces impasses ? En coupant les vivres, comme le propose Trump pour contraindre les Ukrainiens à la paix ?  Comme le propose Keith Starmer contre Israël ? Ce ne sont pas les armes qui comptent, mais les cibles. Nasrallah est une cible. Gaza en l’est pas, pas plus que le Liban. Qui coupera les vivres à Poutine et à l’Iran ?

Déjà, pour le réseau des Frères musulmans, le prochain objectif est fixé : la Jordanie. Les dirigeants iraniens mènent une stratégie indirecte. Jamais de confrontation directe. Malgré leurs menaces, ils n’ont jamais riposté aux Israéliens. Ils craignent la riposte à la riposte. Ils disent depuis des lustres à Biden qu’ils sont prêts à négocier. Raison pour laquelle les Saoudiens, eux, veulent Trump et regardent avec une satisfaction muette les pertes du Hezbollah. Alors que les Chinois, alliés de l’Iran, veulent Harris, jugée moins anti chinoise que Trump.

La police jordanienne en mission alors que les manifestants brandissent des drapeaux palestiniens et des Frères musulmans lors d'une manifestation contre la décision du président américain de reconnaître Jérusalem comme capitale d'Israël, dans la capitale jordanienne d’Amman, le 29 décembre 2017. (Khalil Mazraawi / AFP)
La police jordanienne en mission alors que les manifestants brandissent des drapeaux palestiniens et des Frères musulmans lors d’une manifestation contre la décision du président américain de reconnaître Jérusalem comme capitale d’Israël, dans la capitale jordanienne d’Amman, le 29 décembre 2017. (Khalil Mazraawi / AFP)

Couper les vivres, c’est utiliser les sanctions financières. Les Russes en rient jaune. La Russie est passée en économie de guerre : un tiers du budget de l’Etat est militaire. L’inflation dépasse les 10%, les taux d’intérêt 18%. Malgré les communiqués, l’économie russe souffre. Mais aucune sanction ne mettra Poutine à genoux. Ce qui le menace, ce sont les failles internes. Les purges dans l’armée continuent. Les rivalités internes, réseaux concurrents, menacent. Le pacte russe avec l’Arabie, qui consistait à limiter la production de pétrole pour en maintenir le cours, craque. Le cours du pétrole chute à moins de 70$. L’Arabie a besoin d’argent. La Chine, en mode mineur économique, consomme moins. L’Arabie lâche les vannes. L’Europe et la Chine ont investi dans les nouvelles énergies. L’Europe ne craint plus l’hiver sans gaz russe. Les rentiers du pétrole souffrent.

Les civils morts au Liban et à Gaza rendent la paix impossible.  

Au Moyen-Orient, les Américains se satisferaient d’un équilibre de la peur. Tous, Iraniens, Turcs, Jordaniens, Saoudiens, Egyptiens, ont peur d’une guerre totale. Israël rêve d’une double paix : éliminer le Hamas et le Hezbollah, normaliser les relations avec les Pays arabes, processus en cours avant le 7 octobre. Les civils morts au Liban et à Gaza rendent la paix impossible. Israël se perd en rejetant le droit international, qui est sa légitimité.

Frapper le Hezbollah à la tête, c’est juste. Mais la vraie tête est en Iran. C’était le seul moyen d’éviter la guerre à Gaza et au Liban. Constituer une alliance internationale contre le terrorisme, organiser un fonds international pour construire de vrais Etats à Gaza et en Cisjordanie, étaient les seules solutions pour construire la paix plutôt que des ruines. Est-ce encore possible ?

Evolution des frontières d'Israël depuis 1947
© Jochen GEBAUER, AFP AFP
Évolution des frontières d’Israël depuis 1947 © Jochen GEBAUER, AFP AFP

Les Palestiniens rêvent désormais d’une Palestine débarrassée des Israéliens, un appel au génocide. Les Libanais ne rêvent plus, pas plus que les Syriens. La question est toujours la même : comment se débarrasser des Iraniens ? Même Assad le voudrait.

La résolution de ces deux guerres, en Ukraine et au Moyen-Orient, n’est pas à Washington. Ce ne sont pas des enjeux pour les États-Unis. Ce sont des enjeux vitaux pour l’Europe, Mais l’Europe s’est retirée de tout. Les Américains ont signé avec l’Irak un accord mettant fin à la coalition contre Daech. Ils se retirent.

La seule arme véritable de l’Europe n’est ni économique, ni militaire. Elle ne mettra ni la Russie, ni l’Iran à genoux par des sanctions. Elle ne mettra pas les armes qu’elle n’a pas en action. La clé de la guerre d’Ukraine est en Russie. Seul le peuple russe, les oligarques russes, le FSB russe peut arrêter la guerre de Poutine. La Russie a déjà perdu la guerre : elle ne reprendra pas l’Ukraine, Mais Poutine, lui n’a pas perdu. Tant qu’il sera là, la menace pèsera sur l’Europe. Mais seuls les Russes peuvent s’en débarrasser.

En Iran, le système est presque identique, sauf que ce n’est pas un homme la clé de voûte du système. Comment changer de régime ? L’Iran a besoin d’un état perpétuel de guerre, sans aller à une confrontation à laquelle il ne résisterait pas, parce que le peuple iranien ne veut pas soutenir un régime qu’il méprise.  Certains gouvernements ont intérêt à ce que les guerres durent.

Il est impossible d’éradiquer l’adversaire. Sinon de l’intérieur.  

Dans le bouleversement mondial, la guerre et la paix changent. Les bombes, les missiles, les sabotages, les assassinats ciblés, sont des actes de guerre, parfois des crimes de guerre. Mais la guerre ne se gagne pas ainsi, parce qu’il est impossible d’éradiquer l’adversaire. Sinon de l’intérieur. Mettre en place un modèle qui menace les régimes de l’intérieur, cela s’appelle l’espérance de la paix. Sans proposer un espoir de paix aux peuples, pourquoi se débarrasseraient de leurs régimes, de leurs bourreaux ? La Paix est un combat. Aussi contre soi-même, contre la tentation de régler la politique par la seule force. Frapper à la tête, c’est mieux que frapper les villes. Faire surgir de nouvelles têtes à qui parler, c’est la seule solution. On n’élimine que ce que l’on remplace. Qui après Nasrallah ?

Laurent Dominati
Laurent Dominati

Laurent Dominati

a. Ambassadeur de France

a. Député de Paris

Président de la société éditrice du site Lesfrancais.press

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